1. Principes pour un démantèlement pluraliste du totalisme sociologique
Après l'anti-psychiatrie (qui a sorti les Fous des forteresses asilaires), ou l'anti-psychanalyse qui, avec Lacan lui-même et sa "passe" a sorti les patients des pattes des "analystes patentés" (mais très tentés de capturer les vaches à lait), après la "critique de l'économie politique", qui, a hélas, été vite récupérée par l'économisme, je crois que nous en sommes là -bien tardivement- pour la sociologie. Et d'emblée, déclarons ceci : il n'existe aucune sociologie scientifique possible qui ne commencerait par une critique radicale de la société qui l'emploie, aucune sociologie sérieuse qui ne s'érigerait d'abord sur une affirmation "anti-sociétale" radicale.
Ni délinquant, ni anarchiste, ni misanthrope, ni moine, un anti-sociologue est simplement quelqu'un qui, ne voulant pas mourir totalement idiotisé par l'autrui collectif, et ne confondant pas les hommes avec l'homelette fusionnelle qu'on nomme aujourd'hui "espèce humaine", ou "société mondiale", désire poser clairement quelques principes d'optique sociale : on ne peut voir nettement le social qu'en s'en extrayant (imaginairement et expérimentalement, s'entend), de même que le meilleur point de vue pour étudier le mouvement d'un fleuve n'est pas le plus fort du courant, mais plutôt la berge.
Un "vrai" sociologue vous affirmera que rien ni personne n'échappe au social, au culturel, révélant dans cette insistance passionnée (et passionnelle) son caractère de militant totalitaire pour une religion où la société a remplacé Dieu. Encore que l'intérêt de Dieu, n'en déplaise à notre sympathique grand-prêtre Michel Onfray, c'était qu'il ne prétendait pas vivre le destin de sa créature à sa place : la liberté du sujet avait des fondements théologiques. D'accord, donc, pour un athéisme post-chrétien, à condition que l'A-Dieu qu'il institue ne soit pas pire que la fiction précédente : à savoir qu'il ne remplisse le petit château de l'âme de toutes sortes de contrôles a priori et a posteriori du bonheur, définissant absolument tout du sujet jouisseur et travailleur, voire de son orientation sexuelle.
Cependant, bien que nous ne disposions guère pour le moment que des figures de la liberté divine pour représenter la liberté humaine, le plus urgent est de reconnaître (voire de crééer) un "espace vide" où la fiction de la souveraineté individuelle puisse s'instituer, comme cheminement d'un devenir du "soi" parmi les êtres humains et dans la nature.
Autant dire que l'anti-sociologie n'est pas un projet facile, dès lors qu'elle refuse la voie royale ordinaire de la théologie, et notamment de la théologie durkheimienne prétendant remplacer la première, encore que le pauvre croyait bien faire face aux folies anti..dreyfusardes.
Il nous faut donc inventer un contre-dogme, en l'occurrence une contre...trinité (ce qu'avait déjà subodoré mon ami Dany-Robert Dufour) ou mieux, une tétralogie : nous définirons ainsi l'essence de la vie humaine, au delà de sa vie animale, comme un combat permanent entre quatre instances, irréductibles sans pathologie mortelle : le Sociétal, le Civil, le Familier et l'Individu.
Ces quatre vocables étant usés, abusés et constamment anamorphosés, autant les redéfinir complètement en eux-mêmes et dans leurs relations.
-Notons en préalable qu'ils représentent chacun des aspects de l'animalité humaine pré-parlante, qu'on trouve déjà chez les autres primates, mais que les modèles d'origine sont transposés, décalés et transformés par la nouvelle position qu'ils prennent dans la culture langagière (depuis quelques dizaines et peut-être centaines de milliers d'années).
-Ainsi le Sociétal "premier" est-il la limite extérieure de la socialité des primates, la surface de choc ou de contact que rencontrent de petits groupes familiers qui suffisent en grande partie à la vie et à la reproduction. Chez l'humain en conversation, il devient d'une part le mouvement d'intégration de groupes toujours plus grands dans la vie domestique, et d'autre part il modifie le familier en instituant ses propres catégories : la parenté naturelle, par exemple, (pour un peu carrément niée par nombre d' anthropologues) est largement remaniée voire réinventée par le Sociétal comme premier objet du Politique.
-Le Familier (tout comme le Sociétal) a incontestablement une origine biologique, au sens d'une histoire spécifique filtrant les échanges génétiques généralisés et produisant les principaux attachements vitaux des individus. Mais avec l'institution progressive d'un Sociétal plus englobant et structurant, le Familier devient, dans son essence, une forme de résistance vitale à la mobilisation générale. Pendant longtemps, il a été l'instrument direct du Sociétal, au détriment de sa puissance propre (celle de la convivialité, par exemple). Désormais en état de subordination fonctionnelle, cellule "de base" du Sociétal, il est en même temps souvent le dernier "refuge" d'un individu entièrement pris en charge "sociétalement". Le discours permanent sur la famille, et le rôle que les sociologues en vue jouent dans ce discours, ne fait que changer le Familier en chambre d'observation et de saisie des individus, à qui il ne reste parfois que le hall d'immeuble, entre deux caméras.
-L'individu, bête noire du sociologue classique (de Durkheim à Bourdieu), pour qui c'est toujours un uniforme qui parle à un autre uniforme, existe aussi chez les primates, même dans la recherche de la solitude. Mais chez l'homme parlant (Homo Fans), l'individu devient, à la place de l'image de soi dans le monde, l'objet d'une quête ardente et désespérée. L'individu en question –qui n'a rien à voir avec son homonyme, pantin de la théorie économique dite à tort libérale- n'est rien d'autre que la recherche de ce qui, "en soi" ne serait justement pas social, ni même familier, mais serait "soi". Ce désir, précisément construit comme rétroaction négative au bombardement du Sociétal, a beau être "utopique" (comme l'indique par exemple le harcèlement publicitaire se déplaçant dans tous les interstices possibles de la pratique d'Internet, en quête du "profil" de chacun d'entre nous), tout comme il est utopique de penser se débarrasser des moustiques ou des mouches, est néanmoins "suractivé" par la pression sociétale. Ce qui ne revient pas à dire que l'individu (mot qui est sans doute l'un des plus banals et les moins bien compris de tout notre vocabulaire) soit une pure création de la culture sociétale. Il s'agit bien d'une réalité, mais qui se trouve pour ainsi dire "forcée" à la poursuite de soi (au "souci de soi", aurait dit Michel Foucault) par la mortelle pression littéralement géo-logique (au sens d'une société planétaire) s'exerçant sur nos corps vivants et sur leurs capacités naturelles d'indépendance relative et d'autonomie. La liberté, thème bateau des philosophes et des théologiens, revient ainsi à l'âge de la sociothéologie, comme exigence de survie et en même temps auto-poiétique, autocréation.
J'ai assez conscience que faire admettre l'individu dans la considération sociologique (et même anti-sociologique) est une modalité défensive qui peut gêner les individus réels : ceux-ci ont surtout en effet besoin... qu'on ne les fasse surtout pas entrer comme catégories dans le discours commun, qui finit toujours pas des lois et par des inspecteurs qui frappent à la porte, au nom des meilleurs principes (par exemple écologiques). Il n'y a rien de plus exaspérant, par exemple, que de voir arriver un militant nudiste vous faire signer une pétition pour découper la côte sauvage en zones autorisées, lorsque par hasard, vous vous êtes mis à poil pour faire sécher votre slip. Rien ne sera dès lors plus fatal ni plus ironique, que de voir dans 50 ans des inspecteurs se réclamant de l'anti-sociologie venir importuner les individus parce qu'ils ne sont pas assez "autonomes" ! (De vastes nombres sévissent d'ailleurs déjà dans le "travail social", au nom de principes proches).
