Cher(e) Ami(e),
Je serais très honoré de votre présence à la conférence que je donne Jeudi 30 Novembre 2000, dans la “bibliothèque de Lasteyrie” à l’Hôtel de l’Industrie, 4 place Saint-Germain des Près, 75006 Paris, à partir de 20 heures 30, sur le thème : .
“Société du risque ou narcose comptable ? une analyse des ressorts et des limites de la gestion moderne.”
Je souhaite ainsi inaugurer un cycle “Sociologie-histoire-psychanalyse”, où je voudrais discuter dse points de synthèse, et d’épistémologie des disciplines de la société contemporaine.
En 2001,deux autres soirées auront lieu au même endroit :
Le jeudi 29 Mars 2001 :
“La science et la victime : ou la névrose infantile au pouvoir.”
Le Jeudi 28 Juin 2001:
“L’alternance corps-esprit : un modèle temporel de la dominance des métaphores centrales dans la culture.”
Si la formule rencontre l’intérêt, nous envisagerons davantage de séances les années suivantes.
Le nombre de places étant assez limité, je préférerais que vous m’appeliez pour dire votre intention de venir. Je vous adresserai alors un argument plus détaillé.
Amicalement votre, Denis Duclos
Paris, le 1er Mars 2001
Cher(e) Ami(e),
Je serais très honoré de votre présence à la conférence que je donne Jeudi 29 Mars 2001, dans la “bibliothèque de Lasteyrie” à l’Hôtel de l’Industrie, 4 place Saint-Germain des Près, 75006 Paris, à partir de 20 heures 30 , sur le thème :
“La science et la victime : ou la névrose infantile au pouvoir.”
(lire l’argument joint)
Cette séance se situe dans un cycle “Sociologie-histoire-psychanalyse”, où je discute de points de synthèse, et d’épistémologie des disciplines de la société contemporaine. Elle fait suite à la séance du 30 novembre 2000 (“Société du risque ou narcose comptable ? une analyse des ressorts et des limites de la gestion moderne”) dont vous trouverez ci-joint un compte-rendu “problématisé”.)
La dernière séance du semestre aura lieu aux mêmes heures et au même endroit :
Le Jeudi 28 Juin 2001:
“L’alternance corps-esprit : un modèle temporel de la dominance des métaphores centrales dans la culture.”
A la rentrée 2001-2002, nous passerons à un rythme mensuel, en alternant une conférence de D.Duclos et un débat avec un iinvité.
Le nombre de places étant assez limité, je préférerais que vous m’appeliez pour dire votre intention de venir. Amicalement votre, Denis Duclos
Compte rendu de la séance
“Société du risque ou narcose comptable ?
une analyse des ressorts et des limites de la gestion moderne.”
Chers Amis,
Merci d’abord pour ceux qui sont venus à la première séance -mouvementée- du séminaire que j’organise “place st Germain”, et dont le thème était : “Société du risque ou narcose comptable ? une analyse des ressorts et des limites de la gestion moderne.” Je leur demande encore de me pardonner du caractère parfois sommaire de certaines formules de ma conférence, en considérant (même comme un symptôme !) l’épreuve que je traversai alors d’une affection bronchitique carabinée.
Voici quelques réponses-relances aux questions qui m’ont été posées lors de la première séance (et telles que je les ai retenues du fond du coaltar où j’étais plongé) J’espère qu’elles permettront aux participants de s’y retrouver, et aux nouveaux-venus, de s’accrocher à des éléments problématiques.
Michelle Dobré : - comment articuler la démonstration d’une métaphore centrale d’époque, en quelque sorte destinée à un accomplissement tragique, et la question d’un résistance à cette métaphore ?
Roger Ferreri : tu nous proposes de réfléchir sur la question du “mourir ensemble...”
Aldo Haesler : les réactions d’attente de la catastrophe finale ne sont que des réactivations contemporaines du gnosticisme, qui a déjà exercé ses ravages à diverses époques de l’histoire occidentale, en appelant
Frank Chaumon : pourquoi ne traite-tu pas l’événement catastrophique dont tu parle en symptôme plutôt qu’en fait ?
Markos Zafiropoulos ; 1-Quel est, au fond, ton objet ? La “réalité” du risque technologique n’est pas un objet consistant pour les sciences humaines ! Quant à prendre en objet l’attente de catastrophe (qui n’est autre que l’attente de la mort du maître, caractéristique de l’obsessionnel), est-ce intéressant ?
-Bonne question, surtout au vu de la variété des sujets proposés dans l’année ! Qui me renvoie à la difficulté d’introduire une thématique générale de recherche par un objet à la fois limité (la gestion du risque) et explosif (la mise en cause de la société moderne qui s’y trouve indexée) Mon objet, celui de ma recherche de longue haleine, c’est de comprendre comment le “traumatisme”culturel sur les humains pris ensemble, se manifeste et se propage dans l’histoire, via une succession de métaphores. . Paul Laurent Assoun pourrait t’en parler, qui a lu mon projet “Esprit et Corps dansent avec l’histoire”. C’est certes assez ambitieux, mais en gros l’hypothèse est la suivante : dans la société qui fait histoire, on se transmet de génération en génération la question... de la génération précédente. La question vise précisément ce qui ferait entre nous société (celle-là, dans son historicité). C’est cette question, toujours reprise comme une énigme venant du passé (qui avons-nous été, et donc qui sommes-nous ?) qui centre cela même qu’on appelle société, comme collectif vivant, et pas seulement ensemble mort d’institutions et d’habitudes.
Ce centrage par une question ne peut s’afficher tel quel, et il porte toujours sur ce qu’il y a de plus difficile à se représenter : le point de fuite où nous n’aurions plus à porter le crime, où nous serions enfin “une bonne société”.
Or, contrairement à ce que tu avais l’air de suggérer, la question du crime ne se transmet pas telle quelle, inchangée, mais au travers de transformations par oppositions : nous avons tendance à nous dédouaner en définissant le crime de nos ancètres plus proches pour y opposer une nouvelle figure du salut. C’est cette démarche constante de rejet de soi, de déplacement d’un énoncé à l’autre, que je crois fondamentale, bien que négligée par l’histoire ou la sociologie classique, trop accaparées les unes et les autres par leur propre projet de nouvel idéal (la réflexivité est déjà durkheimienne), pour véritablement rendre compte d’un mouvement culturel qui ne serait pas réductible à la simple évolution socio-technique. Naturellement comme toutes les générations s’entrelacent, on pourrait supposer qu’on ne peut saisir qu’un flux continu de propositions nouvelles, de ce fait même réduites à l’insignifiance. Or l’histoire se construit par consensus intergénérationnels autour de “faits” pivotaux, qui sont évidemment des symptômes (bien que Chaumon m’ait reproché de ne pas les traiter ainsi), qui produisent le champ historique lui-même comme champ d’enjeux, mais aussi comme champ conversationnel dans le temps, de sorte que la périodisation est d’autant plus symptômatique qu’elle est acceptée par tous.
Pour analyser , mon point de vue est simple : il faut toujours aller au crime le plus massif d’une époque en contrepoint duquel se prépare le crime massif suivant. Tu as d’ailleurs, ce n’est pas un hasard, réintroduit la question d’Auschwitz.
