(Psychanalyse et Société, 2003-2004) ,
toutes les séances ont lieu à partir de 20 h 30 précises, bibliothèque Lasteyrie, 4 place St Germain, 75005 Paris. Pour s’inscrire : Duclos.denis@tiscali.fr, ou 01 43 20 12 28)
Théme général de l’année :
Comprendre la culture-monde comme basculement vers la pluralité
(6 séances)
SEANCE IV :
la transposition culturelle de la division intrasubjective : modèle de la parenté et métaphore conversationnelle (Mercredi 17 mars 2004, 20 h 30, 4 place St germain des près, 75006, Paris)
On trouvera dans l’histoire des exemples qui se rapprochent de la pluralité politique « réelle », celle de la circulation d’une question, d’une énigme, entre entités souveraines. Le modèle de la parenté (le genos grec) : c’est le plus ancien et le plus répandu des systèmes de division culturelle. Dans beaucoup de ses variantes, on peut l’analyser comme tentative de « reconnaître » en même temps plusieurs aspects de la naturalité (sexe, descendance génétique, âge,) et de les croiser dans un sujet politique(voir les travaux de Françoise Héritier et du laboratoire d’Anthropologie sociale). Pierre Legendre a souligné la forme romaine de la filiation, mais le travail symbolique joue aussi, politiquement, en deçà de définitions juridiques données de la transmission. Il faut dépasser le discours « réactionnaire » (même dans le bon sens du terme) qui prône au fond (de C. Melman ou JP Lebrun en passant par M. Gauchet) le « retour » à la référence parentale comme condition pour éviter la perte dans l’insignifiance et la désubjectivation. Or si « le père » pense tout son petit monde, celui-ci, en revanche, se trouve ordinairement contraint à une jouissance d’esclave, où la pensée ne se déclare que comme révolte haineuse (notamment des femmes et des mères). De plus, comme le montre Nicolas Stoffel , appliquer directement au monde la recherche d’une dégradation continue et fatale liée à l’absence du père, revient à routiniser le désespoir et à se porter à la psychose. La pensée-legendre se voit ainsi opposer ce qu’elle reproche à d’autres : elle rend folle. Mais elle n’est qu’un exemple de la folie d’une pensée de lecture directe du monde, ou, ce qui revient au même, d’une lecture directe de soi (corps) par soi (auteur).
S’il faut retenir le passé (encore présent) de l’institution traditionnelle de la médiation (la parenté), ce n’est donc pas pour revenir à la pensée d’auteur (aujourd’hui proie des industries juridiques de la signature), mais pour se souvenir de ce qu’elle a permis de penser de plus poussé de la condition humaine. Ce qui compte sans doute le plus dans la parenté de notre point de vue de recherche de la pluralité –au delà d’une anthropologie trop bien balisée et verrouillée sur ce thème-, c’est d’abord qu’elle divise le sujet entre plusieurs « en tant que ». Elle crée des polarités imaginaires repérables entre lesquelles chacun circule. Comme ces pôlarités ne sont jamais parfaitement définies (nul « parentologue » ne sait absolument ce qu’est un père ou un fils, un homme ou une femme, un enfant, un adulte ou un vieillard), il reste une part d’arbitraire et d’engagement. Nul ne peut assumer ces rôles sans les « performer » en s’y engageant « en personne ». Du même coup, ils désignent des positions impossibles à transformer en « groupes », sauf à transcender la famille par un pouvoir collectif plus ample (tel celui, post-moderne, qui permet de se grouper par sexes, orientations sexuelles, âges, etc.). Certes les « patriarches », les « cousins », les « sœurs », peuvent créer des partis identitaires qui maintiennent politiquement telle conception de la famille. Mais c’est aussi une façon de combattre celle-ci.
Le pouvoir associé à la parenté s’est affaibli (même si l’on admet avec Zafiropoulos ou Goody des constances dans la taille de la famille nucléaire), et s’est transposé dans des structures plus individualisantes. C’est donc comme trace historique d’institutions intermédiaires (la parenté n’est jamais extensible à l’infini) qu’elle est intéressante : comme résistance. Elle montre en même temps –comme structure subordonnée définitivement au pouvoir impérial- que nous avons aujourd’hui besoin d’une résistance différente, qui tienne compte de l’infini virtuel du très réel pouvoir planétaire actuel. Il ne s’agit plus seulement de trouver des lieux intermédiaires, de reconnaître des singularités, mais d’assurer dans l’universel l’irréductibilité du singulier, par la voie de sa pluralisation.