Mais c'est un paradoxe que j'assume en me disant (peut-être illusoirement) qu'un argumentaire de respect de la solitude (qui n'est ni l'isolement, ni le solipsisme, ni l'égoïsme, ni l'érémitisme, ni le monachisme, et qui, en fait, n'a pas encore de vrai contenu conceptuel), peut au moins éviter d'inciter nos inspecteurs et à nos militants à se précipiter trop vite, et à faire diversion, le temps que cette solitude magnifique trouve à se cacher encore plus profondément, à découvrir son silence adéquat.
-Le Civil et la civilité : c'est le domaine où l'être humain rencontre autrui hors du Familier mais également hors des surplombs des grandes institutions de la masse, nécessairement hiérarchiques. C'est le lieu de la politique par excellence : non pas celle de la gouvernance, vanité des vanités, mais celle des compromis entre les diverses instances, et cela grâce à une présence des personnes. C'est aussi le lieu de l'émergence des règles, et peut-être même de celle du langage, ou de la parole performative et constamment fondatrice.
-Un autre aspect de la justification du présent discours est qu'il est impossible de vivre LA solitude humaine (même en la débarrassant de tout attachement de fugueur, ou de toute nostalgie infantile) sans lui donner un sens qui résonne socialement : c'est là, d'ailleurs que réside toute la difficulté d'une anti-sociologie, qui soit aussi une anti-théologie, car un hédonisme qui se libère de la bulle de séductions commerciales du système-monde ne peut que se référer à une "libre jouissance" du sujet, telle que, jusque là, elle a été donnée par les mystiques en attribut de Dieu.
Que faire, donc ? Rien d'autre que parvenir à faire la place à l'individu comme quête de singularité et de solitude, même au risque qu'au bout de la perspective demeure ouverte la possibilité d'un téléologisme non pas religieux (forme de reddition au dogme sociétalisé), mais au moins poétique. Il faut que chacun respecte ce "lieu vide" de mots et de savoir préalable qui serait la fin (ou l’avant-commencement) du point de vue sur le monde que chacun constitue, ou, ce qui revient au même, du point de vue du monde sur lui-même via les personnes.
L'apeïron, l'ouvert, l'aventure, doit substituer son point d'interrogation aux certitudes dogmatiques de toutes les religions, alors que la sociologie durkheimienne ou non, comme participante d'un ensemble de savoirs sur les pratiques collectives, ne fait que contribuer à relayer le dogme religieux par un dogme sociétal. Pour permettre à la science d'être légitime et à la loi de ne pas étouffer la vie, le dernier mot, en somme, ne doit rester ni à la science, ni à la loi, mais à "l'apeïron". Or celui-ci, pour prolonger de manière nécessaire la formule de Popper sur les "sociétés ouvertes", ne se retrouve que dans des sociétés ouvertes... à la reconnaissance de l’aspect non sociétal de l'individu humain. Le seul point fondamental du programme anti-sociologique est donc une formule paradoxale : il s'agit d'admettre que le Sociétal et le Familier produisent, dans leur conflit avec l'individu,... de la singularité humaine, absolument non sociétale, mais aussi non sociale et non familière, absolument non partageable ni échangeable, et pourtant condition de tout partage et de tout échange. En effet, seule la fiction qu'il peut n'exister aucun lien fermant d'avance le champ des liens possibles (aucun ensemble de tous les ensembles humains) nous permet d'obtenir la liberté de remanier tout ensemble qui le prétendrait, implicitement ou non.
Une anti-sociologie est enfin partie prenante d'une anti-science de l'homme, dans la mesure même où ne resterait bientôt sur le ring scientifique, et avec toutes ses dents, que le personnage farouche du cognitiviste , dont la cognerie aveugle n'a d'égal que sa volonté de maintenir le dogme de la possible objectivation de l'homme par l'homme. Or cette objectivation, qui signifie simplement domination (sous l'angle stalinien lorsque Staline fit détruire l'école de Prague, ou sous l'angle étasunien, lorsque fut commandée à Alan Sokal la destruction par le rire de l'intelligentzia française, (structuraliste parce que déterminée à se défendre de la domination en délégitimant celle-ci) n'est qu'un rêve de robotisation de soi et d'autrui. On peut -et on doit- objectiver presque tout de l'homme, sauf le fait que pour être un scientifique humain, il faut parler à ses congénères, ce qui implique de ne pas les envisager comme des objets.
Et c'est ce que nous enseigne le début de l'anti-anthropologie : s'intéressant à l'épineuse question de l'origine du langage, elle redécouvre à chaque fois (la dernière en date étant celle de la re-trouvaille jorionienne de la connexion symétrique pré-aristotélicienne) qu'on ne peut entrer en parole en commençant par signaler ou par définir, mais seulement... en parlant. Ce qui veut dire que, tant que les moins méchants des cognes (itivistes) n'ont pas réussi à comprendre ce que veut dire John Langshaw Austin par "performatif", ni ce qu'il finit par entendre par là, à savoir n'importe quelle parole, ils ne sont pas mûrs pour abandonner ne serait-ce qu'une parcelle du ring des sciences humaines aux autres êtres humains, éventuellement plus pacifiques, et moins tenus par la passion de l'emprise. Or, tant que durera la dictature de la volonté de dominer en objectivant l’autre sur la scène de la science, celle-ci appartiendra à la technique et non à la culture, et nous serons voués à la gestion des populations et non à la démocratie pluraliste.
Par ailleurs, dans ce monde de la gestion comme pénultième avatar de la domination de chacun par le "TOUS" autoproclamé, inutile de dire que les chercheurs en sciences de l'homme et de la société ne sont que kapos ou des détenus du panoptisme universitaire cellularisé, des employés crétinisés d'un universel "Brazil" de la pensée, pas des savants inspirés par la noble liberté du savoir.
Anti-Sociology
Many disciplines have only been established on a sustainable "scientific" path (with all the quotes this contention implies) by rebelling against themselves, leaving the main highways, duly built by their predecessors who crushed everything on their passage, using the full power of their institutional mobilizations, and the solidity of self-repression making any criticism impossible.
After Anti-psychiatry (which released mad people from fortress-asylums), or Anti-psychoanalysis with Lacan himself trying to free analysands from greedy authoritarian "licensed analysts" by creating "the pass”, after Anti-economy, first invented by Marx (before having been rediscovered by Marc Guillaume in the eighties) but which has unfortunately been quickly exploited by main-stream economists, I think we are now at this point with late sociology. It is time to declare this with some solemnity : any possible scientific sociology should begin without a radical criticism of the society which is employing sociologists. No serious sociology could set itself up without claiming first to be radically "anti-societal".
Neither offender nor petty criminal or anarchist, misanthropist or monk, an anti-sociologist is simply someone who, not wanting to die completely zombified by gregarism, and not confusing mankind and people with the collective melting called "global society", wants to lay out some clear principles for a social perspective. In this regard, he or she must extract himself (herself) one moment from the flock in order to define different precise kinds of societal entities. Without extracting oneself from the confusing and not pre-defined stream (notionaly and experimentally, of course), how would it be possible to work out any pertinent definition of society ? Don’t we remember the heraclitean lesson ? : the best perspective to study the movement of a river is not the strongest current, but rather the bank (event if the bank will be moved on its turn, but on a slower pace).
