Elle comporte un aspect bien plus inquiétant qui est encore enfoui (1) , et n’apparaît guère que dans les fantasmes à ciel ouvert d’Hollywood : elle soulève la question de l’abandon d’un peuple à ses propres passions, même les plus mortelles, par ses dirigeants, bons ou mauvais, . Abandon qui inclut en effet, in extremis, le rejet de populations devenues… inutiles ou présentées comme potentiellement telles.
La problématique de l’abandon n’est certes pas nouvelle, et, le plus souvent est traitée mécaniquement: les élites partent de la métropole saturée de gens et de pollution, ou bien encore en chassent les masses agglutinées en situation passives ! (ce qu’on appelle joliment la « reconquête urbaine », la bourgeoisie cultivée cultivant désormais ses squares à Manhattan).
En Amérique latine, les classes supérieures s’en vont par le haut de leurs immeubles d’affaires pour embarquer dans leurs hélicoptères et rejoindre leurs latifondias, tandis que les catégories intermédiaires s’enferment dans leurs « gated communities » ou dans leurs édifices électrifiés, et que les Pauvres partent en bus dans leurs favelles et autres tugurios et ciudades perdidas, bien contrôlés par des polices fédérales stationnées en cerbères aux portes du peuple « riche ».
Ce peut être encore carrément la désertion organisée hors d’une capitale (dans le modèle brutal des Khmers rouges au Cambodge ou ceux, moins connus, de la Birmanie et de la Thaïlande, avec le « déclassement » de Rangoon et les projets de la junte pour fuir Bangkok), par la dispersion des migrants et leur filtrage dans des camps, etc.
Mais, parvenu à un certain degré de gravité (comme à Delhi ou Pékin) le problème de la séparation des élites aspirant à ne plus être noyées dans la masse se repose : où fuir, quand la moindre métropole a 300 km de diamètre et 600 km celui de son aire polluée et surchauffée de manière insupportable par une marée infinie de camions et de véhicules en tout genres, d’usines de recyclage ou de combustion des déchets, de systèmes d’air conditionné et de brûlis agricoles ? (2)
La question même reste occultée par les apparences, parce que le pouvoir est toujours imaginé comme resserré autour de son centre. Ainsi, l’ingénuité publique -si répandue dans les forums en lien étroit avec des émulsions de haine stupide- se demandera où pourraient partir désormais les dominateurs d’une société mondialisée, si, par hasard, ils étaient tentés par le schéma de la « fuite royale ».
Avec les moyens de surveillance actuelle, et le buzz d’Internet, pas besoin d’un Varennes pour arrêter les transfuges. La conjuration journalistique des Panama Papers indique que les fortunes les mieux cachées peuvent être dévoilées et désignées à la vindicte et à la justice (même si ce ne sont pas encore les plus colossales, et si ce sont plutôt les Riches du Tiers monde ou les petits notables du Premier monde qui se font piéger).
La question de savoir où les élites peuvent s’enfuir devant la « liberté » du peuple demeure une bonne question, et pourtant étonnamment naïve, car les élites n’ont plus besoin de fuir le peuple environnant. Il existe une série de solutions alternatives tournant autour de l’inavouable : faire disparaître le peuple, tout simplement.
Ce dernier semble entretenir sporadiquement une vague conscience que, devenu largement « non employable », il se change en masse inutile à lui-même et aux dirigeants. Mais il s’interdit de penser qu’il pourrait être l’objet d’un génocide non ciblé, non de la part d’ennemis désignables ou occultes, mais de leur propre classe dominante.
Existe-t-il des signes du cheminement d’une telle idée dans les élites mondialisées , sous la bonhomie humaniste de rigueur? Signes qui ne seraient pas des élucubrations hallucinées d’un complotisme ou d’un autre ?
Eh bien la réponse est, hélas, positive, de manière bien plus rationnelle et réaliste : les signes les plus apparents se multiplient le long de trois axes préfigurant clairement leur articulation logique.
Pour les lire, procédons à l’envers, en nous demandant ce que devrait faire une élite universelle désirant se débarrasser de la vaste portion d’humanité qui désormais la dérange plutôt qu’elle ne lui est utile (3).
