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Qu'est ce que la Géo-Anthropologie ? Qu'est-ce que l'anthropologie pluraliste ?


Pourquoi le film de Lars Von Trier, “The House that Jack Built”, est-il insupportable ?

(Encore plus qu’un roman de Houellebecq, ou le film ridicule de son propre enlèvement)



Dans un monde submergé par les fictions ultraviolentes, il est étrange qu’un film « d’auteur », qui plus est d’un réalisateur censé avoir contribué à révolutionner le 7e art (menacé de médiocrité) avec le mouvement « dogma », puisse froisser les sensibilités. Nous avons tellement l’habitude de voir le sang gicler sur les écrans, les faces s’y écraser sous des chocs, du sadisme exhibé en longs métrages, les pires abominations commises sur des cadavres, les monstres abattre les victimes en ricanant froidement, procéder tranquillement aux pires outrages sur enfants, jolies femmes ou vieilles dames, couper des tétons comme des bouts de cigares, etc. Alors, donc, pourquoi ce film-ci est-il vraiment insupportable au point que l’on ne peut rester assis jusqu’à la fin qu’en s’accrochant aux accoudoirs, et encore ?
J’oserai une interprétation : Von Trier cherche à nous choquer, nous les blasés de l’écran, les habitués de l’apocalypse zombie dans la forêt de Stephen King, mais pas n’importe comment. Il tente de nous faire comprendre que nous sommes tous des tueurs en série potentiels -ou actuels-, et que, de son côté, la société procède assez souvent à des exactions terrifiantes du même type, tout en prétendant ignorer sa propre nature de monstre collectif.
Il est loin d’être le seul à avoir emprunté ce thème, et même ce style. Je pense notamment à « C’est arrivé près de chez vous » de Benoît Poelvoorde (et excellent acteur comme tueur de vieilles dames sans pacemaker, ou tirant dans la nuque des copains tout en discourant sur la beauté d’un ciel ou la méchanceté humaine.
Mais cette leçon, rendue crédible par le côté prosaïque -et finalement la banalité- des gestes calmes et précis de Jack, le tueur selon Von Trier, sa réelle tranquillité de personne banale, ne suffit pas. Elle est augmentée à la limite de tension par quatre hypothèses sous-jacentes :
1) Le « Serial Killer » le plus terrifiant n’est certainement plus une copie hagiographique des tueurs réels, historiques, racontés une xeme fois en dilatant leurs actes les plus horribles pour les faire accéder au rang de super-héros spécialisés (le cannibalisme d’Annibal Lecter, la prédation mécanique et la haine des femmes -Ted Bundy- , celle des mères viriles -Edmund Kemper- ou celle des Homos,- John Wayne Gacy-, (devenu le modèle des clowns tueurs), etc, etc.. Ces ressorts sont usés, parce que le statut désormais mythologique des personnages les change en catégories reçues du jeu fictionnel, un peu comme des cartes de tarot, ou des typologies de pouvoirs pour Comics ou jeux vidéo . Non, nous dit Von Trier, la cause permanente de la terreur la plus incontrôlable, c’est la pure et simple normalité, quotidienne, ennuyeuse, hésitante, faillible ! Parvenir à le faire affleurer à la conscience réticente, c’est déclencher la panique à coup sûr.
2) non seulement les activités sociales les plus brutales fonctionnent sur les mêmes fantasmes, les mêmes passions (chasse, haine sociale, raciale ou sexiste, etc.) que celles qui animent un tueur « en série », mais celles qui sont le mieux respectées (art, poésie, savoirs, philosophie, etc…) participent d’un « raffinement » (d’une « sophistication du crime »), et non pas d’une catharsis ou d’une sublimation. Même le cinéaste, dans sa façon précise et inattendue de filmer est un pervers « psychopathe », tout à fait capable de s’en prendre au spectateur… A noter que cela rejoint la thèse de Houellebecq dans La Carte et le territoire, roman dans lequel il fait du peintre (de son galeriste et de son collectionneur) des criminels économiques (ils travaillent pour l’Ego des milliardaires) mais aussi des meurtriers : notamment celui qui va découper Houellebecq lui-même pour disposer les morceaux de son corps en imitation d’un tableau moderne (clin d’œil que Von Trier lui fait d’ailleurs, volontairement ou non, en évoquant la proximité visuelle entre un visage de femme selon Picasso et celui, déchiqueté par un cric, d’une des victimes de Jack.)
Cette réintégration de l’art parmi les crimes aussi bien individuels que sociaux crée d’emblée une impression désagréable, inconfortable, parce que çà remue des stéréotypes du « bien » ancrés u fond de l’âme du spectateur. Il ne peut déjà plus avaler sa crème glacée avec autant de plaisir que d’habitude, d’autant qu’il se demande -subrepticement- si Lars Von Trier lui-même, malgré sa réputation de haute volée (sophistiquée…) , n’est pas lui-même un modèle de tueur en série !
3) les fantasmes ne sont pas séparables des passages à l’acte « raisonnables », entièrement dépourvus de sentiments de culpabilité.
Cette thèse est probablement très largement fausse. Mais s’introduit un doute irritant chez le même spectateur : et si, tout de même, elle était vraie ?