A "real" sociologist will assure you that nothing and nobody escapes society or culture revealing in this impassioned insistence his (her) activism favouring a totalitarian society where the social fact has replaced God. Although God’s concern, whatever our nice high priest Michel Onfray has told us, was not pretending living the destiny of His creature in its place: the liberty of the subject had theological foundations. Okay, so, for a post-Christian atheism, provided that the “God-bye” it establishes is not worse than the previous fiction: namely, that it will not fill the “small castle of the soul” with all kinds of a priori controls and a posteriori happiness, defining absolutely everything about the Subject as a worker, a consumer as well as a sexed being.
However, as yet we can only represent human freedom with figures of divine freedom, a most urgent need is to recognize (or even to create) some metaphysical space where the fiction of individual sovereignty could be established as a path to become “oneself” among human beings and nature.
In other words, Anti-sociology is not an easy project, since it denies the usual practice of theology, including the Durkheimian one. So we must invent a cons-dogma, and in this case a cons ... plurality (that had already be sensed by my friend Dany-Robert Dufour). We’ll thus define the essence of human life (beyond its animal-life aspect), as an ongoing struggle between four irreconcilable instances : Societality, Civility, Familiarity and Individuality.
These four words being worn, abused and constantly anamorphized, it is worth to completely redefine themselves and their relationships.
–Let us note in the outset that each of them represent an aspect of the pre-talking human animality, and is already to be found in other primates; but the original models have been shifted and processed by the new position they take in a linguistic culture (for a few tens and perhaps hundreds of thousands years).
Thus, the "primitive" Societality is the outer limit of primates’sociality, the impact or contact surface encountered by small familiar groups that are in large part sufficient to life and reproduction. Among Humans in conversation, Societality, on one hand concerns the integration of ever larger groups in domestic life, and on the other hand, it alters Familiarity in establishing its own categories: natural kinship, for example, is negated, altered and recreated by society.
- Familiarity (like Societality) has unquestionably a biological origin, in the sense of a specific history filtering widespread genetic exchange and providing major vital attachments to individuals. With the gradual establishment of an inclusive and broader societal structure, Familiarity becomes, in essence, a form of vital resistance to general mobilization in war, work and consumption. For centuries it has been a direct instrument of Societality at the expense of its own power (the tribes, for example). Now in a state of functional subordination, a basic unit of Societality, Familiarity is also often the last "safe harbor" for a fully "societally" supported individual .The ongoing discourse on family and the role that sociologists play in this game, have changed Familiarity in an observation chamber and a mean of seizure of individuals, who are left only a shallow yard behind their building for privacy, and between two surveillance cameras.
-The individual, « bete noire » for most of classical sociologists (Durkheim to Bourdieu), to whom the person is mainly a uniform speaking to another uniform, also exists among primates, even in search of solitude. But in speaking-humanity (“Homo Fans”), the individual becomes, instead of denoting a notion of the “Self” in the world, the subject of a fierce and desperate search. The individual in question -which has nothing to do with its homonym, the puppet of the so-called “liberal economic theory” is nothing than the side of the "Self" which is supposed not to be social, or even familiar, but just… "self" . This desire, precisely constructed as a negative feedback against the Societal bombing on individuals, may well be "utopian" as it is utopian to think of getting rid of mosquitoes or flies (as shown, for example, by advertisements targeting at all possible interstices of the most intimate Internet practices). However, this urge for individuality is powerfully over-activated by the very societal pressure. This is not to say that the individual (probably one of the most mundane and least understood word of all our vocabulary) is a pure creation by societal culture. It is indeed a reality, but which is virtually "forced" to pursue the ideal of “oneselfness” ("caring for oneself," would say Michel Foucault) because of the literally “geo-logical” pressure that global society puts on our living bodies and on their natural abilities to act independently and autonomously. Liberty, this commonplace theme in philosophy and theology, thus comes back at the age of sociotheology, as a requirement for survival and self-creation.
I quite realize that bringing people into sociological (and even anti-sociological) consideration is a defensive mode that can interfere with real people: indeed, they chiefly need not to be registered as categories of a common discourse, which always ends with laws and inspectors knocking at their door, on behalf of the best principles (eg green ones). There is nothing more exasperating, for example, than to see a nudist militant trying to make you sign a petition to cut the wild coast into authorized areas, where by chance, you got naked just to dry your underwear. Nothing would therefore be more fatal or more ironic than seeing, tomorrow or in 50 years, inspectors claiming anti-sociology coming to annoy people because they will not be sufficiently "independent"! (Large numbers are already rampant in "social work" on behalf of nearby principles).
But it is a paradox that I accept, saying (perhaps deceptively) that arguing in favour of loneliness (which is neither isolation nor solipsism, nor selfishness, eremitism, or monasticism, and in fact does not yet find its conceptual content), can at least avoid encouraging our inspectors and our supporters to rush too quickly, and as a diversion, can give time for this wonderful solitude to hide even deeper, and to discover its proper silence.
-Civility: it is the area where humans meet others outside Familiarity, but also outside large overhanging institutions, necessarily hierarchical. This is the place of Politics “ par excellence”: not governance, but Politics that compromise between various bodies, thanks to the presence of “real” persons (that is living beings deeply engaged in performing their characters). It is also the place where rules are emerging or dying. Maybe it represents the “felicity condition” context, through which performative speeches acts are constantly refounding humanity.
Another way to justify the position we hold here, is that it is impossible to experience human loneliness (even by getting rid of all childhood nostalgia) without giving it a meaning that socially resonates. Here lies a special difficulty of Anti-sociology : it must also become an anti-theology because when it comes to free oneself from the bubble of commercial enticements by the world-system, we can only refer to a "free enjoyment" of the Subject, as it has been given until then, to a few mystiques as a gift from God.
What then? Nothing but opening a legitimate territory to the poetic quest for individuality and loneliness, even at the risk of non religious teleology (which is a form of surrender to societal dogma). Everyone must respect this 'empty' topos where words and prior knowledge are not mandatory, and where ends and begins the very point of view on the world that is everyone as a social being, or, equivalently, from the perspective of the world on itself via people. Openness, adventure, should substitute their question marks to the dogmatic certainties of all religions, while sociology, as a participant in collective practices, only contributes to replace religious dogma by societal dogma. To allow science to be legitimate and the law not to stifle life, the last word, in short, should neither be uttered by science nor law, but by "apeiron” (Openness). But this, in order to apply the Popperian formula on “open societies”, must necessarily be extended to ... the recognition of the non-societal part of each individual human. The only fundamental point of Anti-sociological program is then paradoxical: it is to admit that Societality is shaping and informing Familiarity, while, at the same time “pushing” each individual to act as if he (or her) was totally free not to enter in the magic circle, and to choose, without any constraint, to confront chaos and non significant reality.
An anti-sociology is also involved in an Anti-Human Science, as far as the new cop-gnitivist human-scientist character claims to remain undefeated and with all his teeth on the scientific ring, his fierce hatred against “bloody post-modernists” being matched only by his desire to maintain the dogma of the free objectification of man by man.
But this objectification is only a dream of robotizing oneself and others. It simply means ruling without any contest : like, in stalinian terms, when Stalin ordered to blast the Prague School, or in American terms, when Alan Sokal was supported to pull the French structuralist intelligentsia to pieces, just because the latter were determined to defend themselves from dominion by delegitimizing it on the field of science…
We can and we must objectify almost all aspects of man, except the fact that to be a scientific man, one must talk to one’s congeners, which means not seeing them as objects. And that is what teaches us a beginning anti-anthropology, which, focusing on the thorny question of the origin of language, rediscovers each time (the latest being the jorionian re-detection of pre-Aristotelian symmetric connection) that we cannot enter speech by starting to define or signal anything or anyone, but only ...by speaking.