-1) Elle doit construire la « radeau » de sa propre survie en cas de massacres multipliés. Ce qui implique de pouvoir produire et consommer pour elle-même, indépendamment de la disparition -progressive ou brutale, auto-infligée ou imposée- des prolétaires et autres assujettis (4) jusque-là confinés dans l’inactivité et la drogue en tous genres.
-2) Elle doit développer un système d’armes performants, ainsi que de moyens de renseignement et de surveillance pour neutraliser rapidement une grande partie des humains « superflus » et ont la colère passive risque de déborder un jour ou l’autre ; ainsi que pour contrôler le déferlement des zombis » qui n’auront pas pu être annihilés.
-3) Elle doit « habituer » la masse à l’inéluctabilité d’une catastrophe, dont elle ne devrait imputer la faute qu’à elle-même, en jouant sur de vieux réflexes eschatologiques présents dans les monothéismes (représentant encore la culture de fond d’au moins cinq milliards de personnes) (5) . Le but étant de figer toute révolte par anticipation, et de saper toute réaction des survivants après « l’événement » du suicide collectif éventuellement programmé.
Le croisement de ces trois dimensions permet de présenter les préparatifs d’auto-salvation des élites comme des efforts méritoires, lesquels devront être pris en compte par les « survivants » comme repères d’un futur comportement vertueux et exemplaire, nouveau cadre de la « société du futur » ou « nouvelle humanité » (6) .
Projetés sous la lumière rasante de cette proposition démente autant qu’indécente, un nombre important d’événements et de tendances prennent alors un relief inattendu, et d’autant plus inquiétant. Sans vouloir terrifier le lecteur (peut-être un peu tout de même, connaissant son goût pour les scénarios hollywoodiens et les séries « post-apocalypse » !), je lui suggère néanmoins de se rendre capable de reconnaître sous cette trame d’indications, l’organisation d’une logique peu douteuse.
En premier lieu, il serait aisé (avec notre génial Philip K. Dick) d’apercevoir dans la propagande incessante en faveur des efforts technologiques pour rendre l’humain inemployable et le remplacer par ordinateurs et robots, des préparatifs pour gérer demain confortablement de vastes domaines avec peu de main d’œuvre.
Déjà aujourd’hui les pires latifundiaires utilisent la productivité très accrue des machines à couper la canne à sucre pour se débarrasser de leurs travailleurs par millions et les envoyer aux favelles péri-urbaines se faire exploiter par les Narcos et tuer par les policiers (ou inversement). On les comprend : robots et ordinateurs ne brandissent pas de coupe-coupe contre leurs maîtres lors d’émeutes récurrentes. De plus, comme l’indiquait déjà l’impressionnant Scarface de Brian de Palma et d’Oliver Stone (1983), les mêmes latifundiaires sont aussi les maîtres du marché de la cocaïne et de ses effets de destruction urbaine (7) .
Encore peut-on se dire que la motivation économique est encore présente dans ce cas. Mais lorsqu’il s’agit de supprimer les chauffeurs des voitures de luxe (avec la future Rolls-Royce « rêvée » par BMW), on sent qu’il ne s’agit plus de cela, ni d’ailleurs de sûreté routière. De quoi, alors ? Quelle est cette utopie d’où l’on absente l’homme ?
Partout, inexorablement, et alors que la rentabilité capitalistique de ces activités est faible voire improbable ou nulle, progresse l’acharnement à tout inféoder à l’intelligence artificielle, y compris les métiers exigeant des compétences, de la culture, de l’empathie, et de l’intuition ordinairement réservées à la fraction salariée ou libérale de l’élite.
Exemple le plus flagrant : la généralisation, sous pression d’un management acharné, du recours à des algorithmes pour « imiter » les humains dans ce qu’ils ont de plus humain -la parole, la flexion compassionnelle devant les états d’âme des clients, etc- est évidemment destinée à détruire l’emploi de centaines de milliers d’employés. Mais personne ne s’interroge sur le problème soulevé par cette tendance proprement irrationnelle à substituer le robot -toujours repérable- à la relation humaine réelle : pourquoi vouloir à tout prix se débarrasser de salariés, alors que le gain futur n’est absolument pas assuré, puisque la disparition de postes humains s’accompagne tôt ou tard de la désertion des clients eux-mêmes, par exemple par l’adhésion à des formes autogérées de banques ou la création de monnaies locales ?