Dans le film de Von Trier, cette thèse est posée de façon si dépouillée, nue, triviale, évidente, qu’elle en dvient intolérable : lorsque Jack troue le cœur d’une dame en regardant placidement la fontaine de sang artériel diminuer d’un jet à l’autre, comme s’il attendait qu’un œuf à la coque soit cuit, on subodore qu’il est alors dans le personnage de l’ingénieur aimant les choses bien faites (dont le nettoyage obsessionnel répété qui va suivre). C’est cette allusion directe à la réalisation soigneuse, ménagère, d’une fonction sociale qui est, ici vécue comme atroce par nombre de spectateurs normaux… mais pas normopathes.
Notons que cette thèse de la déculpabilisation du crime dans le cadre guerrier ou social est supportable lorsqu’elle est amenée de façon « douce » comme dans l’excellente série « le bureau des légendes » qui montre finalement qu’un service national du renseignement s’adonne à la logique du massacre négocié d’otages de la vendetta, mais cette fois entre Nations considérées comme les seules « vraies familles », et que le sentiment de culpabilité des agents impliqués dans cette guéguerre est étouffée, voire abolie, par l’appartenance « absolue » à un loyalisme disciplinaire de type militaire. L’image de la DGSE est certes « valorisée », mais sur un plan plus subtil, le très bon réalisateur Eric Rochant nous montre bien le mécanisme de déshumanisation que de telles bureaucraties d’Etat autorisent, dans tous les sens du terme (pas si loin de Kubrick montrant dans Full Metal Jacket comment le sadisme de l’entraînement des G.I. produit de l’assassin, et pas seulement dans le cadre du champ de bataille).
Il en vient de même pour les autres « incidents » qui jalonnent le parcours de Jack, et notamment sa métamorphose en homme des bois, chasseur d’enfants et de femmes, mais aussi scrupuleux sur son « quota » qu’en pistant le sanglier ou la biche. C’est l’histoire classique des « Chasses du comte Zaroff », mais proposée avec un raffinement « artistique » de sadisme qui coupe le souffle des plus habitués. Von Trier en rajoute en mettant cette fois Jack dans la fonction du taxidermiste, redécoupant et recollant le cadavre d’un jeune garçon qu'il a tué pour le changer en caricature drôlatique (exactement comme une célébrissime boutique parisienne de taxidermie de luxe peut proposer des lapins ou des hiboux reconstitués comme des poupées amusantes.) Il y a aussi allusion aux films « pour enfants » qui se font peur avec des poupons maléfiques et méchants. Or ici, ce qui est dit, c’est que ledit poupon n’est qu’un vrai cadavre torturé, recousu et rafistolé au service d’un vrai tueur en série se prenant pour un artiste créateur (qui ne pourrait se contenter de son trivial statut d’ingénieur). Pire : il est très mauvais taxidermiste, et ressemble un peu à un gamin qui, dessinant pourtant très mal, montre son croquis de bonhomme bâclé à sa maman. Bref, là encore, la victime se retourne en aspect du bourreau, l’enfant tué se recompose en artiste immature saccageant la beauté qu’il n’a jamais appris à reconnaître (puisqu’elle ne se domine pas).
4.) la monstruosité du tueur en série se révèle d’ailleurs très proche de l’absence d’empathie de l’enfant autiste, une pure victime ordinairement entouré de la plus grande sympathie publique et privée. Quand Jack enfant coupe tranquillement les pattes palmées d’un caneton et le remet délicatement à l’eau, le cerveau du spectateur grésille, proche de la crise : c’est que l’innocence elle-même est présentée comme cause d’un désastre moral, ce qui est contraire à toute l’idéologie sirupeuse de la victime enfantine et droit-de-l’hommiste en vigueur mondialement. (Notons encore que le thème de l’autiste utilisable pour les pires méfaits sociaux est présent également dans « le bureau des légendes », mais de façon masquée, adoucie, dans le personnage du jeune agent « Rocambole », hacker génial… et autiste Asperger qui s’ignore comme tel.)

On voit donc qu’à moins d’être de marbre ou figé dans la mécompréhension du but de Von Trier, lui-même protégé par sa réputation de « grand artiste », l'on doit sortir de la salle avant la fin de la projection, à moins d’encourir le rire sardonique de l’auteur (notion, à propos de laquelle un gendarme que j’avais interviewé sur le réalisme d’un roman policier en cours, ne parvenait pas à se défaire d’un lapsus entre auteur d’un crime et auteur d’une œuvre littéraire, ceci dix ans avant la création de Von Trier !).
Ce qui est au fond terrible dans ce film, c’est la quantité de stéréotypes culturels confortables que l’auteur (du film !) bazarde d’un seul coup en y incluant le spectateur et lui-même, comme avec une ceinture d’explosifs.
Je n’en ai pas rêvé la nuit, mais j’en ai gardé une inquiétude, certes infondée : celle que Von Trier… se suicide, un peu comme le dernier film de Stanley Kubrick, saga paranoïaque sur la criminalité morale de l’élite cultivée américaine, précéda de peu sa mort « absolument pas suspecte », dans son manoir anglais enveloppé de grillages électrifiés…

Mardi 4 Décembre 2018 - 22:27
Mardi 4 Décembre 2018 - 22:43
Denis Duclos
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