La métaphore conversationnelle est ici fascinante : n’est-ce pas dans la conversation que circule précisément une question jamais résolue ? (sauf par Michel Meyer dans sa somme « problématologique » digne de Thomas d’Aquin.)
On la retrouve dans plusieurs types de pluralité sociale. Par exemple, la « conversation entre monothéismes », chacun représentant un certain choix collectif face aux penchants individuels au pouvoir totalisé : maternance orthodoxe, hystérie masculine catholique, paranoïa islamique, obsessionalité judaïste. C’est bien l’énigme du Sujet qui traverse leurs échanges, bien que souvent dans l’hostilité réciproque (la guerre de religion comme état ultime de la conversation)..
-La métaphore de la « conversation entre cultures » : individualisme créole (amériques), communautarisme europeéen (la grande communauté), Etatisme asiatique, naturalismes « sauvages » du sud, etc. Là encore, nous imputons à l’autre culture ce que nous pensons ne pas être et réciproquement. Nous laissons l’autre répondre à notre place à notre question.
A noter le côté holographique de la chose : en Europe même, la conversation culturelle peut aisément opposer des pays de la communauté hors loi (Italie), de la loi sans communauté (Grande Bretagne), de la loi augmentée de la communauté (Allemagne) ou du « ni loi, ni communauté » (France).
-La métaphore de la conversation historique (dans le temps d’une culture auto-reconnue) : par exemple, entre corporéité antique, intellectualité médiévale, boucherie moderne, et quadrillage post-moderne, etc.. On peut, certes, vertueusement refuser (avec Braudel ou Duby) les découpages « téléologiques » de l’histoire, mais ce sera seulement pour en accepter d’autres, latents, où la culture comme conversation historiale avec soi-même persiste. On pourrait faire la même chose avec l’histoire chinoise, de manière encore plus tranchée, et auto-légitimée par les successions d’autorités impériales. La question demeure donc de reconnaître une pluralité dans le temps (et non pas seulement une multitude de présents sans réflexivité). Le problème est évidemment alors de savoir comment se ramène dans l’espace de l’actualité les pôles en succession, et peut-être en « éternel retour ». Il faudrait à ce propos mieux comprendre l’intuition nietzchéenne.
Le but du séminaire n’est pas oublié à cette occasion ; il s’agit bien d’évaluer, à l’aune de ces façons d’animer les champs des sciences humaines, la capacité heuristique, créatrice, imaginative et conceptuelle de la démarche pluraliste, comparée au découpage académique usuel (plutôt à apparenter à de la médecine légale…).
Mais on examinera aussi à partir de ces exemples, les limites de la métaphore de la conversation sociale ou historique : sa relative « pauvreté » structurale, son réglage paradoxal, ses formes de clotûre (liée à la « victoire » d’un point de vue sur les autres) et de retournement en pouvoir (notamment dans la mécanisation démocratique).
(séances suivantes) :
5. La création politique d’une pluralité anthropologique.(Jeudi 29 avril 2004)
La question posée concerne la possibilité même de travailler l’imaginaire, de le penser, ainsi que les structures symboliques qui peuvent lui être fournies. Nous supposons que penser aujourd’hui, c’est être occupé par cette tension imaginante et symbolisante de la pluralité, tout en sachant que le cadre à construire ainsi devra permettre à la non-pensée de trouver sa place, sans disparaître ni tout envahir.
A partir de ces attendus (ambivalents, imprécis et donc fragiles), nous dirons que penser, c’est imaginer la dramaturgie d’un champ d’activités humaines, voire de l’enchâssement d’une variété de champs, à la fois dans une tension irréductible entre polarités arbitrairement assignées à porter les principales passions humaines, et dans une ouverture, un « apeiron » laissé à l’aventure du non-pensé (et qui viendrait se mouvoir entre « poros » et « genos », entre lointain surplombant et abstrait et proximité corporelle chaleureuse).
Il n’y a donc pas pour nous de légitimité purement « scientifique » d’une anthropologie freudienne, mais bien au contraire il y a légitimité politique à fonder une mythologie de prétention anthropologique. La nuance est capitale, puisque nous avons supposé que l’intellectualité à venir ne pourrait plus se réclamer d’une extension de la science, comme annexe du pouvoir, mais comme tentative de créer un monde intelligible qui permette la survie contre le pouvoir sur soi, et l’échappée (belle) des singularités.
Il faudra donc tenter ici le plus difficile : déclarer un projet imaginaire (en rendant à Castoriadis ce qui doit lui être rendu), qui soit en même temps l’aveu d’une difficulté ontologique à le faire, non pas seulement par manque d’appui symbolique (pour honorer Legendre), mais par impossibilité radicale de politiser (d’articuler stratégiquement) la question du singulier.