This means that, as long as the least evil cop-gnitivist fails to understand what John Langshaw Austin meant by "performative" or what he was ultimately meaning, that is any speech act is a performance, the global gang of cognitivists are not ready to give not even a tiny plot of the human sciences territory to humans beings. And if so, as long will last a strong will to dominate the scene of science by objectifying people, this scene will not be stylized by culture but only operated by technology, and we then will be committed to population management and not to pluralist democracy.
2. Plans, notes et fragments pour une épistémologie pluraliste
Il existe, il me semble, un préalable axiomatique à un tel discours qui répondrait à la question : sur quoi reposent les savoirs ?
Les savoirs sont des activités humaines, et non des stocks inertes de données. En tant qu’activités humaines, ils découlent des mêmes contraintes que ces dernières, en général.
Comment, donc, définir l’activité humaine ?
L’axiome que je proposerai ici n’est pas démontrable et évite le paradoxe qui consiste ensuite à retrouver l’activité humaine en objet de la science humaine et donc de l’épistémologie. Nous ne sommes pas très loin, même dans un domaine « soft », de l’impossibilité du programme de Hilbert en mathématique, ou de toute autre variante du paradoxe du Crétois menteur.
Le voici : l’activité humaine est basée sur un désir d’agir, qui oriente l’action, l’associe avec d’autres et leur propose un cadre.
Nous ne définirons pas davantage le désir d’activité. C’est à ce point que réside la base axiomatique probablement indépassable, sauf à se perdre dans les méandres du « désir », c’est-à-dire en le détruisant en le décortiquant, par exemple dans des théories du stimulus-réponse, de la pulsion, etc. Il suffit ici d’admettre que le désir est ce qui pousse un acteur humain vers un genre d’activité plutôt qu’un autre, et détermine la cause première de ce genre.
Si nous admettons qu’une activité est un groupement d’actions déterminé comme tel par un désir, il nous faut rechercher quelles sont les désirs organisateurs de l’activité. On objectera à cette démarche que les désirs étant innombrables, elle est impossible ou vaine.
Il est cependant loisible de répondre que, sans définir la nature du désir, on peut ranger les désirs par grandes catégories. Ainsi, selon nous, le désir, dont l’origine est toujours le sujet humain (c’est-à-dire l’individu assujetti à ce désir) peut viser quatre catégories de buts :
Le monde, les objets contenus dans le monde, soi-même et autrui.
Autrement dit, il existe deux dimensions pour classer tous les types de désir :
La dimension de l’humain (soi-même, autrui), et du non humain (le monde, les objets).
La dimension de l’Un (le monde, soi-même) et du multiple (autrui, les objets).
Une définition des savoirs devient maintenant possible : si les savoirs sont conditionnés et orientés par les désirs, on peut déterminer l’existence de quatre grands types de savoirs :
-un ensemble de savoirs orientés par le désir d’agir à propos de soi-même.
-un ensemble de savoirs orientés par le désir d’agir à propos d’autrui.
-un ensemble de savoirs orientés par le désir d’agir à propos du monde
-un ensemble de savoirs orientés par le désir d’agir à propos des objets
S’agissant des dimensions de l’expérience, elles sont en un sens inséparables, et les désirs sont, en quelque sorte, liés les uns aux autres. Cependant, dans la mesure où il est très difficile à un acteur de se porter en même temps avec la totalité de son énergie et de ses intérêts sur tous ces ensembles de désirs et de savoirs, nous postulerons que chaque sujet tend à choisir entre les quatre, soit par groupes plus restreints, soit surtout en élisant un seul de ces ensembles où se manifestera sa préférence en termes de « carrière », le mot voulant bien dire ce qu’il dit : à savoir le fait de « creuser » une veine particulière.
Comme un savoir, dont la source est individuelle, se forme socialement, dans la collaboration et l’échange, constituant progressivement ce qu’on appelle une « discipline », il tend à s’isoler relativement des autres, dans la ligne même du désir qui le produit. Nous pouvons dès lors sans trop de risque admettre que les disciplines-mères les plus globales, sont bien celles qui correspondent aux quatre grands buts des désirs, et nous proposons de les nommer « savamment » pour les distinguer des désirs eux-mêmes qui les supportent.
Ainsi, la discipline attachée à l’intérêt sur soi-même, nous la nommerons « ipséologie ». Celle qui se rapporte à autrui, « anthropologie », ou science des hommes (ce qui inclut soi-même mais comme un objet extérieur, objectivé). Celle qui vise le monde en tant que tel « cosmologie », et celle qui s’intéresse aux objets dans le monde, qu’ils soient vivants ou non, « pragmatologie ».
A l’objection consistant à dire que les hommes sont aussi des objets dans le monde, il faut répondre qu’en tant que tels, ils font l’objet de pragmatologies particulières, ce qui n’exclut pas de réserver le mot « anthropologie » à la discipline qui les envisage comme partenaires à l’intérieur d’un phénomène culturel qui engagent tous les humains, dont moi-même. C’est un choix : il me semble meilleur que d’hésiter encore en spécifiant à chaque fois « anthropologie culturelle », ce qui revient à continuer d’admettre que la vieille «anthropologie physique » qui mesurait les crânes et les faciès, surtout dans la période nazie, a encore droit de cité. Elle serait plus à sa place dans une primatologie incluant les humains en tant qu’objets. Notons qu’à l’inverse, même la primatologie a affaire à l’anthropologie culturelle, puisque, même lorsque le primate ne parle pas, il a déjà souvent des comportements « politiques » complexes qui relèvent d’une compréhension par autrui, et nécessitent un approche « ethnologique » plutôt qu’éthologique.
Si nous prenons maintenant, à la façon cartésienne, chaque grand segment de l’épistémé (de l’univers des savoirs), nous pouvons commencer à les diviser selon des oppositions duales médiatisées, qui forment autant de « carrés logiques » :
Prenons pour commencer l’ensemble des sciences humaines, c’est-à-dire celles qui travaillent sur soi-même et autrui : elles comprennent donc d’une part l’ipséologie, et de l’autre l’anthropologie.
Pour ce qui est de l’ipséologie, en ayant aussi écarté l’objection réductrice consistant à nier l’existence d’un objet consistant et réel correspondant à cette « carrière », elle tend à se diviser ainsi :
L’approche de la pure singularité correspondant au « soi », indépendamment du rapport à autrui est le fait de ce que nous nommerons « mystique ».
Trois autres approches de la singularité humaine peuvent être ainsi distinguées et organisées :
L’approche de la singularité infléchie par la question d’un autrui « proche » (le Familier) peut se définir comme « la Psychanalyse ».
On peut ensuite définir deux sortes d’autrui lointains, correspondant à deux modalités du Sociétal : le monde des autres en tant qu’ils interagissent par le sentiment, et le monde des autres en tant qu’ils interagissent par la règle.
L’approche de la singularité infléchie par la question d’un « autrui » lointain et global interagissant surtout par la règle peut se définir comme « la psychologie ».
L’approche de la singularité infléchie par l’autrui interagissant surtout par le sentiment sera globalement affectée au « religieux ».