On se perd dès lors en conjectures sur « la passion humaine » présidant à cette tendance, mais une hypothèse plus simple et bien plus terrifiante pourrait être retenue : en cas de « nettoyage » massif, la machinerie sociale et administrative devrait pouvoir continuer à fonctionner comme si ne rien n’était, quand bien même les effectifs humains auraient fondu. Par ailleurs, les horreurs gouvernementales du genre d’un certain vampire carpatheux n’ont eu de cesse de réduire déjà ces effectifs, ce qui accélère l’informatisation et l’automatisation des fonctions administratives et gestionnaires. Ne restent que quelques caporaux aux ordres, affairés à remplir des bordereaux d’objectifs. Comme cela se produit encore plus vite dans le « secteur privé », l’argument d’un « dégraissage du mammouth public» ne tient pas la route. L’hypothèse d’une préparation inconsciente -mais efficace- à la quasi-disparition des populations à gérer semble bien plus réaliste, à tout prendre, une fois que l’on a fait son deuil de la confiance dans une élite supposée humaniste, férue d’Etat de droit et adepte de l’équité pour tous.
Tout un pan d’action supposément « bénéfique » est ignoré sous son aspect possiblement sombre, voire carrément sinistre :
L’écologisme officiel qui répand éoliennes industrielles allemandes et capteurs solaires chinois peut s’orienter vers une déconnection ou une décentralisation des réseaux un jour fort utile pour des communautés privées se voulant survivre dans l’autarcie à un massacre de peuples zombifiés. De même que les recherches d’une agriculture hors-sol sans pesticides, à la fois bio et automatisée, peuvent leur être indispensables. On pense à des maîtres jouant les bergères à la Marie-Antoinette mais ne désirant pas traire vraiment les biquettes ni se salir les mains avec le repiquage de plants de tomates.
On se dit aussi, que dans une perspective où l’on considère la crise terminale inévitable, il serait bien de parvenir auparavant à fermer correctement les centrales nucléaires, afin de disposer d’une chance de survie « propre » dans sa gated community.
Quant aux longues chaînes de camions « autonomes » (déjà existantes), on voit bien qu’en dehors de se passer de chauffeurs (et de leurs grèves bloquant le trafic), elles pourraient fort bien pallier la désorganisation générale des échanges de fret, surtout si elles circulent entre des zones de chargement entièrement robotisées !
Du côté des idéaux de survie, d’ailleurs, l’activité « pour soi » est un thème qui s’oppose radicalement (bien que discrètement) au sort de non-activité, voire de non-mort et de non-vie qui est réservé à la grande masse, obnubilée comme masse « de loisir forcé ».
Tant que le travail exploité demeure un phénomène majoritaire dans la société, il est également dénigré comme caractérisant les « prolétaires » ou les paysans attachés au labeur de la terre. On le juge comme dégradant, usant, opposé aux libertés et notamment à celle de l’otium des classes supérieures. On ne cherche donc qu’à s’en échapper pour « monter » aux étages où l’on ne travaille pas.
Mais si la logique centrant la société n’est plus celle de l’exploitation d’un groupe par un autre, mais plutôt l’idée de « se débarrasser des masses inutiles », le sens attribué au travail change du tout au tout : subitement, il redevient salvateur et émancipateur. Il redevient synonyme de solidarité et de bienfaisance mutuelle. Seulement ce miracle n’a lieu que pour l’élite qui envisage de s’émanciper… de sa dépendance aux grandes populaces désormais oisives, précédemment laborieuses. Celles-ci sont au contraire sont patiemment orientées vers le destin le plus passif possible. On les « entretient » avant de construire progressivement les situations où elles pourront être carrément supprimées, au mieux, en douceur.
Pour le dire de façon totalement irrecevable, cynique et néanmoins parfaitement plausible : la suppression des emplois n’est qu’un voile cachant la suppression des Humains, cette dernière étant le but ultime, inconscient ou non, des élites gestionnaires actuelles, en un temps où l’encombrement, « l’invasion », etc. ne peuvent plus être attribués à des boucs émissaires spécifiques (Juifs, Arabes, « Nègres », etc), mais à la multitude anthropique considérée en soi.