Voici donc la trame du projet : le monde doit transposer dans un champ spatio-temporel nouveau ses divisions tendancielles entre passions. S’il veut échapper à l’entification fatale des guerres géno-religieuses (chaque religion devenant race et espace national, chaque espace national devenant religieux), il doit d’emblée construire ses oppositions « comme une parenté » (ce qui ne veut pas dire comme une patrie, bien au contraire !), et comme une conversation entre rôles souverains mais liés.
Par exemple, on peut lier les pôles passionnels en obligeant chacun d’entre eux à accueillir en eux un peu des autres (mais pas seulement comme des consulats ou des ambassades, mais plutôt comme des fonctions irréductibles, sur un mode mineur). On peut aussi produire des domaines spatio-temporels qui ne se réduisent jamais à un partage de territoires, mais plutôt associent des styles territoriaux radicalement irréductibles : diasporas, continuums naturels, réseaux, communautés fermées. La pluralité politique s’organise sur la variété substantielle de ces domaines, plutôt que dans une topologie, une règle de progression uniforme au travers d’espaces semblables. Elle se constitue aussi dans la comparaison de différents droits de propriété ou d’usage, plutôt que dans leur répétition quel que soit le bien. (ainsi, un « haut lieu » se possède-t-il de la même façon qu’une cité ? Un espace agricole doit-il donner le modèle juridique de possession d’espaces sauvages ?) etc.
Ces exemples devraient donner un aperçu de la qualité heuristique de la méthode proposée, et notamment de l’incitation immédiate à « penser », qu’elle autorise et rend urgente. Ainsi, non seulement doit-on accepter l’idée (walzerienne) d’une autonomie des sphères de l’action humaine (éducation, justice, économie), mais est-on contraints de penser leurs façons de négocier et de se traduire, voire de s’ignorer (lieux et chemins de la non-pensée).
Nous proposerons ainsi plusieurs « rêves anticipatifs », comme bases d’un jeu de pensée du monde, d’un exercice de représentation de l’intellectualité à venir.
-Que serait, par exemple, un monde pluraliste, néanmoins sous hégémonie de la passion anti-sociale et guerrière? Une fois inventées les bombes atomiques adaptées à de tout petits bunkers, où irons-nous dans la course belliqueuse à la victoire ponctuelle contre des alter-egos, toujours moins bien démonisés ?
-Que serait un monde pluraliste, mais tout de même sous influence administrative (hegemonikon renvoie à l’idée de l’âme comme pouvoir sur soi chez les Stoïciens, rappelle Alexandre Duclos) ? Peut-on imaginer une « nippo-sinisation » du monde qui nous rende tous heureux ?
-Que serait un monde pluraliste, mais cependant largement soutenu par le thème de la conversation intra-communautaire infinie (si caractéristique de nos institutions européennes ?)
-Que serait, enfin, un monde pluraliste, mais qui serait pourtant avalé ou captivé par l’immense réservoir de fatalisme d’un sud unifié par la pauvreté chronique, sous domination de la règle mondiale de l’Etat et du commerce ? (complexe de Zardoz).
Que seraient, dès lors, des mondes qui, au contraire, croiseraient ces espaces-temps passionnels ? qui les agenceraient différemment ? (les saupoudreraient, les rendraient souterrains, les marieraient, les redistribueraient, les dissoudraient ?) Parions que l’exercice, à tout le moins , permettra d’échauffer les esprits, ce qui serait bien le moins, si nous souhaitons être … des intellectuels.
6. Le statut des savoirs en référence pluraliste (Jeudi 13 Mai 2004)
Pour résumer, nous aurons consacré cette année à réfléchir sur l’imagination politique comme condition même de la pensée et de l’intellectualité, celles-ci n’étant plus guère ramenées au réveil (même de façon critique) par l’ordinaire pulsion de pouvoir sur soi et sur l’autre dans la totalité gestionnaire et marchande.
Nous avons posé que le défi à affronter était celui d’un paradoxe anthropologique : la division intrasubjective créée par la pratique langagière (ce «propre de l’homme» impossible à totalement gommer d’une primatologie générale nous incluant) est à la fois pathologie et résistance singulière, place du sujet. Nous avons affirmé que la pensée contemporaine et d’avenir ne peut désormais se soutenir que de préserver cette division, cet écart, notamment en pensant le « non-pensant » qui le permet (que Roger Ferreri nomme « le temps »), et qui renvoie à la dissolution imaginaire des significations dans la médiation intérieure.