Mais ensuite l’explosion de la discussion en une sorte d’enchère aux massacres (où il faut reconnaître qu’avec quelques vaches folles, tu faisais assez parent pauvre à côté des 60 millions de morts de la guerre de Chine selon Thibon Cornillot !, ou ceux de la conquète américaine selon Dany-Robert Dufour) a été révélatrice, mais a loupé ce que je voulais dire (mais j’étais déjà sans voix). Car fondamentalement, le “crime” du collectif n’est pas une répétition de chiffres, mais une catégorie opposée à celle du précédent. Je m’explique : reprenons la question d’Auschwitz. Tu admettras qu’elle nous est léguée par l’époque précédente (au sens où nous voudrions en sortir) de façon au moins ambivalente : est-ce le dernier crime de l’orgueil ethnique, ou le premier de l’horreur industrielle ?). Je ne te parle évidemment pas de réalité des faits, mais de l’ambivalence fondamentale mise en circulation symbolique. Tu verras qu’il n’existe alors qu’une solution pour se démarquer radicalement de cette ambivalence : prétendre construire une société cette fois entièrement débarrassée des identitarismes... en constituant du même coup l’identitarisme universaliste qui fut celui-là même des Lumières. Autrement dit, notre idéal contemporain est celui de la “réalisation” sociétale de cet idéal, rendue seulement possible après ‘extinction des derniers régimes ethniques déguisés en régimes sociaux.
Or, dès le moment où nous avons défini notre manière d’échapper à l’incrimination de nos parents, gràce à notre “plus jamais çà” à nous, nous appelons aussitôt à notre propre incrimination, en miroir même de notre nouvel idéal, cette fois vraiment et totalement pur (et plus seulement racialement) : qui pourrait critiquer la pureté de l’idéal universel des droits de l’homme ?. Nous commençons d’ailleurs à voir voleter des anges (surtout Pommier, mais aussi Serres, et bien d’autres) dès lors que pureté rime avec internet et contrôle chimique des passions (universalisation des normes).
Là encore, je ne dis pas que je souscris à (ou que je refuse) cet idéal : je me contente de proposer de voir une certaine articulation forte entre cet idéal contemporain (qu’évidemment je partage pour une grande part), et le précédent, celui de l’Etat-Nation. Et j’en déduis ceci : si le crime de l’Etat-Nation, c’était nécessairement de vouloir exterminer la nation concurrente, alors le crime de l’universel, c’est de vouloir “tout” exterminer. Tout au sens de ce qui représente la totalité : la “nature” par exemple, en tant qu’elle nous traverserait et nous unirait, dans l’image de la planète. Je prétends que la culpabilité contemporaine inconsciente se forme comme un discours autour de la métaphore de l’universel et comme son envers. Si nous voulons faire la “clinique” de la passion contemporaine de l’universel, c’est là qu’il faut chercher : autour de l’accident climatique.
Pour mieux me faire comprendre, je suis donc parti... du présent (ce qui était peut-être une erreur, mais faire autrement nous aurait entraîné trop loin.), en m’adressant surtout aux gens qui, justement, se sont fait depuis 20 ans, une spécialité du “risque de société”. Tu as tout à fait tort de croire que cette petite bande d’experts sont complètement isolés du reste du monde. Je n’ai pas eu assez de temps pour vous raconter au contraire à quel point ce qui se passe chez eux est souvent très révélateur de ce qui va se passer un peu plus tard dans les mouvements d’opinion d’abord, dans la sensibilité culturelle profonde, après. Ils servent un peu de mise en scène d’avant garde, avant les grandes dramaturgies sociales. A moins de considérer que ce que disent les médias n’a rien à voir avec l’inconscient collectif, tu ne peux pas considérer comme inintéressantes et non significatives des questions qui forment maintenant à l’année longue, plus du tiers des informations , tous supports confondus. Et là encore, pour moi, ceux qui paraphrasent les médias en présentant avec quelque arrogance leur travail comme élucidation sociologique, n’élucident rien du tout. Au contraire, je propose une hypothèse : la catastrophe fait centre, elle fait objet attracteur, comme cet “effroi” dont parlait Quignard à propos de l’antiquité tardive et qui se mua en christianisme... (et ce n’est pas un hasard si l’intervenant suisse Aldo Haesler a fini par parler du “mal” : mais je n’ai pas couru assez vite pour montrer que cette inévitable.dérive à la religion est partie intégrante du virage métaphorique autour de la catastrophe).
Mon objet, c’est donc,; pour résumer, d’étudier les déplacements du refoulement de la culpabilité sociétalisée. Et de proposer une méthode pour saisir les sens profonds des mouvements apparemment incohérents du débat social, sur des échelles de temps assez longues.
Je pense donc me situer tout à fait au coeur des enjeux épistémologiques, pour le moment largement vidés de leur vitalité par la narcose gestionnaire et le “discours de l’Universitaire”.
-Cela ne m’empèche aucunement d’être “guilleret”, même avec la science -qui est pour moi en réalité un gros paquet de théorèmes utiles, quelques chercheurs plus ou moins amusants et surtout... un statut qui me permet d’exister à l’abri d’autres sectarismes bien pires. Mais le fait d’être assez placide sur la distance entre la “société réelle” (je dirais plutôt le lien social réel, ouvert entre institution et rencontre) et la “société idéale” passée ou en formation, n’implique pas de refuser d’étudier comment fonctionne le rapport de l’un à l’autre.
Je le maintiens d’autant plus que plus la consistance imaginaire de la société idéale est forte, et plus nous devons subir les avanies combinées de l’incrimination et de la gestion, les alternances d’euphorie, de phobie et d’indignation vertueuse sous lesquels les régimes de la névrose collective imposent leur violence conjuratrice aux personnes. J’appelle cela tout simplement le pouvoir, parce que depuis Foucault, on n’en a pas trouvé de meilleur. Si tu as un autre mot, n’hésite pas ! Ce qui me frappe au contraire, dans la plupart des époques que j’ai un peu fouillées (en me faisant plus érudit que d’habitude), c’est le rapport direct entre la capacité oppressive du pouvoir et la consistance imaginaire de l’idéal à laquelle tous participent.
D’ailleurs, sur ce point, je te sais en accord avec moi.
2-Pourquoi on ne rencontre pas le sujet des préoccupations que j’évoque sur le divan ?
Deux réponses : a. tel psychanalyste n’est pas tel autre. Il n’y a pas de divan universel.
b. Ensuite, la névrose sociale que j’aborde est seulement l’homologue de la névrose individuelle que le psychanalyste rencontre. Elle est, de plus, symétrique : la névrose individuelle est symptôme de ce que la névrose collective n’absorbe pas. La névrose collective est souvent guérison de la névrose individuelle. Je me guéris de ma résistance singulière en empruntant les voies du refoulement collectif. Heureusement, je n’y parviens jamais parfaitement.
Ce point me rappelle ta question lors de la thèse de Boccara : va-t-on à nouveau distinguer collectif et individuel dans la théorie du sujet ? On est obligés : si la structure est la même chez le sujet, qu’il soit seul ou avec d’autres, c’est précisément dans ce qui se manifeste d’une résistance du “je” au “nous” (dans la présence du “je” dans le seul passage entre deux signifiants conventionnels). S’il y a résistance du fait du sujet au fait collectif, c’est bien pour quelque chose, même s’il est entendu, précisément, que tout le reste n’est qu’ “extime”. L’extimité elle-même n’est-elle pas le dispositif qui permet -par convention- au sujet d’échapper à la collusion totale du collectif et du symbolique ? Quand notre maître Lacan s’acharnait à dire qu’il n’existait pas d’agencement collectif des énonciations, c’était bien pour marquer la différence. L’énonciation reste le privilège de l’individu, contre l’énoncé, le discours, qui lui, peut faire collectif. Et moi, logique, je parle bien du discours collectif !
3. Le sujet du “risque” n’intéresse que certains groupes.
Il est vrai que la catastrophe intéresse plus le psychotique que le névrosé. Mais même chez ce dernier, l’intérêt pour l’eschatologie (le discours sur la fin) n’est certes pas limité à l’adventisme “obsessionnel”.
Parlons d’un risque “mineur”, qui est celui qui est en train de ruiner l’éc onomie américaine : cette passion du jeu boursier dont tu me disais un jour que c’est ce qui avait permis au capitralisme de triompher du communisme, monde d’un ennui mortel. N’est-il pas justement ce qui centre entièrement la société-monde ? Et si c’est vrai, comment ne pas se demander ce qui se cache d’un désir suicidaire derrière cette mise en jeu massive et mécanique ?