Dans cette visée apocalyptique (mais pas pour tout le monde), s’expliquerait alors suffisamment le marasme culturel dans lequel la majorité prolétarisée dans la passivité est bientôt plongée.
Le monde déculturant du Youtube en est une illustration. On amuse et on drogue (entre autres aux jeux vidéo), on captive et on pornographise. Entre masturbation, boisson et fumette, la jeunesse déparentalisée est figée entre innocence et insignifiance, imaginaire débridé et ultraviolence fantasmée, comme dans une longue file d’attente dont celles des Manga expo sont de bons témoignages. Curieusement, les immenses hangars où courent ces foules de gogos dans les rampes serpentines contrôlées par des dizaines de surveillants branchés ne font jamais penser à celles, de sinistre mémoire, qui préparaient directement à l’abattoir. Comme si le respect du mémorial de l’anéantissement devait nous interdire d’imaginer sa généralisation.
Quand certains de ses membres bascule dans le meurtre suicidant réel, on fait mine de s’étonner, de s’indigner devant tant d’ingratitude de la part de ceux qui « crachent sur notre mode de vie ».
Sauf que ce qui reste soigneusement caché, c’est justement que ce mode de vie délayé, délaissé, désymbolisé, suspendu dans la paresse inutile, ce n’est absolument pas celui des élites en cours de mutation.
Bien au contraire, celles-ci s’orientent plus que jamais vers un héroïsme du quotidien, une refondation des ordres parentaux, un autodépassement permanent, aussi bien dans la direction classique des « fonctions directionnelles », que dans l’ascétisme et la sobriété, mais aussi l’auto-suffisance. Les programmes des grandes Ecoles est éloquent à ce propos : tout l’inverse de l’égoïsme consumériste hédoniste attribué par la masse au vilain capitaliste !
Ce que le petit salarié déjà chômeur à mi-temps mais encore subventionné oublie en regardant avec mépris les « zadistes »(8) , et autres « marginaux » prétendant substituer l’autonomie bricoleuse et la yourte à la construction de barrages ou d’aéroports, c’est que ce sont souvent les enfants (pas si perdus que çà) d’une élite qui ne se contente pas du syndicalisme patronal comme visée collective, mais s’intéresse également -et de plus en plus prioritairement- à la réforme de ses propres modes de vie. Qu’on envoie ces enfants vers la difficulté et l’opprobre, ce ne serait pas la première fois : les missionnaires avaient autrefois cette fonction, le père de Foucault reste un héros de la bourgeoisie et les petits frères des Pauvres n’ont des succursales permanentes qu’en banlieues riches.
Une fois le regard dessillé, le but est au fond assez clair : ménager, le moment venu, la possibilité d’une rupture complète pour des communautés préservées hors de la catastrophe générale, tandis que les prolétaires zombifiés et dégénérés moralement (sinon physiquement enflés aux hormones) n’auront pour autre ressource que de piller des supermarchés déjà aux trois-quarts vides.
Dans la deuxième dimension -celle des moyens de surveillance, de répression, voire de préparation à la destruction rapide et de masse-, la même visée semble progresser encore plus rapidement, bien que de façon plus occulte -et notamment à l’abri du battage médiatique autour des quelques milliers de morts produits mondialement par le djihadisme hors des fronts de combat militaire (à peine plus que le seul bilan des accidents de la route en France et le tiers de son bilan global de suicides !).
Sur les milliards d’écrans interactifs, il n’est pas un jour où l’actualité ne présente pas des policiers masqués en uniformes d’assaut en train de régenter un peuple de « victimes » putatives, voire de se préparer à descendre un « forcené ». Pas un jour sans envahissement des écrans par des uniformes ! Que fait la police ? Elle pose pour des photographes stipendiés ou auxiliaires. Que fait le journaliste aux abois ? Privé d’un dessert de cadavres sanglants, il photographie sans interruption la police ! A ce point que l’expression ad nauseam semble dépassée.
Tout ceci a au moins un effet peu contestable : habituer la « population » à l’idée de sa propre surveillance constante, avec ou sans bracelet électronique. Sans parler du fait qu’au-delà des anticipations de 1984 à Brazil, c’est bien l’écran de nos portables qui nous regarde et nous écoute aujourd’hui dans chaque maison et chaque transport, s’ajoutant aux caméras foisonnantes en espace public. Même si nous savons qu’il n’y a en général personne derrière ces yeux et ces oreilles, et que l’enregistrement des pixels afférents va finir par faire exploser nos immenses banques de métadonnées, nous nous « habituons » à l’idée d’une extrême relativité de l’intimité. Et c’est là le principal effet recherché.