Toute société tentant de contrôler cette division (pour la détruire ou la réinventer en termes collectifs) s’attaque à l’être humain en tant que tel. Il est possible que le social soit voué à s’attaquer à l’humain, mais il est légitime d’aspirer à un social plus respectueux. Nous avons soulevé l’hypothèse qu’une société tentant non plus de contrôler les sujets, mais de se constituer elle-même « comme une subjectivité divisée » (et non pas « comme un seul homme ») pouvait jouer à éprouver l’avantage de la pluralité sur le pouvoir. Il se pourrait que, sans jamais pouvoir passer directement du collectif au singulier, la société puisse se vivre elle-même comme espace-temps maintenant l’écart entre les significations, entre les discours, entre les incarnations de personnages. Puisque de toutes façons le social « imite » le subjectif (en lui empruntant ses passions pour les retourner contre lui), pourquoi ne pas imaginer un collectif qui vivrait d’une production dramaturgique des écarts permettant aux sujets de « respirer » ? Si la démocratie (comme forme de conversation) a été beaucoup pensée, et a donné lieu –depuis l’antiquité occidentale- à une motivation essentielle de la pensée, pourquoi ne pas aller plus loin aujourd’hui, et fonder la pensée sur l’effort d’imagination qui laisserait, en désignant un champ de pôles irréductibles, une place intérieure à l’incalculé, au non maîtrisé, à l’irruption d’autres significations imprévisibles ?
N’est-ce pas désormais de cette aventure, de cet « apeiron » comme auto-discipline, que dépend la possibilité même d’une intellectualité en éveil ?
Exemples de publications dans la collection dirigée par Denis Duclos (qui attend de vous des manuscrits !)
LE PASSAGE
Faut-il nous libérer des sciences humaines ?
(Une analyse critique des représentations de la société)
Nicolas Stoffel
Collection : La passion de penser
Format : 10 x 16 cm
Nombre de pages : 160
Prix : 8 ¤
Mise en vente : 26 mars
ISBN : 2-84742-038-X
Diffusion SEUIL
Les sciences humaines forment un champ varié contrasté, mais dont on est toujours tenté de prôner l’unification, par exemple à partir de l'économie ou d'une visée systémique. S’appuyer sur de telles sciences pour nous définir nous-mêmes, c’est donc courir le risque d’une visée totalisante. Maintenir l’ouverture et la confrontation c’est prévenir ce risque. Mais n'est-ce pas du même coup renoncer à toute gestion rationnelle de l'homme ? Cette situation inextricable incite à revenir à des interrogations élémentaires, comme : pourquoi désirons-nous tenir un discours rationnel sur nous-mêmes en tant qu'espèce, que société, qu'entité de communication ou de règles ? Certes, on pourrait répondre que c'est par pure nécessité, pour prévenir les désordres terribles dont fourmille notre histoire. Mais cette dernière témoigne aussi de catastrophes dues précisément à la volonté de nous définir "scientifiquement". Réitérons donc sans complexe notre question : pourquoi voulons-nous construire un savoir sur l'homme ? La réponse esquissée ici est que nous croyons souvent que nos problèmes les plus personnels peuvent trouver une solution heureuse dans un changement entrepris avec autrui, dans une transformation collective.
Nous entrons alors dans un cheminement qui comporte quelques grands jalons. Par exemple, nous commençons souvent par nous poser (à l'instar des philosophes grecs) le problème des bonnes lois, des bonnes institutions. Mais au bout d'un moment, nous-nous rendons compte que, pour être bonnes, les lois doivent obéir à des règles de formulation, de codage. Nous descendons alors dans les profondeurs de la construction sociale, pour chercher ses fondations. Cependant, ayant cru trouver le socle (langage, système de références mythiques, etc.), nous sommes bien obligés de constater qu'il demeure une large part d'arbitraire : pourquoi tel système serait-il meilleur qu'un autre et pour toujours ? Certains penseurs nous entraînent alors encore plus loin, dans l'idée de fonder absolument la société dans l'ordre naturel. Mais ce faisant, ils nous poussent à la révolte contre l'énorme pouvoir qui peut s’installer sur une telle certitude de fondation absolue. Et nous voila retournés a la question de départ !
Dans ce livre destiné a un public large et aux étudiants qui se lancent dans les sciences humaines, l'auteur montre comment ce périple circulaire constitue le champ même où elles se déploient ; et comment la plupart des grands auteurs peuvent y être situés, se questionnant et se répondant au travers de ces quatre grands positionnements : choix du bon mythe, désignation du bon symbolique, affirmation de la fondation naturelle du social, et enfin révolte contre les trois propositions précédentes...