Ceci dit , n’oublie pas que tu n’auras plus chauffage ni électricité dans ton divan si l’un de ces groupes si particuliers appelés “nucléaristes” (et avec lesquels je travaille comme toi avec tes patients) ont ne serait-ce qu’un moment d’inadvertance dans la conduite du système nucléaire français. As-tu remarqué d’ailleurs à quel point ils étaient maigres et peu guillerets comparés aux textures rebondies de notre petit monde de socio-psy ? Un effet de la responsabilité peut-être ?Quant à la vache folle, le divan s’en contrefiche peut-être, mais certainement pas les gens dont je te garantis qu’elle a été le sujet de conversation majeur pendant un mois, et que cela ne se tarit pas, sinon pour entrer dans le registre plus général de la “catastrophe”, même si c’est surtout pour récuser le catastrophisme et tout tourner en plaisanterie. Car, bien évidemment, le refoulement réussi permet un certain bonheur d’être ensemble. Il ne permet pas seulement le pouvoir, mais aussi son contraire, selon les penchants de chacun dans la réponse à l’angoisse, et surtout selon l’organisation du champ de paroles. Souvent, le côté tragique et le côté plaisant son liés : rappelle toi comment, pour pouvoir un peu dédramatiser la question linguistique et retrouver ce côté truculent qui fait leur charme, les Belges ont d’abord dû faire la marche blanche et tourner autour de, enfin dutroux, comme s’ils étaient de purs enfants, non parlants et asexués.
Amitiés,
Denis Duclos.
Séance du 29 Mars 2001, 20h 30
“La science et la victime : ou la névrose infantile au pouvoir.”
Argument
La “mécanicité” de l’idéal social imprégné de toute-puissance technique et scientifique ne peut manquer de faire penser à l’état de latence sexuelle imputé par Freud à l’enfant humain, reculant, terrifié, devant les conséquences d’une rivalité avec le père. Tout se passe comme si c’était cet enfant de la latence qui se trouvait porté au pouvoir aujourd’hui dans le rêve de l’adulte, et spécialement dans son fantasme de victimisation générale. Il est vrai que la véritable pédophilie, celle qui a un poids statistique consistant (en excluant ici la maltraitance et l’infanticide) n’a rien à voir avec la manie de quelques pervers exotiques, mais tout à faire avec la lourde activité pédagogique la plus banalisée, considérée depuis l’Emile de Rousseau, comme l’essentiel de l’action moderne sur les hommes (à remplir de savoir codifié, comme de purs récipients innocents).
Mais l’hystérisation de la plainte poussée à l’encontre d’une modernité ainsi pédophile -dans son essence à la fois médiatique et pédagogique- ne doit pas cacher le désir plus fort encore, qui pousse les adultes à se “néoténiser” comme l’a bien vu Dany-Robert Dufour. Cette poussée aujourd’hui accélérée vers l’infantilisation de masse semble résulter d’une addition de forces :
-celle qui, dégagée par Lacan dans le contexte du structuralisme anthropologique, correspond au “vouloir-mourir ensemble”, c’est-à-dire à toujours vouloir faire cesser en commun les questions que nous posons les uns aux autres quant à notre énigme et notre impossibilité taraudante de “parlêtres”.
-Celle, spécialement intuitée par Freud, du meurtre du père comme paradigme même de l’acte, dont tous les rebondissements poussent au non-acte, à la non confrontation, et pour tout dire à la castration réelle devant la figure écrasante.
-Celle enfin, de l’incroyable puissance destructrice que la technique propose à l’homme actuel, multipliant du même coup les effets de terreur du complexe d’Oedipe, et conduisant peut-être à exiger la latence de la pulsion sexuelle (directe ou sublimée) comme forme prédominante de l’ordre planétaire à instaurer.
La convergence des progrès, reprise en main dans la perspective globalitaire, semble ainsi organiser une sphère (dirait Peter Sloterdijk ) de circuits mécaniques, fermés sur eux-mêmes et sur la répétitivité la plus élémentaire : celle qui ramène le sexe à un réflexe, à un put “rapport”, à une comptabilité de la jouissance et à la jouissance comme comptage. On peut même se demander si le collectif-monde n’est pas chargé de réaliser, au delà d’une latence névrotique organisée à l’encontre d’Eros un programme d’autistisation de l’hiumanité, désormais vouée aux oscillations binaires et pendulaires dans tous les domaines de la vie (oscillations si radicalement caractéristiques de tout autisme).
Si cette vue n’est pas inexacte, il s’agirait donc pour un anthropologue de la société-monde, moins de réaliser une “critique du chemin” tel que l’entreprend vigoureusement Sloterdijk à l’encontre de Heidegger, (mais en dépassant trop vite la critique psychanalytique de la positivité dans l’histoire), que de considérer le refermement de toutes les mobilisations dans un cosmos a-phallique, où les seules émergences tolérées sont les “teasers” obligeant chacun à emprunter les portes des réseaux interconnectés, sous contrôle policier et gestionnaire discret. Il ne s’agirait pas d’opposer “la bonne mobilité” à la mauvaise, de préférer le piétninement sur place à la précipitation vers l’intensification du moi, mais de considérer bien plutôt comment l’arrêt-pour-parler est la seule alternative humaine à la mécanicité narcotique et autistique promise par le collectiif-sans-extériorité que se veut, dans l’idéal, le motif globalitaire.
Denis Duclos
Compte rendu de la séance du 30 Novemnre 2000
Je reprend ici des discussions soutenues avec certains participants à l’issue de la dernière séance (et notamment avec Marcos Zafiropoulos, Roger Ferreri, Nicolas Stoffael, Michel Thibon-Cornillot Aldo Haesler, Michelle Dobré, Frank Chaumon et Dany-Robert Dufour).
1. Le thème de la catastrophe écologique et du risque a paru cacher une difficulté à définir un “objet” consistant. Je précise donc que mon objet est de comprendre comment le “traumatisme”culturel inhérent aux parlants humains se manifeste et se propage dans l’histoire via différents prétextes (ou symptômes). Je développe l’idée dans un travail en cours sur l’alternance des grandes métaphores centrales dans la société “historique”. (“Esprit et Corps dansent avec l’histoire”.) . L’hypothèse est la suivante : dans une société qui fait histoire, on se transmet de génération en génération la question... de la génération précédente. La question vise précisément ce qui ferait entre nous société (celle-là, dans son historicité qui lui serait propre). C’est cette question, toujours reprise comme une énigme venant du passé (qui avons-nous été, et donc qui sommes-nous ?) qui centre cela même qu’on appelle société, comme collectif vivant, et pas seulement ensemble -heureusement- mort d’institutions et d’habitudes.
Ce centrage par une question ne peut s’afficher tel quel, et il porte toujours sur ce qu’il y a de plus difficile à se représenter : le point de fuite où nous n’aurions plus à porter le crime, où nous serions enfin “une bonne société”.
Cette oscillation suffirait à expliquer la transmission, sans avoir recours aux étranges -et tenaces- théories de Freud sur la phylogenèse (souvenir génétiquement enregistré d’un meurtre réel du chef de horde primitif). Ces théories sont évidemment dues au fait que Freud n’avait pas “dénaturalisé” la question des effets de langage (ce que feront le structuralisme et Lacan), et avait besoin d’une causalité assez forte pour empêcher l’oubli de ce qui est à transmettre(comme le monothéisme).
Dès lors qu’on admet le caractère purement culturel du trauma et sa reproduction incessante du fait même de la transmission langagière, on n’a plus besoin de phylogenèse, mais on a besoin encore de comprendre comment chaque génération reprend le “malaise” au travers des énoncés qui lui sont proposés comme solutions à ce malaise ontologisant chronique.
