Les médias admettent facilement de ne pas être au courant de connaissances spécialisées, qui ne viendront jamais dans le domaine public. Mais quand l'événement est aussi public que la crise financière de 2008, il est insupportable pour eux "d'avouer" qu'ils n'y ont rien compris, ne l'ont pas vue venir, n'ont pas tenté de soulever des lièvres ou d'interprêter des symptomes. Ils projettent donc immédiatement ce sentiment d'impuissance sur tout le monde, alors que les journalistes auraient pris un peu de temps pour lire, ils se seraient aperçus que la crise était décrite à l'avance par le menu, et cela par plusieurs chercheurs d'institutions très différentes. S'ils n'ont pas pu le faire, ce n'est pas seulement à cause de leur métier, plongé dans l'éphémère, mais parce qu'ils collaborent comme tout le monde à l'idéal du "gain". Comme tout le monde, ils ont reconstruit l'univers autour de cette notion et "paniquent" quand la perte semble s'installer à sa place. Envisager, anticiper l'avenir comme une perte continuelle et en même temps abstraite, c'est très difficilement supportable. Ce qui ne veut pas dire que les médias sont hédoniques ou optimistes : ils peuvent aussi tirer un gain substantiel du catastrophisme, et ne manquent pas de le faire quotidiennement avec les espèces qui disparaissent et l'air qui s'emplit de gaz à effet de serre. Mais entre ce pessimisme qui conduit à attaquer des coupables ou à fustiger des comportements (et qui se marie de mieux en mieux avec une morale policière généralisée), et le constat immédiat d'une perte pour tout le monde, il y a une grande différence. De plus "annoncer une perte" n'a pas grand sens (sauf pour la rubrique nécrologique, surtout lue par ceux qui attendent la mort des autres), Ce n'est pas une posture qui rapporte que de faire le "prophète de malheur", ou alors ponctuellement. C'est pourquoi les médias ont oublié la plus grave crise financière du siècle (et même du précédent, peut-être) dans la semaine qui a suivi la reprise des cours de la bourse, interdisant ainsi la réflexion publique sur ses causes profondes.
Nous le savions déjà depuis longtemps : organiser une pensée cohérente sur ce qui se passe dans le monde humain ne saurait s'appuyer une seconde sur l'écho médiatique. Cependant sa présence est si universelle, si constante, si soutenue, que nous éprouvons de la difficulté à réunir les "parlements" intellectuels ou populaires qui permettraient une pensée suivie. Ainsi, l'amnésie automatique des médias devient-il un trait pathologique de la population elle-même. Et c'est là que les choses ne vont plus.
Nous le savions déjà depuis longtemps : organiser une pensée cohérente sur ce qui se passe dans le monde humain ne saurait s'appuyer une seconde sur l'écho médiatique. Cependant sa présence est si universelle, si constante, si soutenue, que nous éprouvons de la difficulté à réunir les "parlements" intellectuels ou populaires qui permettraient une pensée suivie. Ainsi, l'amnésie automatique des médias devient-il un trait pathologique de la population elle-même. Et c'est là que les choses ne vont plus.