Bien entendu tous ces distinguos doivent être justifiés, et plus on entre dans le détail, et plus les justifications sont lourdes, détournées et contestables. Il faut néanmoins les tenter, quitte à ne pas rallier une frange incompressible d’opposants ou de « chicaniers ».
Ainsi, pourquoi distinguer deux modalités principales d’interactivité sociétale –le sentiment et la règle- et y affecter d’autorité la religion et la psychologie (s’agissant des sciences humaines) ?
1. Religion comme Psychologie s’intéressent au sujet personnel, individuel, et prétendent développer des discours qui permettent une meilleure vie de l’âme ou de l’esprit.. Elles ressortissent bien du même niveau de généralité et du même plan logique, même si la première peut se targuer de millénaires d’existence institutionnelle et pas la seconde.
2. Il est clair que la religion utilise la normativité et le sentiment. En revanche la psychologie comme science « objective » se veut autonome de l’une et l’autre. Elle ne cherche pas à influencer par l’affect, ni par aucun autre procédé, et ne cherche pas la normativité ou la prescription. Mais sur ces deux volets, nous savons que ces assertions ne fonctionnent pas réellement, et sont largement illusoires ou idéologiques : la religion n’utilise la règle (comme tous les discours normatifs) qu’en s’appuyant sur ce qui fait sa spécificité : crainte et amour de Dieu, peur de l’enfer, désir du Paradis, etc. Elle vit de l’imaginaire et de sa base sentimentale. Au contraire, tout en se prétendant objective, la psychologie est en fait une activité normative, distinguant le normal de l’anormal, mais cela au nom d’une règle implicite qui est celle de l’adaptation à la société, c’est-à-dire aux normes définies par l’interaction entre les « autres » au plan de la société.
Pour relier la nouvelle dimension qu’on nommera « de médiation entre hommes », (soit au sentiment, soit à la règle) à celles utilisées plus haut (multiple/singulier, humain/monde) sur un plan plus fondamental incluant le niveau actuel du débat, nous pouvons dire que dans le cas du sentiment, nous jouons dans le registre de l’identité entre le soi et le collectif (l’Eglise se faisant l’interprête du dieu créateur de tout et de tous, par exemple) : entre le sujet individuel singulier et Dieu, il y a un rapport de miroir imaginaire qui donne à croire qu’il s’agit du même, l’individu dans le cosmos et le cosmos se « ressemblant » (par exemple dans l’expression « l’homme a été créé à l’image de Dieu »).
Dans le registre de l’anthropologie (qui, à ce stade n’est pas seulement science au sens étroitement positiviste, mais discours « creusé » spécifiquement sur l’homme), la singularité demeure une polarité à part entière, sans transcription de sens :elle est singularité de la singularité et non du Tout, et donc, chez l’humain, singularité de l’individu par rapport à celle de la totalité sociétale. En revanche, elle fait face dans le carré logique à trois formes d’altérité : celle qui s’identifie au Tout de la cosmologie (l’autrui que nous dirons « religieux »), celle qui renvoie à la partition du Tout en objets (la Règle déterminant les identités de chacun dans le Tout, qui ne peut être qu’une règle de comptabilité d’affectation des objets), et enfin celle qui adresse l’individu singulier aux relations avec « les siens », avec quelques personnes proches qui ajoutent leur consistance singulière aux rapports qu’ils transmettent depuis l’autrui sociétal.
Les deux nouvelles dimensions transcrites dans l’humain exclusivement des deux premières pourraient donc se nommer (dans le domaine de l’ipséologie) : dimension individualité/totalité dans la singularité, et dimension individualité/totalité de la multiplicité.
On peut ainsi réintroduire nos catégories de pratiques de savoir concernant l’humain à partir de désirs :
Désir et pratique de savoir psychologique, se référant à la subordination de l’individu singulier à la multiplicité comme totalité.
Désir et pratique de savoir mystique, se référant à l’insubordination absolue de l’individu singulier par rapport à toutes les autres formes d’altérité ;
Désir et pratique de savoir psychanalytique se référant à la subordination de la singularité individuelle par rapport aux personnes et personnages proches (multiplicité individualisée, personnalisée).
Désir et pratique de savoir religieux, se référant à la subordination de la singularité individuelle par rapport à la totalité comme singularité.
Pourquoi seule la psychologie prétend-elle actuellement, parmi toutes ces modalités discursives à visée de savoir, à détenir seule légitimement l’étiquette « scientifique » stricto-sensu ? Parce qu’elle seule prétend placer entre l’individu et ce qui cherche à le régenter, une « règle » qui est précisément une règle d’objectivation. Cette prétention nous semble pourtant immédiatement contrariée par le fait que, dans le monde humain, objectiver l’homme (le référer à une règle objective), c’est le dominer au nom du groupe qui distribue les positions par rapport à ladite règle. C’est aussi nier la substantialité propre de la démarche « ipséologique », qui est, à l’évidence, le fait même de considérer le soi comme plein de sa propre réalité. Ce refus peut être justifié par maints défauts des postures religieuses ou mystiques, mais il n’en est pas moins une attitude liée au désir d’objectivation qui n’est que désir d’obéissance à la règle collective, comme nous le montrerons plus loin.
Il n’est pas non plus étonnant que la position mystique –qui est probablement la plus éloignée de tout imaginaire religieux au sens du rite collectif- s’y trouve souvent enchâssée, hagiographisée, béatifiée. C’est en effet que la religion travaille collectivement la question du Soi, qui est ultimement niée par la psychologie (ou tout substitut ou prolégomène historique de cette position d’objectivation de chacun dans la règle).
Pour ce qui est maintenant de l’autre versant des sciences humaines (l’anthropologie), comme discours sur l’altérité, nous pouvons aussi la diviser de la façon suivante :
-Etude de tous les hommes ensemble : syndémologie (résidus légitime de la sociologie)
-Etude des hommes dans le groupes de leurs relations interpersonnelles (émiologie).
-Etude des hommes interagissant via la médiation culturelle (identitaire) : koinologie.
-Etude des hommes interagissant via la médiation régulatoire : nomologie.
Les sociologues font pour l'heure (et même le siècle) de la syndémologie comme M. Jourdain de la prose. Ils occupent de fait les territoires où les autres sont mal à l'aise : grands systèmes politiques, grandes divisions sociales, fonctionnement d'institutions économiques, statistiques massives à interpréter, etc. Mais ils tendent aussi à venir dire leur mot dans des lieux où ils ne sont pas invités :
petites sociétés ethnologisables, penchants humains irréductibles à la fonction, décisions collectives entraînant le droit, etc. Ils en sont d'ailleurs repoussés avec méfiance, sans que les corporatismes qui leur barrent la route puissent se justifier en théorie. Inversement, ils ne se rendent pas aisément dans les lieux de pouvoir où ils pourraient analyser utilement les enjeux et les pratiques, en les reliant toujours à la dimension la plus large : celle de la constitution de l'entité sociétale. Bref, hésitants sur leur propre terrain, chassés des terres où ils pourraient travailler authentiquement, pillés par les ingénieurs quantophréniques utilisés par les puissances politiques et industrielles, ils bousculent parfois les chercheurs qui se sentent légitimement agressés sur des domaines où la syndémologie ne peut-être que domination.
L’émiologie (toi emioi : les miens en grec) occupe, en l’absence d’une ipséologie qui a été mise de côté précédemment, toute la dimension où la singularité se trouve considérée parce qu’on la rencontre directement dans les relations entre proches. L’ermite peut être aussi considéré comme un proche, mais, à la différence de l’ipséologie, on ne prendra pas en compte ici le contenu mystique de son propre discours, mais seulement, par exemple, son exemplarité ou son rôle d’homme-médecin. Dans l’autre sens (du plus de multiplicité), l’émiologie peut dépasser la parenté du côté des, convivialités, des vicinités ou des réseaux qui s’enfoncent dans le maquis des systèmes sociétaux.