La question du crime ne se transmet en effet pas telle quelle, inchangée, mais au travers de transformations par oppositions : nous avons tendance à nous dédouaner en définissant le crime de nos ancètres plus proches pour y opposer une nouvelle figure du salut. C’est cette démarche constante de rejet de soi, de déplacement d’un énoncé à l’autre, que je crois fondamentale, bien que négligée par l’histoire ou la sociologie classique, trop accaparées les unes et les autres par leur propre projet de nouvel idéal (la réflexivité est déjà durkheimienne), pour véritablement rendre compte d’un mouvement culturel qui ne serait pas réductible à la simple évolution socio-technique. Naturellement comme toutes les générations s’entrelacent, on pourrait supposer qu’on ne peut saisir qu’un flux continu de propositions nouvelles, de ce fait même réduites à l’insignifiance. Or l’histoire se construit par consensus intergénérationnels autour de “faits” pivotaux, qui sont évidemment des symptômes (bien que Chaumon m’ait reproché de ne pas les traiter ainsi), qui produisent le champ historique lui-même comme champ d’enjeux, mais aussi comme champ conversationnel dans le temps, de sorte que la périodisation est d’autant plus symptômatique qu’elle est acceptée.
Pour analyser , mon point de vue est simple : il faut toujours aller au crime le plus massif d’une époque en contrepoint duquel se prépare le crime massif suivant. Ce n’est d’ailleurs, pas un hasard, si Marcos Zafiropoulos a réintroduit, à un certain moment, la question d’Auschwitz.
Mais ensuite l’explosion de la discussion en une sorte d’enchère aux massacres (où il faut reconnaître qu’avec ses “deux vaches”, tel participant “optimiste” faisait assez parent pauvre à côté des 60 millions de morts humains de la guerre de Chine selon Thibon-Cornillot , ou ceux de la conquète américaine selon Dufour) a été révélatrice, mais radicalement loupé ce que je voulais dire. Car fondamentalement, le “crime” du collectif n’est pas une répétition de chiffres (répétition comptable qui en occulte le tranchant), mais une catégorie opposée à celle du précédent crime. Je m’explique : reprenons la question d’Auschwitz. On admettra qu’elle nous est léguée par l’époque précédente (précédente au sens où nous voudrions en sortir) de façon au moins ambivalente : est-ce le dernier crime de l’orgueil ethnique, ou le premier de l’horreur du productivisme industriel ?). Je ne parle évidemment pas de réalité des faits, mais de l’ambivalence fondamentale mise en circulation symbolique. On verra qu’il n’existe alors qu’une solution pour se démarquer de cette ambivalence : prétendre construire une société cette fois entièrement débarrassée des identitarismes... en constituant du même coup l’identitarisme universaliste qui fut celui-là même des Lumières. Autrement dit, notre idéal contemporain est celui de la “réalisation” sociétale de cet idéal, rendue seulement possible après ‘extinction des derniers régimes ethniques déguisés en régimes sociaux.
Or, dès le moment où nous avons défini notre manière d’échapper à l’incrimination de nos parents, gràce à notre “plus-jamais-ethnique” à nous, nous appelons aussitôt à notre propre incrimination, en miroir même de notre nouvel idéal, cette fois vraiment et totalement pur (et plus seulement racialement) : qui pourrait critiquer la pureté de l’idéal universel des droits de l’homme ?. Nous commençons d’ailleurs à voir voleter des anges (surtout Pommier, mais aussi Serres, et bien d’autres) dès lors que pureté rime avec internet et contrôle chimique des passions (universalisation des normes).
Là encore, je ne dis pas que je souscris à (ou que je refuse) cet idéal : je me contente de proposer de voir une certaine articulation forte entre cet idéal contemporain (qu’évidemment je partage pour une grande part), et le précédent, celui de l’Etat-Nation. Et j’en déduis ceci : si le crime de l’Etat-Nation, c’était nécessairement de vouloir exterminer la nation concurrente, alors le crime de l’universel, c’est de vouloir “tout” exterminer. Tout au sens de ce qui représente la totalité : la “nature” par exemple, en tant qu’elle nous traverserait et nous unirait, dans l’image de la planète. (confère le théâtre de ce grand dramaturge britannique sur le “crime du XXIe siècle”). Je prétends que la culpabilité contemporaine inconsciente se forme comme un discours autour de la métaphore de l’universel et comme son envers. Si nous voulons faire la “clinique” de la passion contemporaine de l’universel, c’est là qu’il faut chercher : autour de l’accident climatique, comme métaphore de ce crime-de-l’universel, que nous désirons/haïssons (ou de ses variantes : épizooties diverses et variées, imputées au “productivisme”.)
Pour mieux me faire comprendre, je suis donc parti... du présent (ce qui était peut-être une erreur, mais faire autrement nous aurait entraîné trop loin.), en m’adressant surtout aux gens qui, justement, se sont fait depuis vingt ans, une spécialité du “risque de société”. On aurait tout à fait tort de croire que cette petite “bande d’experts” sont complètement isolés du reste du monde. Je n’ai pas eu assez de temps pour vous raconter au contraire à quel point ce qui se passe chez eux est souvent très révélateur de ce qui va se passer un peu plus tard dans les mouvements d’opinion d’abord, dans la sensibilité culturelle profonde, après. Ils servent un peu de mise en scène d’avant garde, avant les grandes dramaturgies sociales. A moins de considérer que ce que disent les médias n’a rien à voir avec l’inconscient collectif, on ne peut pas considérer comme inintéressantes et non significatives des questions qui forment maintenant à l’année longue, plus du quart des informations , tous supports confondus. Et là encore, pour moi, ceux qui paraphrasent les médias en présentant avec quelque arrogance leur travail comme élucidation sociologique, n’élucident rien du tout. Au contraire, je propose une hypothèse : la catastrophe fait centre, elle fait objet attracteur, comme cet “effroi” dont parlait Quignard à propos de l’antiquité tardive et qui se mua en christianisme... (et ce n’est pas un hasard si Aldo Haesler a fini par parler du “mal” selon le gnosticisme : mais je n’ai pas couru assez vite pour montrer que cette inévitable.dérive à la religion est partie intégrante du virage métaphorique autour de la catastrophe).
Mon objet, c’est donc - pour résumer-, d’étudier les déplacements du refoulement de la culpabilité sociétalisée autour de la métaphore centrale d’une époque. Et de proposer une méthode pour saisir les sens profonds des mouvements apparemment incohérents du débat social, sur des échelles de temps assez longues.
Je pense donc me situer tout à fait au coeur des enjeux épistémologiques, pour le moment largement vidés de leur vitalité par la narcose gestionnaire et le “discours de l’Universitaire”, totalement aplatissant et implosif- pour ne pas dire réactionnaire- dans une France intellectuelle inhabituellement refermée sur son escargot intérieur (à coquille hexagonale).
-Cela ne m’empèche aucunement d’être “guilleret”, même avec la science -qui est pour moi en réalité un gros paquet de théorèmes utiles, quelques chercheurs plus ou moins amusants et surtout... un statut qui me permet d’exister et de questionner à l’abri d’autres sectarismes bien pires. Mais le fait d’être assez placide sur la distance entre la “société réelle” (je dirais plutôt le lien social réel, ouvert entre institution et rencontre) et la “société idéale” passée ou en formation, n’implique pas de refuser d’étudier comment fonctionne le rapport de l’un à l’autre.
Je le maintiens d’autant plus que plus la consistance imaginaire de la société idéale est forte, et plus nous devons subir les avanies combinées de l’incrimination et de la gestion, les alternances d’euphorie, de phobie et d’indignation vertueuse sous lesquels les régimes de la névrose collective imposent leur violence conjuratrice aux personnes. J’appelle cela tout simplement le pouvoir, parce que depuis Foucault, on n’ a pas trouvé de meilleur mot. Si nous pouvons trouver un autre mot, n’hésitons pas ! Ce qui me frappe au contraire, dans la plupart des époques que j’ai un peu fouillées (en me faisant plus érudit que d’habitude), c’est le rapport direct entre la capacité oppressive du pouvoir et la consistance imaginaire de l’idéal à laquelle tous participent.