A noter que cet effet est absolument contradictoire avec l’objectif affiché d’un meilleur contrôle des « populations à risque », (lire : « nids de djihadistes ») car pour des gens décidés à la tuerie, cela fait longtemps déjà qu’il s’agit de se tenir à l’écart des caméras et des ordinateurs pour préparer leurs opérations. Bien au contraire, pour une vaste majorité, l’acceptation « d’être surveillés et modérés » est devenue complète. Elle s’est retournée de plus en un narcissisme de selfie pandémisé. Non seulement on sourit au policier supposément caché derrière toute caméra, mais on construit des vidéos Youtube pour son plaisir de spectateur omniscient (comme dans ce délire significatif de Seb la Frite sur « celui qui sait tout ») .
Certes, Hollywood -attentif aux BD qui le précèdent- tient aussi compte des inquiétudes que provoque ce fantasme périoptique chez certains d’entre nous et produit suffisamment de films, de séries et de cd pour que nous puissions satisfaire notre hantise en les achetant au Super-U entre deux bouteilles de lait bio. Et de nous rassurer finalement en constatant que l’amour finit toujours par changer le tortionnaire et le gardien de prison en complices d’une libération.
Nous ne sommes cependant qu’à moitié rassurés, et nous en redemandons, entretenant une idéologie diffuse des limites de la liberté. (9)
D’une façon générale, le thème sécuritaire s’auto-entretient en générant d’une part la peur d’une immense majorité adepte de la servilité, et d’autre part la révolte de petites minorités s’offrant au selfie public par le sacrifice sanglant. Mais il ne suffit pas de demander, comme tel psychanalyste obèse, de cesser d’alimenter le narcissisme médiatisé des tueurs de masse : il faut aussi voir que ce cercle parfaitement vicieux -constituant la forme actuelle du panem et circenses de l’antiquité tardive et de son sacrifice programmé de gladiateurs ou de repas de fauves- cache assez efficacement un puissant désir d’extermination sur grande échelle de la part d’élites en train de la préparer activement tout en ignorant de bonne foi qu’elle le fait ! (10)
Quant au rôle de la troisième dimension -celle de l’idéologie catastrophiste entretenue notamment sur les thèmes du réchauffement climatique et de la pollution générale- c’est clairement de faire accepter d’avance de façon réaliste l’idée de sa propre culpabilité à la masse vouée à disparaître.
Le pire, c’est que cette idéologie n’a pas entièrement tort : Il est en effet très vraisemblable que l’humanité est aujourd’hui bien trop nombreuse -quelles que soient les arguties pour minimiser ou nuancer ce fait massif- et que ce ne sont pas quelques aménagements dans la dépense énergétique qui le pallieront. Autrement dit, la classe dirigeante en train -très évidemment - de se poser la question du « sauve-qui-peut » se fonde sur une réalité peu contestable, et tous les jours répétée médiatiquement (11) .
Et en un sens, cette dernière constitue un écran supplémentaire pour ne pas voir à quoi cette réalité est aujourd’hui conviée.
Pour le saisir, prenons l’exemple concomitant de la représentation du passé : il semble ainsi assez pusillanime de rechercher des origines réelles possibles à l’expérience d’un déluge (mythe du mon Ararat, Atlantide grecque, Popol Vuh Maya, mythes Indiens, Nordiques, etc.) ou d’une glaciation (Avesta), alors que l’explication se trouve directement sous notre nez : la plupart des sociétés complexes ont déjà rencontré la tentation de leurs propres élites de se débarrasser des masses prolétarisées et finalement rassemblées en quémandeuses inexploitables.
L’incendie de Rome dont on a suspecté Néron fut plausiblement quelque chose du même ordre.
Pour autant, cela ne signifie pas que les Humains n’aient pas -assez fréquemment- été confrontés à des catastrophes les obligeant à changer complètement leurs implantations, leurs structures symboliques et leurs modes de vie. Ce qu’il faut arriver à penser correctement, c’est que la réalité matérielle et le fantasme idéalisé sont toujours distincts et relativement indépendants.