On pourrait dire qu'en un sens l'émiologie serait le coucou venant occuper le nid de l'ethnologie classique, si évidemment haineuse des grandes totalités, et si amoureuse des groupes de petites tailles et des gens que l'on peut observer tout en les tutoyant, voire en épousant leurs filles. Et si c'était le contraire ? Si l'enthnologie n'était que la délégation sur le terrain émiologique d'une société non seulement étatique mais visant à l'universalité ? En prenant les choses dans cette perspective, on peut aussi se demander si l'anti-sociologie ne doit pas aussi être une anti-anthropologie : en ce sens qu'elle devrait non seulement se préoccuper de limiter l'approche du Sociétal à ceux qui s'y intéressent
spécifiquement (et que nous appellerons désormais les syndémologues) mais aussi demander à ceux qui se rendent sur "leur terrain", s'ils ne feraient pas mieux d'en devenir à ce point propriétaires qu'ils ne travailleraient plus (sinon alimentairement) pour l'institution globale et ses tentacules nationaux ou régionaux, mais pour "les leurs". Je sais bien que pour beaucoup d'ethnologues en fait animés de cette passion du familier, cette proposition serait déchirante, parce qu'ils savent que sans ladite institution "science", ils ne disposeraient plus d'aucune raison sociale d'aller se perdre chez "les leurs", au plus loin du grand système. Au moins leur serait-il peut-être possible de travailler au remaniement de la légitimation scientifique à partir des intérêts "des leurs", ce qui implique des positionnements politiques courageux, voire héroïques (qu'on pourrait appeller, au vu du film de Cameron, le "complexe d'Avatar"). Cette dimension n'est pas absente de l'actuelle profession proche de l'émiologie (pensant à la vie de M. Leenhardt, par exemple). Mais elle n'est pas instituée à partir de principes théoriques clairs et nets, ce que, je crois, permet, la redéfinition des ethnoloques comme "émiologues".
La koïnologie (du grec koiné : culture commune) s’étend entre le domaine de l’émiologie et celui du la syndémologie, du côté de l’identité (singularité de la totalité). Elle a été très investie par les anthropologies sociale et culturelle, notamment dans leur versant intéressé à la religion, à l'art et aux productions mythiques, ce qui a conduit à son occupation un peu brouillonne par diverses strates et patrouilles ethnographiques. Les grands débats des siècles derniers sur les formes culturelles ont dépéri, faute de combattants non essouflés. Avec Raymond Firth et Claude Lévi-Strauss, on enterre les derniers de ces Mohicans, qui osaient encore tenir bon sur la scène des généralités humaines.
Pourtant, si les définitions simples étaient souvent fausses, ce n'était pas à cause de leur simplicité, mais parce qu'elles étaient inadéquates, ceci pour une raison également simple : les "culturalistes" ne pouvaient jamais mettre en question leur propre position de sujets de discours "modernes" et de leurs catégories.Par exemple, magie et totémisme fascinaient le sujet moderne, alors qu'ils n'impressionnent plus guère. Autre exemple, la "religion" est devenue une idée beaucoup plus floue qu'au temps de la grande force missionnaire; le soit-disant concept d'Etat-Nation a gâché le débat sur des décades, parce qu'il n'était pas mis en cause dans son absoluité. C'était en effet à partir de lui que l'on pouvait parler. Certes, on peut objecter qu'il y a toujours un "signifiant zéro", et que cette situation persiste : oui, mais ledit signifiant tend à devenir, dans l'actuelle période, plus "flottant" que jamais, ce qui est une chance. Nous quittons l'absoluité de l'Etat pour nous engager vers l'incertitude des "gouvernances mondiales". Et c'est peut-être ce "créneau" qui nous permet de nous lancer dans des interrogations encore tenues pour inconvenantes il y a quelques années. La notion de "système", par exemple, permet d'avancer... à condition de s'y opposer. Et, en contrepoint, celle d'une Culture qui ne s'y plierait pas, semble heuristique. C'est pourquoi, si les "Koïnologues" pouvaient rallier l'idée de la culture comme ensemble de résistances au système fondées sur le "sentiment" et sur son sujet irréductible, ce serait peut-être plus utile que l'on croit, même si cela peut sembler faux a posteriori pour les sociétés où elle s'intrique avec la politique et la parenté (mais était-elle vraiment si fondue et fusionnante que le supposait l'école de M. Griaule ?) Ce n'est pas la voie choisie actuellement où les grandes chefferies d'orchestres, de théâtres, de musées, d'écoles, d'universités, d'églises, etc., appliquent toutes un modèle venue de la gestion des flux.
Quant à la nomologie (dont j'ai subtilisé le terme au sociologue normalien et obsédé de construction négociée de l'ordre social, J.D. Reynaud), son "topos" est au carrefour de la civilité, du droit, de la grammaire et des mathématiques. Comme elle traite essentiellement de la façon dont les gens se donnent des règles mesurables et vérifiables, elle prend un peu de tous ces côtés, et devrait, pour exister a minima, tailler chirurgicalement dans la science politique, dans la science du droit, et dans l'économie. On peut se demander si ces dernières se laisseraient faire. C'est qu'il est très difficile de faire tenir une discipline scientifique sur un croisement de failles... C'est dommage, car ce croisement a plus de réalité tectonique que les ronrons spécialisés du calcul, de la casuistique, ou de la pipolisation...
Conditions d'existence des sciences comme activités humaines et situation des sciences sociales
Les sciences ne tiennent pas comme cela dans l’espace intersidéral de la vérité : elles
n’existent que si plusieurs conditions sont remplies. La première est la fascination qu’une discipline exerce sur le grand public, les pouvoirs et la société. Cette fascination est rarement due à l’effet de vérité attendu. Elle dépend plutôt du rêve qui se trouve réalisé, comme tout ce qui découle de la puissance technique acquise grâce aux paradigmes de la physique et de la chimie. La fascination peut varier, voire être contrebalancée par des effets répulsifs liés à la même capacité attendue. Si elle se trouve trop contredite (comme dans le cas de certaines avancées de la biologie), la science en question peut être retardée ou inhibée. Mais elle ne le sera jamais tant que si la fascination n’existe pas, ou même si une répulsion prévaut (comme c’est le cas envers la sociologie qui met à jour nos stratégies défensives et offensives, ou envers la psychanalyse qui révèle notre inconscient).
Une forte fascination s’exerçant sur un fond de régularité durable permet à la science en question de s’organiser collectivement, et de faire prévaloir les intérêts communs sur les élans individuels des chercheurs. Sans la fascination, au contraire, c’est l’inverse qui se produit, mais cela n’a rien à voir avec le statut de véridiction de la discipline.
La deuxième condition, (en fait souvent relative à la première) et que l’objet présente, en vis-à-vis des méthodes utilisées pour le cerner et le transformer, une « évidence factuelle » qu’il est très difficile de mettre en cause, même du point de vue de la recherche. C’est cette condition qui impose qu’une discipline moins évidente va se « mouler » sur les phénomènes qui émergent de façon plus puissante, presque aveuglante de présence homogène et massive.