2-Pourquoi on ne rencontre pas le sujet des préoccupations que j’évoque sur le divan ?
Deux réponses : a. tel psychanalyste n’est pas tel autre. Il n’y a pas de divan universel.
b. Ensuite, la névrose sociale que j’aborde est seulement l’homologue de la névrose individuelle que le psychanalyste rencontre. Elle est, de plus, symétrique : la névrose individuelle est symptôme de ce que la névrose collective n’absorbe pas. La névrose collective est souvent guérison de la névrose individuelle. Je me guéris de ma résistance singulière en empruntant les voies du refoulement collectif. Heureusement, je n’y parviens jamais parfaitement, sinon nous vivrions en régime perpétuellement fasciste.
Ce point me rappelle une question soulevée lors de la soutenace de HDR de Michel Boccara : va-t-on à nouveau distinguer collectif et individuel dans la théorie du sujet ? On y est obligés : si la structure est la même chez le sujet, qu’il soit seul ou avec d’autres, c’est précisément dans ce qui se manifeste d’une résistance du “je” au “nous” (dans la présence du “je” dans le seul passage entre deux signifiants conventionnels). S’il y a résistance du fait du sujet au fait collectif, c’est bien pour quelque chose, même s’il est entendu, précisément, que tout le reste n’est qu’“extime”. L’extimité elle-même n’est-elle pas le dispositif qui permet -par convention- au sujet d’échapper à la collusion totale du collectif et du symbolique ? Quand notre maître Lacan s’acharnait à dire qu’il n’existait pas d’agencement collectif des énonciations, c’était bien pour marquer la différence. L’énonciation reste le privilège, par convention démocratique, de l’individu-névrosé-résistant, contre l’énoncé, le discours, qui lui, peut faire soin collectif. Or je parle bien du discours collectif !
3. Le sujet du “risque” n’intéresserait que certains groupes. Ce n’est pas une question utile, sinon comme symptôme.
Il est vrai que la catastrophe intéresse plus le psychotique que le névrosé. Mais même chez ce dernier, l’intérêt pour l’eschatologie (le discours sur la fin) n’est certes pas limité à l’adventisme “obsessionnel”.
Parlons d’un risque “mineur”, qui est celui qui est en train de ruiner l’économie américaine et mondiale : cette passion du jeu boursier dont Zafiropoulos me disait un jour que c’est ce qui avait permis au capitralisme de triompher du communisme, monde d’un ennui mortel. N’est-il pas justement ce qui centre entièrement la société-monde ? Et si c’est vrai, comment ne pas se demander ce qui se cache d’un désir suicidaire derrière cette mise en jeu massive et mécanique, elle-même de plus en plus ennuyeuse -comme le prouve l’effondrement de la nouvelle économie ?
Ceci dit , n’oublions pas que nous n’aurions plus chauffage ni électricité sur les divans si l’un de ces groupes si particuliers appelés “nucléaristes” (et avec lesquels je travaille comme d’autres avec leurs patients) ont ne serait-ce qu’un moment d’inadvertance dans la conduite du système nucléaire français.
Quant à la vache folle, le divan s’en contrefiche peut-être, mais certainement pas les gens dont je garantis qu’elle a été le sujet de conversation majeur pendant un mois, et que cela ne se tarit pas, sinon pour entrer dans le registre plus général de la “catastrophe”, même si c’est surtout pour récuser le catastrophisme et tout tourner en plaisanterie. Car, bien évidemment, le refoulement réussi permet un certain bonheur d’être ensemble. Il ne permet pas seulement le pouvoir, mais aussi son contraire, selon les penchants de chacun dans la réponse à l’angoisse, et surtout selon l’organisation du champ de paroles. Souvent, le côté tragique et le côté plaisant son liés : rappelons-nous comment, pour pouvoir un peu dédramatiser la question linguistique et retrouver ce côté truculent qui fait leur charme, les Belges ont d’abord dû faire la marche blanche et tourner autour de, enfin Dutroux, comme s’ils étaient de purs enfants, non parlants et asexués. Ou comment les Français, pour renouer avec les questions angoissantes cachées derrière la liberation sexuelle ont de nouveau utilisé Dany Cohn Bendit comme bouc émissaire cathartique (rôle dans lequel, à l’instar de Benjamin Malaussène, il excelle.) Cette réactivation du modèle religieux classique devrait appeler de notre part le rappel de la critique freudienne de l’Illusion, même si cela demande un peu de courage. Car il est toujours courageux de rappeler aux névrosés de l’époque combien facilement ils se laissent ramener à la névrose infantile comme modèle social de la castration, modèle si appauvrissant par rapport aux ressources névrotiques individuelles.
Mais ce sera le sujet de la prochaine fois !
D.D.
“L’alternance corps-esprit : un modèle temporel de la dominance des métaphores centrales dans la culture.”
Pour pouvoir saisir ce motif d’une alternance possible entre polarités, nous avons utilisé les notions dissymétriques de l’Esprit et des Corps, qui traversent l’historicité de cette civilisation, en y prenant une diversité de sens, mais en regroupant néanmoins deux constellations sémantiques assez consistantes en confrontation et en échange. Ainsi de l’esprit qui tend souvent à la fois à l’abstraction, à la mesure, au comptable de la multiplicité, à la relation, à l’unité et à l’universalité, tandis que “les” corps manifestent plutôt l’affirmation du concret, de la présence débordant le calcul et le mot, de la singularité et de la pluralité. Les deux groupes de signifiants échangent en revanche souvent des idées : celle de la “synthèse”, par exemple, oscille fréquemment entre l’inscription dans un système (une structure) et l’engagement d’un corps vivant dans le jugement.
Bien sûr, notre insistance sur la dualité ne préjuge en rien des pluralités structurées reconnues dans chaque époque (telles les “quatre” grandes écoles philosophiques en période hellenistique et romaine) ou celles qu’on pourrait déchiffrer de façon purement empirique. Mais nous soutenons que toutes les pluralités tendent pour l’objecteur au passé (dans la mesure où cet objecteur est lui-même tenu pour un acteur social et historique important) à se déplacer puis à se condenser dans un “signalement de l’Autre”, qui lui permet alors de se situer lui-même comme si sa position prenait valeur “historiale” (ce thème heideggerien se trouve ainsi relativisé.)
On pourrait aussi suivre les décalages, les séparations et les rapprochements cycliques de Corps:Esprit avec une autre grande opposition, cruciale aussi bien dans les religions que dans les psychanalyses : celle des métaphores paternelle et maternelle et des sociétés chaudes et froides qu’elle sont censées organiser depuis des lustres.
Suivre le jeu des objections réciproques (ainsi que des chiasmes et des médiations) entre les deux grandes polarités d’esprit et de corps de la culture occidentale nous a conduit à éprouver l’affirmation selon laquelle aucune irréversibilité (aussi bien positive, selon Norbert Elias ou Habermas, que négative, dans la tradition pessimiste reprise aujourd’hui par P. Sloterdijk) ne saurait être sérieusement analysée sans tenir compte des “tempos” ou de “battements” de la conversation historique. Cela peut nous aider à mieux réfléchir sur le caractère presque caricatural des controverses actuelles sur le “sens” de l’époque ( comme catastrophe écologique finale ou, au contraire comme merveilleux accès à la fin de l’histoire)...
Cette discussion ressaisit aussi le thème (souvent abandonné et repris) des ruptures et des cycles considérés en eux-mêmes (contre lesquels s’élevait l’Ecole historique française).
Dans le rapport à la fondation inconsciente des sujets, notre position permet aussi de reprendre la question suspendue de la “phylogenèse” freudienne, dans la mesure où l’historicité considérée comme objection du présent par rapport au passé peut transmettre la mémoire non pas d’un crime totémique réel mais d’affirmations collectives menées successivement jusqu’à l’extrème.
