Elles le font parce qu’elles témoignent d’inquiétudes profondes, qui résonnent avec celles des autres, en se situant au même niveau, bien qu’en y répondant de façon opposée.
Le géo-anthropologue doit être capable de saisir dans l’air du temps planétaire ces sortes de trains d’ondes mythiques ou politiques qui se développent en fonction les uns des autres sans que leurs auteurs n’en soient nécessairement conscients.
Une tentative récente de faire se rencontrer des positions fondamentales logiquement opposées a été celle de Philippe Descola, à propos des relations avec la nature, observées à partir de la définition des oiseaux ! Il existerait ainsi quatre types essentiels de rapports aux oiseaux , d’ailleurs reliés deux par deux : -nous pourrions insister sur la domination de la loi humaine ou de la loi naturelle (l’une illustrée par le faucon obéissant à l’esprit du chamane, l’autre par le perroquet mécanique cartésien), ou encore insister sur le partage entre humains et êtres naturels (ce partage se faisant à l’intérieur de la famille totémique -toucan jivaro-, soit à l’intérieur d’une loi de séparation des genres -prédateurs ou picoreurs-). Le gros problème de l’intelligente partition tétralogie de Descola, c’est que ces discours-types ne se rencontrent… qu’en lui-même comme anthropologue contemporain.
J’affirmerai ici qu’on peut découvrir aisément des discours culturels fondamentaux qui se rencontrent dans la pure actualité, tout en représentant des types de sociétés et de temporalités différentes. Il restera au géo-anthropologue de faciliter la transposition consciente et politique de leur rencontre effective (ce qui n’est pas la même chose que de faire se rencontrer Cartésiens du XVIIe siècle, Australiens quasi-préhistoriques , Chamanes mexicains actuels et Amazoniens isolés en forêt ).
Je prendrai pour exemple le statut de l’enfant, situé logiquement au carrefour de la contemporanéité (dans le même génération) et de l’ancestralité (parenté et filiation d’une génération à l’autre).
Comme toujours en bonne pratique géo-anthropologique, on commencera par établir la théorie, c’est-à-dire rien d’autre qu’un modèle de logique simple et universelle auquel on suppose qu’il est impossible d’échapper quand on est un être humain quelconque en un quelconque point de la planète et dans n’importe quelle culture. La théorie, ici, sera exprimée ainsi : l’axe diachronique (filiation/ascendance) rencontre nécessairement l’axe synchronique (solidarité entre contemporains) de manière problématique. A savoir, très prosaïquement, que l’un peut « nuire » à l’autre, étant entendu que chacun représente une nécessité humaine incoercible.
Qui peut nier cette évidence ? N’est-il pas inévitable que le mode d’organisation des contemporains ait un impact sur la succession des générations, et inversement ? La théorie suppose cette évidence et ne la met jamais en cause comme expérience de tous et de chacun . Il ne s’agit donc pas d’une élucubration « structuraliste » abstraite, du type tant décrié par Clifford Geertz.
A partir de là, on se demandera s’il existe -où et quand- des énoncés culturels partagés qui témoignent de cette problématique. On se demandera enfin si ces énoncés 1) se situent comme des positions alternatives autour du même problème et 2) s’ils dialoguent effectivement en comment.
La réponse à ces questions est positive, par exemple sur le thème de « l’enfant ». Nous allons voir, en revanche, que le type de dialogue entre les positions possibles et réellement existantes n’est pas du genre « politique explicite », mais plutôt du genre « échange d’évocations inconscientes », collision de mythes contradictoires. Il s’agit dès lors, comme contribution propre de la géo-anthropologie, de transformer ces échanges nébuleux et ces collisions en conversations.
