A l’instar de Cioran (pour les intellos), Houellebecq est complètement et imperméablement pessimiste. Pour l’action, il ne croit qu’à la trahison sournoise, à la tentative de meurtre ratée ou au suicide réussi. Alors qu’il parvient, tour de force, à inventer des gilets jaunes à seulement quelques mois de leur émergence réelle, il les enferme aussitôt dans une destinée d’extinction de producteurs de lait tués par la PAC. Notons qu’il n’était pas loin du nombre de morts, mais il les attribue au tir à balles réelles des CRS et pas aux paniques des rond-points. C’est cela, Houellebecq : la prévision du pire dans le pire.
Autre limite : la seule « croyance » à laquelle le personnage-quasi-auteur se permet de souscrire est une rêvasserie de midinet sur l’amouur ». Absolument rien sur la levée actuelle des nouveaux ruraux et de leurs potagers bio. C’est vrai qu’ils sont un peu ridicules pour un bobo parisien que n’a jamais cessé d’être notre romancier, quitte à s’exiler pour de longues vacances ici ou là, aux extrêmes de l’Europe.
Or le midinet est bien placé pour savoir que s’il existe une rêvasserie qui fait toujours long feu après quelques baises et quelques repas exotiques, c’est bien l’amoooour. D’accord, ce n’est pas une raison pour arrêter de rêver en son jardin secret (curieux, on ne parle jamais de potager secret). Mais est-ce qu’on ne peut pas varier les fantasmes, un tout petit peu, des fois ?
Houellebecq répond fermement non. C’est même sa seule réponse ferme dans le marécage des états de résidus d’âme qui le peuple (et peut-être le maintient en vie).
Là, d’ailleurs aussi bien commence le meilleur : Houellebecq est absolument sans égal pour saisir l’émulsion continuelle de cette espèce de crème fade qu’est la conscience de participer au non-sens permanent de la vie du prosommateur contemporain. Je ne sais pas comment il fait : à la nanoseconde près, il se dédouble très légèrement du fat et vain personnage qui vit son existence contemporaine la plus absurde et en capte les moindres vibrations. Essentiellement, sa vie de rat stimulus-réponse ? Au fond de l’immense atmosphère de publicités clean qui emplit notre aquarium « pour tous ». Nous avons beau être vigilants, souvent tristes, parfois critiques, plus rarement révoltés, jamais nous n’atteignons le degré de sismologie fine par où le compteur Geiger houellebecquien dénonce en petits craquètements infiniment multipliés notre stupidité passive devant et dans le « système ». Jamais. Même Jean Luc Godard, dans ses plus ironiques escalades de prestance cinématoche n’arrive pas à la cheville de notre Michel national.
En cela, il mérite bientôt que ses cendres trop tôt dispersées soient vite rattrapées au dessus de la baie de Somme (par exemple, St Michel conviendrait aussi) et réintégrées dans une urne de bronze aussitôt panthéonisée. Il aura mérité de la patrie, et nous excuserons aimablement son ultra-pessimisme : peut-être est-ce au fond la condition sine qua non pour que d’autres que lui se réveillent un beau matin en potagéristes enthousiastes. Pour lui c’est râpé (ou mieux : plié) : rien ne viendra le détourner de son clope débandant, de son vieux rêve de chatte humide s’éloignant à quatre pattes rapides, de la moiteur de son whisky au fond du verre dépoli qui le lorgne de son gros œil, etc. Etc.
Bien sûr, je me méfie aussi des potagérieux. Un peu moins de celui, paresseux, de Didier Helmstetter, d’accord, mais tout de même. Comme disait Lacan : « pas trop d’enthousiasme, çà risque toujours de tourner au vinaigre» .
En fait, j’aime Houellebecq, c’est un frère. Et il a un énorme boulot à accomplir avant de crever : convaincre une majorité de Soumis à se dédoubler une nanoseconde de leur youtubiste favori, de leur entubage de dentifrice et surtout de leur douche vaginale. Il devrait aussi s’attaquer aux plugs anaux de Madame Mazaurette, la sexologue du Monde-Bobocaca. Ce qui ne sera pas de la tarte au flan ! Il pourrait aussi l’enlever, mais gare : elle serait bien capable de lui faire subir les derniers outrages !
Qu’après, il ne fasse rien pour nous pousser à aimer le compost et le foin nouveau, bon, à chacun son turf. Bravo Michel, continue : plus tu dégoûteras la masse de ton mode de vie, plus ladite masse se décomposera vite pour restituer CO2 et Hydrogène à nos milliards de milliards de bactéries biotopiques, et plus aisément mes copains pourront s’attaquer aux SAFER pour récupérer la terre de nos villages et la donner à tous les migrants volontaires ! Même aux Bobos parigots têtes de veaux bio, mais repentis ! Vraiment repentis (on leur fera passer un examen de lombricitude). Ils devront aussi troquer le vapotage contre le ragotage vicinal à débattre sous l’arbre à palabre (et dans les chaises longues de l’avenir). Oui.