C’est dans cette perspective que nous avons évoqué et travaillé l’hypothèse selon laquelle les “volte-face” distinguant de grandes ères (chacune “campant” autour soi de l’Esprit soit des Corps comme constellations de positions dominantes) ne proviennent pas seulement d’un glissement progressif et circulaire (qu’on rencontre dans les théories de la pensée analogique ou parataxique notamment dans les corpus étudiés par Mary Douglas), mais de véritables mouvements s’exerçant en sens contraire (ou supposé tel) d’une affirmation précédente, laquelle paraît soudain caractériser, dans son ensemble une “voie fatale”.
Peur ou hallucination sociale, il semble bien en effet qu’en certains points de bascule du débat (qui ne sont pas seulement épistémiques au sens de M. Foucault), l’évolution lente du jeu des objections soit remplacé par le tempo rapide du renversement complet (Spinoza, Rousseau ou Nietszche ont pu être des marqueurs de tels moments “d’ouverture talmudique”).
Dans ces moments, la “proposition” précédente -aussi étayée qu’elle ait été dans le passé plus lointain de raisons sociales fortes- apparaît brusquement comme un énoncé complet dont les conséquences pourraient être, en l’appliquant à la lettre, suicidaires ou délirantes. Alors se précipitent les “conversions” à des propositions qui peuvent paraître opposées à celle dont la réalisation semble désormais criminelle ou folle. Et nous entrons dans un cycle nouveau dont le marquage avec le précédent fait “savoir historique”.
Que ces volte-face et ces progressions paraissent s’effectuer sur la trame d’une grande opposition corps-esprit est sans doute discutable, comme le serait le choix de n’importe quel système de signifiants rassembleurs privilégiés. L’important est sans doute, pour ce stade de la recherche, qu’il permette une riche moisson heuristique, et de réouvrir une discussion entre disciplines, aujourd’hui trop souvent étroitement renfermées dans leurs coquilles, parfois déjà fossiles.
Une question, tout de même pour finir : si une histoire des fictions opposées creuse un salvateur écart de pensée (un attracteur de parole) avec chacune de ces fictions dans sa prétention totalisante, n’est-elle pas elle-même une fiction ? La réponse est : bien sûr.
Compte rendu de la séance du 29 Maris 2001 “La science et la victime : ou la névrose infantile au pouvoir.”
“Si l’on devait qualifier d’un terme philosophique la dérive de l’actuel “processus de civilisation” ( ce mot terrible cause des trous dans les muqueuses de la bouche), il faudrait alors dire que ce processus ressemble à une avalanche pensante.”
Je reprend ici des discussions soutenues avec certains participants à l’issue de la dernière séance (et notamment avec Marcos Zafiropoulos, Roger Ferreri, Nicolas Stoffel, Frank Chaumon et Dany-Robert Dufour).
Dans ma présentation, je tente de lier le personnage de l’enfant-victime, et plus généralement du sujet-victime à une représentation universalisée de la société de pédagogisation “naturelle” issue de l’Emile de Rousseau.
Ce qui caractérise la victime est en effet son innocence essentielle, dont on sait qu’elle caractérise l’homme naturel de Rousseau, et surtout l’enfant, en tant qu’il est davantage relié à cette nature et ne s’en laissera pas détourner en devenant adulte par des défaillances culturelles découlant d’intentions “méchantes” (résidus présumés irréductibles à la pure naturalité, et qui serviront d’amorces à la paranoiä de Jean-Jacques).
La société “de science” à laquelle la pédagogie succombe finalement ne supprime pas le programme rousseauiste de continuité nature-culture, via le sentiment inné du “système moral”, mais le complète du côté d’une nécessaire mesure. On retrouve aujourd’hui l’idéal continuiste et son lien de compromis avec la mesure scientifique chez Bruno Latour (compromis qu’on voit apparaître par exemple dans les notions de “quasi-sujet” ou de “quasi-objet”) ou chez Jean Pierre Changeux (dans l’idée d’une morale “neuronale”). Ce registre du compromis n’existe cependant pas chez Rousseau qui assène le sentiment spontané et innocent de la nature comme un dogme totalement péremptoire, non seulement à partir de l’évidence intérieure au sujet, mais aussi en convoquant le concert des nations (les deux communiquant directement comme expressions complémentaires de “l’humanité”). C’est ce péremptoire, appelé depuis les Lumières à remplacer l’exploitation de la culpabilité par la religion, qui va former le socle d’une représentation sans négativité de la condition humaine, laquelle, déjà d’emblée sur la pente de l’instrumentalité et de l’utilitarisme, va s’allier étroitement avec la positivité scientifique pour constituer le cadre de la raison moderne.
Tant que ce cadre demeure un idéal assez lointain, thème minoritaire toujours aux prises avec une religiosité dominante, puis relativement isolé à l’Occident dans un monde à l’immense diversité culturelle, la folie-Rousseau n’entraîne pas de réactivité symptomatique particulière. Pour provoquer la réactivité névrotique collective à laquelle nous assistons aujourd’hui via l’imputation d’une nuisance insupportable à des personnages criminalisés comme s’attaquant de manière générique à l’enfance (métaphore du temps, comme ce qui incarne notre passé et notre futur), il faut que la folie-Rousseau (déjà bien vue par Dany-Robert Dufour ) se transforme en programme sociétal, voire en programme planétaire à réalisation immédiate. Ainsi l’adulte réduit au consommateur s’infantilise-t-il , tandis que l’enfant s’adultifie (partageant par exemple avec l’adulte voiturettes, trotinettes et sports de glisse). Plus largement, enfant comme adulte sont placés dans des hiérarchies de traitement sériel au sein desquelles ils sont progressivement “traités” (par âges scolaires, groupes et strates consommatoires etc.) sans violence ouverte, mais toujours dans une douce pédagogie du réel (marketing, gestion, etc.). Dans chaque sujet est repéré ce qui fait série avec les autres, notamment en termes de désirs, de telle sorte que chaque désir peut trouver son objet plein dans un rayon du supermarché mondial. Y compris et d’abord les nombreux objets de “perversion” tels qu’on admet, depuis Rousseau, qu’ils sont d’inévitables avatars de la condition sexuée.
Se pose alors un problème : un “système moral” planétisé et autorisant toutes les déclinaisons des penchants “naturels” (tous les penchants étant dans la nature), à la seule condition d’être ordonnés par la loi et ses techniques (telle celle du contrat), ne fait-il pas du sujet humain une “machine à plaisirs”, appendice mécanique de la grande “machine sociétale” à tamiser , à répartir et à faire circuler les passions ?
Cette question se présente vite sous forme angoissante. Face à cette universalité naturaliste supposée en cours de réalisation (post-modernité ?), se lève donc , par la voie de symptômes multiples et énigmatiques, une objection névrotique socialisée : objection à l’emplissage du sujet par la pure positivité naturelle/humaine incarnée par l’adulte moderne. Qu’est ce, en effet, que l’universalité “réalisée” d’une démocratie planétaire, d’une “société -monde” comme disent les sociologues de l’Association internationale de sociologie ? Qu’est-ce, sinon un point de perspective proche où se confondraient planète et humanité, ces avatars actualisés de l’opposition nature-culture ?
Or cette coextensivité présumée parfaite, complète, de l’expérience humaine raisonnable et du “réel” désormais résumé par la biosphère se propose, pour l’angoisse névrotisée, soit comme l’inadmissible séduction psychotique de la désubjectivation, soit comme la jouissance perverse par excellence. On appelera phobie ou hystérie les choix d’objections du premier type, et obsession celles du second. Leur caractère de relativité réciproque dans une structure conversationnelle (comme discours) les rend disponibles à la “découverte” aussi bien dans le domaine interpersonnel qu’aborde la psychanalyse que dans le domaine collectif. Mais n’oublions pas que dans l’un ou l’autre cas, la “découverte” suppose la participation des découvreurs à la dramaturgie en question.