La théorie nous propose une façon très simple d’opposer des positions sur ce thème. Tout d’abord, elle détermine un champ qui est celui d’un « problème ». Autrement dit, il n’y a pas de champ de positions sur ce qui ne fait pas problème. Si tout va bien, pas de mythe, pas de pensée, pas de rêve. Mais justement, les choses peuvent aller très mal, et cela nécessairement de quatre façons symétriques : ou bien le contemporain et la filiation se nuisent mutuellement en s’autodétruisant réciproquement ; ou bien ils se nuisent mutuellement en se renforçant réciproquement dans une surenchère, un encombrement (ce qui revient au même mais après un détour). Ou bien le contemporain se renforce au détriment de la filiation ; ou bien la filiation se renforce au détriment du contemporain.
Cette tétralogie correspond, notons le bien, à des alternatives immédiatement accessibles à n’importe quel esprit humain. Il s’agit d’un carré logique (aristotélien ou greimasien, peu importe) de propositions élémentaires qui est probablement impossible à éviter : tous ensemble, ni l’un ni l’autre, soit l’un, soit l’autre…
Or il existe quatre formations mythiques massives ou très importantes occupant chacune l’une de ces positions à propos de l’enfant :
-soit, dans une coupure totale entre filiation et contemporanéité, s’installe l’enfant désorienté (dont le modèle est le zombie haïtien, caribéen, et plus généralement créole, y compris dans les Amériques).
-soit se produit une double accumulation de contemporanéité et de filiation, par exemple avec l’enfant unique en Chine.
-soit la filiation se concrétise dans « l’enfant sorcier » qui, en Afrique de l’ouest, notamment, nuit à la parenté élargie et à la socialité villageoise.
-soit, enfin la socialité postmoderne, individualiste et technologique, nuit à la filiation : c’est le modèle de l’enfant-victime (des diverses formes -tolérées ou criminelles- de pédophilie).
Nous pourrions discuter longuement chacun de ces modèles, ou référer aux longues séries d’ouvrages érudits qui les concernent les uns et les autres. Nous nous contenterons de souligner ici les traits pertinents de ce qui constitue un véritable dialogue implicite.
Une chose curieuse est que l’enfant-victime (de la pédophilie) et l’enfant égaré (coupé de ses ancêtres) sont non seulement proches géographiquement (Caraïbes et Amériques) mais qu’ils se recouvrent en partie : le Zombie -comme obsession américaine- loge à la même enseigne que le Cyborg. Dit autrement, la société qui nuit à la transmission est aussi partiellement celle qui vit une désorientation dans les deux dimensions du sociétal et du familier. Peut-être parce qu’un excès de société -impliquée par la technologisation de tous les rapports- revient finalement à détruire cette société : le zombie serait ainsi, par coupure du lien entre synchronie et diachronie, le précurseur d’une dissolution des deux termes. Ceci nous révèle que, dans l’idéal du mythe (et bien que celui-ci n’apparaisse que sous forme apophantique-négative), les deux doivent se soutenir mutuellement sous peine de s’effondrer chacun. On le conçoit aisément : que serait une solidarité entre adultes qui ne tiendrait pas compte de la transmission aux enfants ou du « respect » filial ?
Pour ce qui est de l’enfant-sorcier et de l’enfant-victime (de la pédophilie), ils représentent bien des inversions logiques : le premier signale bien la toxicité potentielle d’une lignée (puisque remonte en lui un ancêtre direct furieux, une sorte d’érinye incarnée) envers le monde des parentés proches ou des alliances possibles. Bref, le monde des villages est menacé par l’égoïsme de chaque clan ou de chaque famille, un peu comme celui des cités « autochtones » du monde grec ancien l’était par l’endogamie, voire par l’inceste. A ceci près que, dans le mythe d’Œdipe, ce n’est pas un ancêtre méchant qui ressuscite dans l’enfant (et qu’il faut apaiser par des rituels associant plusieurs parties), mais une fatalité découlant d’une mauvaise organisation liant territoire et lignage.
Quant à l’enfant victime du « pédophile » criminel, il représente aussi la victime de la pédophilie générale de la société post-moderne : celle qui, par exemple, pousse à infantiliser les parents pour en faire eux-mêmes des élèves d’une école de parentalité. Dans ce cas, c’est bien l’ensemble des adultes formant société, qui s’attaquent à la transmission entre parents et enfants, afin de redéfinir l’enfant comme propriété sociétale. Au fond de la peur du pédophile criminel, il y a bien la terreur que la transmission par la parenté soit détruite par la gestion générale du passage des générations par la « république ».