Par exemple « l’atome » ou « le gène » ont longtemps eu (et ont encore) ce pouvoir d’attraction du regard (astronomie, cosmologie, géologie, etc .). Autres objets sphériques, les astres, sont fondateurs de sciences qui tiennent bon sur le long terme. De la particule élémentaire à l’astre, voire à la galaxie ou à l’univers, les scientifiques se soutiennent ainsi souvent d’ensembles clos, ultra-simplifiés dans leur apparence globale, avant d’entrer dans des détails de plus en plus poussés, et finalement dissociateurs ou révélateurs d’autres entifications possibles. Notons que dès que l’objet est d’emblée composite ou disparate, diffus ou segmentaire, des pressions se font sentir pour qu’il ne soit pas reconnu ou réassemblé comme tel (alors que son efficience dans le réel peut être majeure).
La troisième condition est l’effet de visibilité et de simplification que produit la méthode : sa capacité à « faire voir » des objets qui n’émergent pas spontanément du réel. Par exemple, si vous disposez du système métrique, il devient plus facile de faire émerger un objet « terre » pour la géologie. Ainsi également, l’organisation de l’histoire en « siècles » n’a rien à voir avec la moindre vérité. C’est même la façon la plus imbécile de faire de l’histoire : si elle s’est imposée, c’est par une facilité de classification réciproque des chercheurs, celle-ci étant plus facilement obtenue se référant à une sorte de ruban infini du temps, lui-même découpé comme un mètre-étalon temporel.
La quatrième condition est effectivement la vérité, comme enjeu permanent face à des erreurs.
Cette vérité n’existe qu’en perspective de ces erreurs, et celles-ci ne valent que dans un contexte donné d’action et de représentation. Elle n’en est pas moins la vérité, et c’est parce qu’elle est inéliminable qu’elle revient. Mais elle peut revenir de l’extérieur, et en dehors de toutes les problématiques ordinaires : par exemple, alors que les historiens se battent autour du « linguistic turn » ou du « critical turn », arrive brusquement un Jared Diamond qui produit une extraordinaire histoire des « effondrements », qui est plutôt d’ailleurs une sélection d’exemples sur la base d’un mélange de disciplines (dont « l’agro-biologie »). Cette histoire présente un enjeu radical pour l’humanité entière, mais les historiens l’ignorent totalement, comme ils ont ignoré très longtemps l’apport d’un Michel Foucault (encore difficile à digérer pour eux, le suppositoire Max Weber ayant déjà eu du mal à passer au siècle dernier, sans parler de Marx, au siècle précédent). La vérité de l’histoire tout entière comme amalgame de disciplines académiques est aujourd’hui représentée par Diamond, (qui est évidemment en lui-même éminemment criticable (essayisme, idéologie écolo, etc.), parce que la question de la survie de la société mondiale est en jeu, et que pour une société comme pour un individu, la question de sa mort suscite un point de départ pour une visée rétroactive « objective », ou « sans faux semblants ». La vérité de l’histoire en perspective de Foucault tenait à la question, très forte à l’époque, de la capacité des puissances de long terme coagulées dans des formes comme les Etats de transformer l’ensemble d’une société selon une visée qui leur serait propre. Il y a un rapport entre Foucault et Diamond, car ce derrnier montre bien que certaines sociétés vont préférer disparaître qu’abandonner leur « épistémé ».
Ce qui faisait la vérité de Weber en vis-à-vis de l’histoire, c’était qu’il proposait déjà de donner un poids dans la causalité à des ensembles à la fois matériels et spirituels, anticipant une anthropologie structurale qui, hélas, par la suite, n’a jamais eu le courage de s’attaquer frontalement aux lobbies historiens. Et ce qui faisait la vérité de Marx par rapport aux historiens, c’est qu’il mettait, là encore, le doigt où çà fait mal, à savoir la puissance explicative propre d’un phénomène comme l’engouement pour l’argent à l’époque industrielle.
Bref, dans tous les cas, la vérité de l’histoire se trouve apportée de l’extérieur par tous ceux qui récusent le ruban infini, et la disposition des historiens sur chaque portion visible du ruban, avec un droit total à raconter n’importe quoi du moment qu’on puisse trouver des faits et des dates à l’intérieur de leur « temps de légitimité », un peu comme un vieil instit exige de pouvoir être seul maître après Dieu dans les limites de sa classe. Seul, mais dans un bon système collectif bien rigide.
Nous pouvons maintenant aisément observer comment les sciences se situent dans le carré de leurs « conditions » d’existence. On peut ainsi d’emblée s’assurer qu’une science présentant de hauts niveaux dans les quatre dimensions sera « sacralisée » durablement, et demeurera solidaire et bien financée, abondée en nouvelles vocations, vivante dans ses recherches et ses découvertes. Bref le paradis des chercheurs (quoi que…).
Une science ne présentant aucune de ces valeurs sera littéralement inexistante.
C’est entre ces pôles extrêmes, trop prévisibles, que se situent les positions les plus intéressantes :
-A commencer par une science qui serait seulement déterminée par un haut niveau de proximité à la vérité, mais serait très pauvre dans les trois autres dimensions. Que lui arriverait-il ?
Cette question est fondamentale pour les sciences sociales, qui sont l'objet d'une répulsion publique, d'un fort degré de "non évidence" de leur objet, d'une très faible consistance imaginaire de leur méthode, mais qui, en revanche (ou plutôt à cause de cela) sont très impliquées dans la bataille de la vérité et du mensonge.
Les disciplines de « méthode » (approches par le temps, par l’espace, )
(à suivre)…
3. L’objet spécifique de la syndémologie (sociologie) et sa destinée possible
La preuve que la sociologie est immédiatement tombée dans ce fétichisme est que Durkheim, comme la totalité de ses successeurs, subit la croyance que cette « conscience collective » a plus ou moins toujours existé, alors que son existence substantielle est en réalité relativement récente (elle est liée aux totalitarismes de facto des Etats-Nations modernes). Même de grands empires comme ceux engendrés à partir du Néolithique tardif (et dont Rome est au fond l'un des derniers exemplaires) tiennent essentiellement par la contrainte militaire ou par la hiérarchie religieuse et aristocratique, et non par « la conscience collective ». Ce sont des assemblages contraints par force –ce que Durkheim reconnaît tout de même comme solidarité mécanique, mais en en réservant la détermination aux formations « primitives », ce qui est une erreur manifeste- qui laissent toujours subsister en eux-mêmes et sur leurs périphéries des socialités autonomes et agonistiques. Celles-ci n’attendent qu’un moment de faiblesse de ces grandes dictatures pour s’émanciper et jouer leur propre carte politique. Il n’en va pas de même de la « société » actuelle, préparée dans les laboratoires du nationalisme et de l’étatisme, et qui, si elle devait se démanteler sous les coups d’une crise économique ou d’une invasion, ne serait absolument pas susceptible de laisser place à des foisonnements de groupes, mais resterait pour ainsi dire passivement disponible à une remise en marche sous contrôle extérieur. Celui-ci ne tarderait pas à son tour à être absorbé dans le fonctionnement global de ladite « société ». Ce fait, absolument flagrant, n’a pourtant pas été relevé significativement par les historiens professionnels reconnus. Il s’établit pourtant avec évidence à l’occasion des derniers conflits mondiaux qui n’ont pas pu, sauf situation locale « fossile » (comme les Balkans ou le Caucase) modifier durablement les structures consolidées : les ennemis vaincus ont même été priés de reconstituer rapidement leur propre société (Allemagne, Italie, Japon) afin de tenir leur rang dans le « concert des Nations ». Même momentanément défaite par le conflit, la « société des nations » s’est ainsi imposée, et avec elle la quintessence de ce qu’on nomme aujourd’hui société : la totalité d’une population érigée en Etat, et imposant sa parfaite dictature à chacun de ses membres.