Au plan collectif, il est clair que la peur d’une mythologique confusion des générations (“tendre embrassement” incestueux qui fascinait pourtant aussi bien Diderot -ou son double obscur Morelly- que Rousseau) déclenchera le discours antipédophile, mais aussi celui qui récuse le clonage : il s’agit toujours d’un recul angoissé devant une fusion du présent et de l’avenir, d’un retour forcé de l’avenir sur le présent, de la descendance sur l’adulte actuel. Dans l’espace, la peur de la confusion rend compte des phobies de l’autophagie (par l’alimentation animale ou le pooolage sanguin) : l’espace public devient en effet celui de la contamination, la contamination étant à son tour contamination du soi pur par le soi impur, de la pensée pure par la pensée impure (celle du prion infectant le cerveau de la vache raisonnable...). La contamination est en elle-même folle puisque, par exemple elle nous amène à déraper automatiquement en terminant une phrase telle que : si le bovin et l’homme sont semblables dans la vulnérabilité au prion, et qu’on abat le bovin par centaines de milliers d’individus pour sa vulnérabilité à la fièvre aphteuse, qu’est-ce qui nous retient... d’en faire autant des humains ? Sans même parler de la convocation des éleveurs Massaï pour juger des abattages massifs, nous sommes convoqués pour... ne pas parler d’holocauste (alors même que c’est le mot des sacrifices animaux massifs dans l’antiquité gréco-romaine) .
C’est d’ailleurs en n’en parlant pas que nous permettons aux phobies personnelles et collectives (végétarisme militant) de continuer à s’exxprimer comme énigmatiques. De la même façon l’infans (l’enfant : celui qui ne parle pas) est convoqué comme personnage muet, tandis que sa version adulte -la victime- n’est convoquée que pour parler de sa vicrtimisation (discours hors duquel toute parole devient médiatiquement illégitime, et aussitôt censurée.)
Il resterait à expliquer pourquoi et comment la réactivité névrotique à la proposition “folle” d’une fusion nature culture (enfant/adulte) va s’en prendre d’abord et exclusivement à des personnages individualisés peu représentatifs et peu nombreux (les dits criminels sexuels pédophiles, plutôt étiquettés “abuseurs d’enfants” en langues anglo-américaines), et non à son objet central, évidemment collectif : e type de “système moral” étouffant et sans extériorité (au delà de la nature planétaire), ni intériorité (le contenu du contrat importe peu), ni, bien sûr, négativité (la consommation de tout objet désiré est un fait purement positif).
Il ya plusieurs réponses articulées à cette énigme : la première est qu’il est toujours plus aisé de s’en prendre à un personnage qu’à un paysage (pour reprendre l’opposition de Roger Ferreri). ou à un système. La seconde est que la réactivité névrotique à un énoncé se présentant toujours comme culpabilité, c’est d’abord soi qu’on incrimine comme potentiellement “incestueux” avant d’en rejeter immédiatement la faute sur un personnage extérieur. La troisième raison est que la construction d’un système moral, aussi anonyme et global soit-il passe par l’affirmation de groupes dotés de héros et de personnages emblématiques. Ainsi la revendication d’un “jouir sans entraves” dans la modernité techniquement évoluée ne s’est-elle pas suffi de la paternité lointaine de Rousseau, mais s’est-elle affichée comme idéal de la génération “68”, ou, par ailleurs, par un mouvement militant comme la “gay pride”. Le débat médiatisé sur l’idéal libertairedont Daniel Cohn Bendit a été le protagoniste a fait le lien entre le personnage démonisé du criminel sexuel (personnage dont l’érection institutionnelle sans critique a sans doute été l’occasion d’innombrables erreurs et acharnements judiciaires), et l’emblème de la libération sexuelle d’une génération. Il est possible que l’établissement conscient de ce lien ait produit un effet cathartique atténuant la tendance de la névrose à s’attaquer sans discrimination aux personnes (les livrant, de fait à la perversion institutionnelle). A-t-il pour autant permis à la névrose collective de se ressaisir de son objet d’angoisse le plus fondamental et partant le plus refoulé (y compris par une psychanalyse qui ne saurait admettre la fascination par la “grande mère” et pourtant contribue à son culte via l’encensement du super-père mort) : le système sociétal comme proposition de fusion intergénérationnelle ? On peut en douter.
La discussion n’abordera que très indirectement la question de la “pédophilie”. Elle fait apparaître très vite trois ou quatre positions engagées, et symétriques, par rapport à un objet implicite beaucoup plus vaste : le “garant méta-social” et sa “destruction” possible.
-Ainsi la position, soutenue par Dany Robert Dufour, selon laquelle la crise réelle de l’instance familiale s’inscrit dans une crise plus générale du “grand sujet”. Cette figure sociétale permet aux “petits sujets” d’admettre la soumission à un principe tiers avec lequel elle fait transition et permet, du même coup, la transmission intergénérationnelle. Sans même parler de la crise de la figure paternelle, il semble que dans une société post-moderne qui s’agence comme un système (démocratique, technologique, etc..), cette figure, “désinstitutionnalisée” ou “déterritorialisée”, vient à manquer, ce qui expliquerait l’apparition de traits de folie répandue collectivement.
Frank Chaumon demande à Dany Robert Dufour s’il ne pense pas que le modèle démocratique actuel ne constitue pas en lui-même un “grand sujet” auquel les “petits sujets” seraient justement obligés de souscrire dans toutes ses implications ? Et notamment celle d’une “fatigue d’être soi” que Ehrenberg impute à la performance, alors qu’on pourrait au contraire se dire que cette tendance dépressive d’époque est explicable par l’étroit encadrement du système moderne sur les individus, sur leur définition même comme purs sujets d’une activité économique. Au fond, ce qui pourrait sembler être “du système” n’est-il pas justement ce qui serait le contenu-même de la figure du sujet contemporain ? Il devrait “fonctionner” en lui-même comme le sociétal fonctionne vis-à-vis de lui : comme l’organisation d”une circulation, d’une consommation. N’est-ce pas là une forte détermination institutionnelle ou territoriale du sujet (certes dans l’espace abstrait de l’échange) ?
Markos Zafiropoulos conteste vigoureusement la thèse -venant de Durkheim- selon laquelle nous vivrions une crise de la famille réduite à un “trognon” d’intimité conjugale, alors que le passé aurait connu la vraie puissance de la famille. L’étude de l’évolution familiale montre que d’un côté la famille nucléaire et précaire a toujours existé au coeur des formations plus amples, et qu’iinversement aujourd’hui, la famille demeure une instance puissante, sur les deux registres. Il semble qu’il ait toujours existé une grande souplesse et une grande complexité entre l’institution familiale, les rôles et les personnes réelles. Comme le fait attesté que dans le droit romain d’une certaine époque une pucelle pouvait hériter d’une charge de “pater familias”. De sorte que l’idée d’une déperdition de la métaphore paternelle, par exemple, semble peu fondé. Prétendre qu’il existe une crise générale de la transmission, c’est sous-estimer ce caractère adaptatif et fluctuant de l’institution.
M. Zafiropoulos pense, par ailleurs, qu’en cer qui concerne les réactions publiques envers la figure de “l’abuseur”, nous sommes en train de connaître des évolutions, des modulations. La charge d’indignation se règle avec plus de modération, vers plus de justesse, notamment en s’appuyant sur la notion de “résilience” des sujets traumatisés (leur capacité de “rebondir”). Comme toujours dans ce type de phénomènes, l’histoire émousse le tranchant des vagues réactionnelles, et produit, au fond.. un progrès.
Pour Denis Duclos, cette opposition entre “pessimisme” et “optimisme” correspond à des objections en décalage : la position de dénonciation de la désubjectivation réagit à la proposition moderne dans toutes ses conséquences. Elle pointe un effet de désordre là où l’ordre (binaire) semble vouloir s’imposer. La position “de progrès” s’oppose peut-être aux conséquences en termes d’angoisse d’une telle reconnaissance. En gros Zafiropoulos-Aristote ne pose pas en soi ses énoncés évolutionnaires, mais afin de relativiser et s’opposer au pessimisme de Dufour-Platon.