Par exemple, si l’on en croit les compte-rendus réalistes par Pline le Jeune de l’éruption de Vésuve ayant fait disparaître Pompéi et Herculanum sous une épaisse couche de cendres, on est frappé par la « tranquillité » de la réaction humaine au phénomène : il n’y a pas de panique, pas de peurs dramatisées. Seulement des gens qui prennent calmement, coussins sur la tête, les moyens de partir des lieux les plus menacés, cela quand ils perçoivent la menace de cette drôle de brume opaque ; d’autres vont l’observer de plus près, et d’autres encore tombent, asphyxiés (comme Pline l’ancien, dont son neveu rappelle « la fragilité des bronches » !). Ce qui devient a posteriori une immense catastrophe incarnée par des corps figés dans la pierre semblait être aux contemporains une sorte de non-événement ! En un sens, on peut même soutenir que la chose devint, depuis le tourisme inauguré au XIXe siècle, un véritable symbole précurseur de la chute de l’Empire, alors que strictement rien ne fut changé politiquement et économiquement en ces jours de triomphe général du « système-Rome » (24-25 août 79).
Au contraire, dans notre époque, la volonté patente de transformer une série dispersée de faits (peu douteux, mais qui pourraient être vécus de façon toute différente) en un tableau de fin du monde à peine évitable (ou non évitable si on lit entre les lignes des propos savants les plus optimistes), cette volonté, donc, correspond bien à une politique de culpabilisation générale appelant à la punition divine.
Ce qui renforce en fin de compte le soupçon d’une envie génocidaire diffuse cachée dans l’ensemble de la classe dirigeante (qui ne recherche plus seulement « le charme discret », mais bien le silence et l’aveuglement sur ses quêtes d’issues de secours (12)) , c’est l’usage qui est aujourd’hui fait des gigantesques gains arrachés à la spéculation, aux paradis fiscaux et aux enfers du labeur asiatique. Car, pour couronner le tout, on se demandera où passent effectivement les revenus astronomiques des élites actuelles de l’argent et du pouvoir, compte tenu du fait que ces gens n’ont qu’un seul tube digestif comme nous tous, et qu’ils ne sont pas stupides au point de croire que la collection de tableaux de maîtres, de châteaux et de yachts constitue la condition d’une vie paradisiaque (comme le pensent encore bien des Pauvres assujettis au rêve bon marché).
La réponse est connue : l’argent va -avec celui « levé » sur les fonds de pension des vieux salariés- dans des fondations de recherche et des startups expérimentant leurs découvertes, la plupart d’entre ces structures d’investissement massif se concentrant assez largement sur le réseau de signes précédemment décrits (13) .
Nous serions donc bien proches de la situation où les élites gouvernantes, renonçant au gouvernement de tous, deviennent elles-mêmes ingouvernables, sauf pour elles-mêmes et dans leur cercle restreint qu’elles imaginent sauver non pas ailleurs, mais à la surface même de la masse humaine à engloutir, telle une mer, sous l’arche de ces nouveaux Noé.
Et bien entendu, comme dans le récit biblique, la participation de ces derniers à l’extermination serait scellée par le discours vertueux selon lequel ce sont ceux qui savent déjà s’autonomiser et retrouver le sens du travail « pour les siens » qui survivront.
Bref, dans le mouvement quasi-perpétuel des antagonismes de classe, n’oublions jamais que le moment de l’exploitation n’en est qu’un parmi d’autres, le plus opposé étant simplement la séparation et l’abandon, ce dernier signifiant en fin de compte un « laisser disparaître » pouvant trop facilement aller jusqu’à un « supprimer » à la fois de la mémoire et de… la vie.
Et n’oublions jamais que ces derniers peuvent devenir des objectifs prioritaires, quand bien même l’exploitation semble encore être la raison de vivre de l’élite dirigeante.
notes
2. Chacun de ces mots résulte d’une expérience vécue, pendant de longs mois, à Mexico et à Delhi.
3. Pour inhiber un peu -en respectant le motif de ses tenants- le discours essayant de disqualifier comme « fou » celui de la prédiction du pire, nous ne pouvons que poser la question : une lecture lucide et déterminée de Mein Kampf dès sa publication par un ensemble stratégique d’intellectuels européens relayés par des politiques aurait-elle pu enrayer la montée de Hitler en prédisant la shoah qu’il programmait littéralement ? Il n’y a évidemment pas de réponse à cette question, mais si cette dernière soulève au moins un doute, il est clair qu’une chance doit être laissée à la prédiction raisonnable, irréductible au prophétisme. C’est ce que nous tentons ici, après d’autres sur d’autres questions (comme Jean-Pierre Dupuy travaillant le « catastrophisme éclairé ».)