Pour que cette dictature du peuple fonctionne, ce qu’on nomme les médias est une institution indispensable, voire centrale et fondamentale. En effet, pour que la fiction du « peuple » puisse s’imposer, il faut que « l’opinion » puisse se donner à voir, et prouver sa propre existence comme émanation de ce « peuple ». De même la « culture » produit une diversité d’objets qui, liés les uns aux autres par le commentaire, forme un film de connivences, d’échanges, de création de traditions orales et imaginaires qui conforte la « réalité » de la totalité sociale. Pour éviter les risques de fragmentation ou de dispersion –pourtant très éloignés- des appareils fonctionnent en permanence pour fabriquer de l’unité : systèmes scolaire et université, système juridique, et surtout marché des emplois et des affectations.
Ce qui n’est rien d’autre qu’un modèle fictif, mais correspondant à certaines possibilités historiques, et surtout à la convergence d’intérêts de toutes les classes et groupes qui vivent de ce « marché commun » des esprits et des corps, est devenu une sorte de réalité, de « fait social ». Or, une fois bien rodé dans la limite protectrice de la frontière nationale, ce modèle commence à se constituer au niveau mondial, le seul proprement incontestable : une planète, une humanité, une économie, etc. Nous assistons à sa mise sur pied, alors que la mentalité nécessaire à son accomplissement est déjà largement «acquise ». En un sens, l’objet réel et unique de la sociologie, pressenti à son corps défendant par Marcel Mauss, est le « phénomène social total », réellement total : la société des êtres humains « planétisés ».
Rétroactivement, nous pouvons considérer que là était l’unique but des « formations sociétales » plus petites et en compétition apparente (ou ponctuellement réelle).
Or, la planétisation qui réalise le concept de société humaine, au sens où il est probable que, dans l’action des protagonistes visant un idéal, il n’ait jamais existé qu’une seule société (même lorsque leur groupement, étudié par les ethnographes, semble petit, isolé, et sujet à des conflits permanents avec les voisins), demeure une pure fiction, et une fiction qui doit s’imposer contre d’autres, qui lui sont hostiles. En ce sens, les sociologues qui se croient mandatés par la science pour décrire la réalité, ne décrivent en réalité que le fantasme qu’ils partagent avec leurs congénères : fantasme d’un unique « machin » recouvrant et absorbant tous ses « membres », leur inspirant chaque mot et chaque acte. Et ce qui est frappant, c’est que le moment même de la réalisation effective de cet idéal de contrôle global extrêmement ancien correspond à une telle exagération de ses caractéristiques, qu’il risque aussi d’être le moment de sa démystification et de sa destruction.
Pour dire les choses clairement : il est possible que l’objet des sociologues –la société – soit vouée à la destruction du fait que, se trouvant enfin réalisée après des milliers d’années d’histoire « post-néolithique », elle laisse alors apparaître sans fard sa raison d’être unique –permettre à des classes spéciales de profiter de la mobilisation de l’immense masse-. De sorte que la prophétie marxiste doit être doublement inversée. Première inversion : ce n’est pas le communisme qui invente la société mondiale coextensive à l’humanité ; c’est au contraire cette dernière qui révèle combien sa propre réalité est liée à l’inégalité parmi les hommes. Deuxième inversion : ce constat ne conduit pas à finaliser « le communisme » comme société parfaite, d’où on aurait simplement « retiré » l’inégalité due aux classes, mais à opposer à cette société totale, une pluralité qui, enfin, laisse aux êtres humains une possibilité de « respirer ».
En un sens, le seul objet actuel et consistant d’une sociologie qui ne se veut pas totalitaire, c’est de suivre la destinée de destruction de la « société », et d’assister ou de témoigner de l’émergence d’une pluralité planétaire qui prendra sa place.
Notons bien que cette pluralité ne revient pas à reconstituer artificiellement des « nations » ou des peuples là où, de facto, il n’y en a plus qu’une (ou un). Mais elle consiste à créer les conditions institutionnelles de la liberté d’exister comme « groupe naturel » ou « groupe familier », y compris du point de vue de la production des moyens de vivre, ceci à l’intérieur d’une totalité réduite à la fonction de « champ ». Les classes exploiteuses (y compris les bureaucrates d’Etat) y sont supprimées du seul fait que soit garantie la possibilité d’une autonomie du monde de vie. Il reste, évidemment, une certaine réalité (mais diminuée et partialisée) à la sphère sociétale, mais elle consiste en résultante d’un pacte entre groupes autonomes, et qui ne remet jamais en question leur liberté. Ce pacte donne lieu, évidemment, à l’ équivalent d’un « service commun », mais celui-ci se trouve toujours contrôlé par les groupes de vie, et, d’autre part, il est lui-même divisé selon certains principes anthropologiques concernant les grandes « variantes de l’homme », à savoir les dimensions primordiales de la pluralité : ainsi les « gens des villes », « des campagnes », de la « nature », ou de la « culture », occupent-ils dans cette perspective des espaces-temps différents dont aucun ne peut prétendre comme aujourd’hui imposer leur souveraineté partielle aux autres, et réciproquement. La sociologie, dans cette visée du futur, se doit d’étudier comme un objet réel la capacité de chaque dimension anthropologique à devenir une «société », bien que dans un sens radicalement relatif aux autres et à leur perennité. Alors qu’aujourd’hui, l’institution globale tendant à tout saisir en elle-même, la sociologie en est réduite à étudier ces formes d’absorption, et à faire admettre comme éternel et universel le « fait sociétal ».
Le premier postulat d’une telle sociologie relativiste (ou pluraliste) est que la totalité comme forme sociale est à la fois une tendance humaine irrépressible (pour des raisons en partie non sociologiques) et une pathologie sociale inhumaine. Surtout, quel que soit le jugement de valeur qu’on porte sur elle, elle n’est pas –et de loin- la seule possibilité de lien social offerte aux êtres humains. Il en existe d’autres, caractérisés par la limite de souveraineté, la pluralité, la division des domaines, la séparation des dimensions, l’autonomie des groupements communautaires ou sociaux.
La question de la dérive vers une langue unique (l’anglais international) permettant l’intercompréhension globale en soulève une autre : est-ce que la pluralité est possible dans ce cadre ? Nous n’avons pas de réponse à cela, mais il est, en revanche, certain, que l’actuelle résistance des langues n’est pas une garantie pour une réelle pluralité. En effet, d’une part, chacune d’elle correspond à une entité homologue, à une globalité « miniature » qui reprend en son sein les problématiques de la globalité « globale ». Il existe un parallélisme grandissant qui rend d’ailleurs les langues toujours plus traductibles entre elles, et modifie la nature de leur diversité dans le sens de la globalité. En revanche, même si l’anglais international triomphe à certains niveaux d’unification culturelle, on pourrait supposer que sa « redivision » dans des expériences quotidiennes structurellement différentes sur le long terme peut produire une pluralisation plus profonde : les structures de la langue commune restent en apparence les mêmes, mais les domaines d’expérience séparés ne tardent pas à construire des « parlers » qui doivent à nouveau être traduits sur la base d’une transmission interpersonnelle des expériences. On ne peut non plus éliminer l’hypothèse que des affinités se manifestent entre langues et fonctions : un peu comme dans le Rome tardive, le grec était parlé pour la culture, et le latin pour les questions juridiques...