NICOLAS STOFFEL, 32 ANS, est sociologue et enseignant à l’Université de Strasbourg.
LE PASSAGE
Traité de la singesse humaine
(Ou : Comment le langage vint à nos ancêtres ?)
Denis Duclos
Collection : La passion de penser
Format : 10 x 16 cm
Nombre de pages : 160
Mise en vente : 26 mars 2004
ISBN : 2-84742-037-1
Diffusion SEUIL
Prix : 8 ¤
La question de l'origine est essentielle pour toute doctrine du pouvoir établi. Ce petit livre tente de renverser la massive idéologie ambiante selon laquelle l'homme serait réductible au langage, et de ce fait à la rationalité abstraite. En s'appuyant sur les plus récentes découvertes en éthologie, il avance que la vie sociale et politique la plus intelligente a précédé le langage verbal, et que les primates qui l'ont inventé y ont sans doute été contraints par le conflit (et sa contrepartie : l’amour des siens) bien plus que par la commodité de nommer des objets. Encore aujourd'hui les sentiments affectueux ou hostiles sont beaucoup plus importants pour nous que les concepts par lesquels nous croyons pouvoir les « gérer ».
Les travaux récents des paléontologues, des éthologues, des zoologues et des primatologues représentent une somme de progrès considérables qui sont rarement pris en compte par les sociologues, habitués a mépriser quelque peu les théories sociobiologiques (qui, hélas , le leur rendent bien !).
Du point de vue des spécialistes de l'homme contemporain, les savants naturalistes parlaient un langage obscur (celui des fossiles, ou des expériences en laboratoire). Mais, depuis que certains ont préféré respecter les singes comme des humains, ils ont enfin eu accès à un trésor inépuisable d'observations étonnantes. En acceptant de les partager avec les disciplines du psychique, du social et de la politique, ils nous permettent de révolutionner notre vision de l'espèce.
DENIS DUCLOS est sociologue, directeur de recherches au CNRS, directeur de thèses à Paris I-Panthéon-Sorbonne, spécialiste des risques de société et romancier.
NOIRCITE
MEMOIRES PREPOSTHUMES D’UN SAUVAGEON
THOMTE RYAM
Collection : La Passion de penser
Format : 10 x 16 cm
Nombre de pages : 192
Prix : 9 €
Mise en vente 26 mars 2004
ISBN : 2-84742-048-7
Diffusion SEUIL
« Le 21 décembre 1998 : je m’en souviens comme si c’était hier. Mon copain Christophe et sa mère étaient décédés tôt le matin et j’étais au commissariat avec mes amis Farid et Djamel pour répondre d’une accusation de tentative de meurtre.
Je n’avais pas ouvert la bouche pendant plus de huit heures. Je restais assis, anéanti, sans âme, à regretter notre inexpérience, à déplorer notre erreur de vouloir trop profiter de notre jeunesse ; à penser aux conséquences de se masquer les causes des problèmes.
Comment en étais-je arrivé là ? Que s’était-il passé ? Je dois revenir sur les trois jours précédant le drame. »
Récit autobiographique, document exceptionnel, mais aussi « autosociologie » dans la grande tradition, Noircité nous plonge dans la «vie des banlieues ». Celle-ci n’est pas tous les jours l’enfer, et peut même être vivante et riche, pourquoi pas agréable, souvent drôle et attachante. Mais il s’y passe – comme ailleurs, mais peut-être de façon plus visible – des événements terribles.
Sous couvert d’adaptation romanesque, et avec une distance ironique et gouailleuse, Thomté Ryam, jeune auteur d’origine africaine, rend compte en ethnologue de sa propre situation, de son histoire et de celle de son milieu. Son héros, Sébastien, un jeune Africain qui se définit lui-même « un être instable, ayant du mal à s’expliquer, à commenter ses choix, à choisir entre droit chemin et errances, entre bien et mal, agitation et calme, intelligence et bêtise », grandit dans la «cité Louis Armand », en banlieue parisienne. Une zone sensible, un quartier « d’une rare saleté. »
Tous ses espoirs reposent sur sa passion, le football, qu’il pratique avec talent. Repéré par des sélectionneurs, son avenir semble s’ouvrir. Mais, la veille des journées de sélection, une soirée de trop, les potes, l’alcool, la BMW, la frustration sentimentale, le racisme ordinaire, et tout bascule.