4. Ce ne serait pas la première fois : au milieu du XIVe siècle, quand la peste tua la moitié de la population britannique privant la noblesse de main d’œuvre bon marché, l’aristocratie acheva le travail en chassant les derniers paysans de ses « enclosures », transformant les autres en gardiens et en serviteurs. La mémoire de cette histoire est loin d’être éteinte : on peut même penser que la classe dirigeante anglo-saxonne et wasp vite encore de ce souvenir, voire de sa réactivation fantasmatique.
5. De ce point de vue, il est curieux que l’eschatologisme soit exclusivement associé aux fondamentalismes chrétiens, alors que, sans aucunement parler de « radicalisation » politique, le discours complotiste de fin du monde le plus banal est celui qui est diffusé auprès des jeunes, et notamment dans certaines mosquées (thème des « Illuminati », des juifs démoniaques, des manipulateurs de climat, des empoisonneurs de vaccins, etc.).
6. Les séries américaines de Hunger Games et Divergence tournent nettement autour de ces thèmes.
7. Selon d’autres sources directes, il semble que certains grands propriétaires brésiliens aient aussi été les chefs de réseaux d’enlèvement contre rançon de personnes, sévissant en Haïti, au Vénezuela et ailleurs (activité fort rémunératrice) !
8. Remarque : je ne sais pas si les Zadistes ont choisi leur appellation, liée probablement à la cartographie étatique permettant des déferlements technologiques autour de Sivens ou de Notre Dame des landes, mais ce qui est frappant, c’est que pour la première fois depuis l’époque des Kibboutzim, un mouvement social moderne se laisse définir par un « territoire ». La significativité de ce fait ne doit pas être sous-estimée. Elle ne l’est d’ailleurs pas du point de vue d’un Etat-Nation figé sur sa propre territorialité.
9. Noter la significativité du youtubisme comme symptôme ne doit pas nous interdire pour autant de reconnaître le talent, la vitalité, la créativité intense de certains des tubeurs, aux franges du rapp, de la leçon de philo, de la poésie et de l’humour noir ravageur. (Bravo, les Jeunes, mais attention aux vedettes, dont, parmi vous, les dents rayent déjà le linoléum et les poches s’emplissent de chèques de pub !).
10. C’est là le véritable « complot » : il n’est fomenté par personne ni par aucun programme conscient. Et le jour venu de la catastrophe, tout le monde sera sincèrement aussi étonné que lors du déclenchement de la première guerre mondiale, ce premier déluge de feu et de fer de la post-modernité.
1. A Dieu ne plaise, je ne suis pas « climato-sceptique », et suis un croyant absolument fidèle dans la thèse propagée par le GIEC (à la fondation duquel j’ai participé lors d’une conférence à Malte dans les années 90). Mais cela ne m’empêche en rien d’essayer de rester lucide quand aux usages sociétaux de cette prédiction, et notamment quand au rôle effectif de l’inquiétude médiatique quotidienne. On peut la comparer à celui concernant les djihadistes : contribue-t-elle à en faire reculer le risque ? On a l’impression que c’est plutôt le contraire. En en propageant l’angoisse permanente, elle suscite toutes sortes d’attitudes provocatrices, théâtrales, dramatiques. Elle autorise le délire de nombre de « spécialistes » qui en rajoutent, transformant en désespoir ce qui pouvait être stimulant pour l’action réparatrice ou correctrice.
12. Au moment même où elle fait subir à la masse une transparence forcée des intimités.
13. Il faudrait un livre entier pour exposer la logique complexe des investissements capitalistes, « charitables » ou lucratifs, dans la recherche scientifique et technique. On dira seulement ici qu’elle a tout à voir avec de « sombres acteurs », une volonté d’arnaque séductrice, et des justifications officielles rien moins que faibles.