Mais situer ainsi deux positions comme symétrique et relatives l’une à l’autre est évidemment une position qui s’enchaîne à celles-ci, toujours en récusant l’angoisse (soit celle que soulève le pessimisme d’un monde sans grand sujet de référence, soit celle qu’entraîne l’affirmation d’un “bien” positif et sans négativité).
Markos Zafiropoulos se demande si la notion de sujet discutée ici tient compte des domaines déjà balisés par la psychanalyse dans son échange avec l’anthropologie structurale, et notamment par Lacan, autour des concepts du “sujet de l’inconscient”.
Denis Duclos relance le débat sur ce point : le “sujet de l’inconscient”, plus ou moins produit par les effets de signifiant sur le vivant-qui-parle, n’est-il pas en train d’être figé par la théorie structurale elle-même à la manière dont le sujet-de-la-consommation serait figé par le contrat post-moderne (critiqué par le juriste Alain Supiot) ? S’il ya progrès intellectuel incontestable à passer d’un sujet “réel” de l’intention (déjà organisé par le système des signifiants) à l’idée d’un sujet “préconstruit”, mais se dévoilant comme ce qui “ne marche pas” dans la machine symbolique (le “trou-matisme”), est-ce qu’on ne risque pas d’installer un nouveau sujet (de manipulation de pouvoir), dans le fait même de croire dur comme fer à la régularité des effets de pathos du symbolique ? Au fond, si nous avons attendu le sujet de la philosophie (et surtout de la phénoménologie) au coin du bois de l’intention (pour mieux le piéger dans la culpabilité, évidemment), ne sommes-nous pas en train de faire la même chose au coin de la forêt du Pathos-du-signifiant ? Le sujet nous tomberait tout cuit sur le divan, tout pantelant des rafales bien connues (et bien balisées) de la forclusion et d’autres figures de style errant dans la culture ? Sauveteurs des victimes du signifiant, en sommes-nous moins des agents de la police sociale ?
Depuis la rentrée 2000, a été ouvert un cycle de conférences-discussions sur des points de synthèse et d’épistémologie des principales disciplines de la société contemporaine. Le principe en est simple : Denis Duclos soumet un argument au débat, qui se déroule ensuite, et dont on tente de conserver trace pour la suite. Le cadre est sympathique, l’embiance conviviale, et les prolongations en brasserie nocturne, pratiquement de rigueur.
Organisation : Nicolas Stoffel
Nous serions heureux que vous participiez à la prochaine rencontre, sur le thème :
“Impossible Universalité ?”
(voir argument ci-contre)
qui aura lieu
le Jeudi 13 Décembre 2001, à 20 h 30
Bibliothèque Lasteyrie, Société d’Encouragement de l’Industrie,
4 place St Germain, 75006 Paris
Rappel
En 2000-2001 trois soirées ont déjà eu lieu (dont les compte-rendus sont disponibles)
Le 30 Novembre 2000 :
“Société du risque ou narcose comptable ? une analyse des ressorts et des limites de la gestion moderne.”
Le jeudi 29 Mars 2001 : “La science et la victime : ou la névrose infantile au pouvoir.”
Le Jeudi 28 Juin 2001:
“L’alternance corps-esprit : un modèle temporel de la dominance des métaphores centrales dans la culture.”
Impossible Universalité ?
Le propre de l’universalité est de supprimer l’extériorité : au delà du “limes” de l’Empire-monde, rien que les étoiles. Mais la pure intériorité d’un monde enfin unifié (et ainsi transformé en univers acentrique) constitue un défi, voire un péril pour les forces centralisatrices, étatisantes et socialisantes qui ont toujours principalement construit les solidarités “nationales” qui les soutiennent en défense contre l’extérieur : ennemi avoué ou simple différence culturelle. L’entretien d’une force armée maintenue contre les agressions provenant de l’extérieur est toujours plus populaire, mieux reçu, que l’existence d’une force de police souvent suspectée de menées “liberticides”. Or, dans le contexte des récentes attaques terroristes de masse, la formation d’une sorte d’Etat mondial de la coopération répressive marque le passage (d’ailleurs confus et ambivalent) d’une logique de guerre (envers un ennemi extérieur) à une logique de police mondiale (dirigée contre des criminels disséminés dans la société-monde). Ce passage entraîne des difficultés et des paradoxes qu’il est utile d’examiner aussi rationnellement que possible (dans un contexte, bien compréhensible, de forte émotivité). Nous tenterons de discuter à ce propos les points suivants :
-Si l’emporte une logique de guerre contre l’Autre (la variante guerrière de l’Islam, les “Féodaux” pachtounes, les “Etats-Voyous”, la mentalité anti-moderniste, etc, ), nous sommes confrontés à la possibilité d’un recul vis-à-vis de l’idéal universel, et nous réactivons des haines éradicatrices . D’un autre côté, les ressorts nationaux se trouvent renforcés, ainsi que les capacités de solidarisation et de mobilisation populaire, dans chaque “camp”. Le risque est alors la dégénerescence du conflit en guerre de religions, voire en guerre sud-nord, dont le prix à payer sera peut-être plus important que ce que pensent les responsables politiques et économiques confrontés à cette dérive (assez inattendue pour eux, si l’on en croit les compte-rendus de la politique américaine en Afghanistan ces dix dernières années).
-Si prédomine une logique de “ministère mondial de l’Intérieur”, nous concourons en revanche à la métamorphose de l’antagonisme entre entités souveraines (peuples, oumma, am, etc..) en une “lutte de classes” interne à la société universelle. Potentiellement, en effet, il peut exister une tendance à opposer les franges privilégiées qui seront les premières à bénéficier du nouveau progrès de la mondialisation (en résorbant les enclaves résiduelles), et la grande masse de ceux qui -dans les pays “riches” ou pauvres, se vit plutôt comme saisie en permanence entre l’enclume du chômage et le marteau de l’exploitation excessive ou du quadrillage consumériste le plus aliénant.
Comment éviter cette propagation possible de la révolte “anti-mondialiste” dans les termes d’un combat interne à la maison-monde ? On peut certes tenter d’isoler des “extrémistes” criminalisés et destinés aux tribunaux civils, dans la tendance de l’idée de crime contre l’humanité. Mais, dans cette optique “civilisatrice”, il faut démontrer que les partisans de la violence contre le système-monde sont seulement des excités et des attardés, des fanatiques sectaires, des conservateurs incorrigibles, incapables de comprendre l’intérêt de la pacification économique d’une zone régionale appelée à la prospérité gazière et pétrolière. Il est d’ailleurs possible qu’il y ait une sorte d’entente entre chefs de sectes agressives et responsables des campagnes de propagande “occidentale”, pour fixer la frontière du sens entre “jeunes suicidants musulmans” et “occidentaux attachés à leur mode de vie”. Mais cette frontière est peut-être difficile à tenir, car à l’ennui de l’existence médiocre proposée à la jeunesse par la gestiocratie mondiale répond peut-être une envie d’en découdre qui déborde largement le ressort classique du fanatisme islamiste. A la véritable “mort dans la vie” qu’une existence informatisée peut impliquer, répond un appel à la “vie dans la mort” héroïque dont la jouissance promise est peut-être encore d’un attrait supérieur. Pour contrarier la folie de ce miroitement des suicidances collectives, il n’est pas sûr que la seule position d’une “police civilisatrice” suffira. Sans doute faudra-t-il aussi réfléchir ensemble sur le contenu de vie proposé à tous les êtres humains dans leur nouvelle maison universelle (au fond déjà existante). Mais peut-on discuter de la vie sans poser le contexte politique d’un tel débat, et du même coup, ses limites ?