Ainsi donc, dans le cas de l’enfant sorcier, c’est la parenté qui est dangereuse pour la société, tandis que dans celui de l’enfant-victime, c’est la société qui le devient pour la parenté.
Pour en venir au cas de l’enfant unique (chinois ), il semble crouler littéralement sous le poids double de la société et de la parenté. Du côté de la société, parce qu’il dépend d’elle d’avoir le droit d’être frère ou sœur, et du côté de la parenté parce qu’il est seul à supporter l’empilement des ancestralités dans l’arborescence d’ascendances de ses familles. Il ne peut plus partager ce poids avec des frères et des sœurs. Ici, c’est bien le synchronique et le diachronique qui se conjuguent dans leurs excès, leurs surabondances. On peut se demander quel effet cela peut il donner au bout de deux ou trois générations. Est-ce qu’une sorte de folie identitaire ne le menace pas, au contraire de l’espèce de vide identitaire qui frappe le zombie post moderne. En tout cas, ce dernier semble être assez souvent à conjuguer avec le personnage du jeune tueur de masse, qui est d’abord un suicidant assassinant des personnes comme lui, comme s’il s’agissait d’un suicide collectif. N’indique-t-il pas -à bon entendeur- que dans un groupe où le sujet est vide, comme mort dans la vie, il vaut mieux encore une mort réelle ? Par opposition, le sujet asiatique « hyper-social et hyper filial » tenterait peut-être une fuite en avant dans l’hyperactivité. Ce qui n’empêcherait pas des dérapages : le suicide, qui concerne presque un million de personnes par an dans le monde, est surtout le fait d’hommes asiatiques.
Ce côté tragique de chaque grand mythe de l’enfant (victime, sorcier, zombie, unique) révèle peut-être le champ du débat réel qui se déroule aujourd’hui à l’échelle de la planète : il s’agirait , selon la leçon générale de ce thème, de constater la nocivité de tout déséquilibre entre les deux grandes dimensions -diachronique et synchronique- de l’Homme. Il s’agirait, de ce fait, d’un appel à trouver des solutions visant de toute urgence leur équilibrage, plutôt que la continuation de tendances à cumuler les déteriorations dans chacune d’entre elles, comme le montre surtout la combinaison nord-américaine du zombie errant entre générations absentes, et du sujet post-moderne réduit à sa pure individualité dans la machine sociétale.
Example of a current global and intercultural dialogue: the theory of “the four children”
They do so because they reflect deep concerns that resonate with those of others at the same level, although responding oppositely.
The geo-anthropologist should be able to let into the spirit of the time these kinds of planetary mythical or political waves that develop in response to each other without their authors necessarily being aware.
A recent attempt to bring together logically opposed core positions was that of Philip Descola about relationships with nature, observed from social definitions of birds!
There would thus be four basic types of relationships with birds, also connected in pairs:
-we could insist on the rule of human law or that of natural law (one illustrated by the hawk obeying the spirit of the shaman and the other by the Cartesian mechanical parrot);
or we could emphasize the division between human and natural things (this division emerging within the family totem - the jivaro toucan - or within a separation of genres -predators or peckers-).
The big problem with this intelligent tetralogic partition by Descola is that these standard speech only meet ... in himself as a contemporary anthropologist !
I will argue here that one can easily discover the fundamental cultural discourses that occur in our pure topicality, while representing types of societies at different times. The geo-anthropologist will still have to facilitate a conscious and political transposition of their actual meeting (which is not the same as bringing together seventeenth century Cartesians, almost prehistoric Australians, current Mexican Shamans and isolated Amazonian foresters).
I will take for example the status of the child, logically located at the crossroads of the contemporary (within the same generation) and ancestry (kinship and descent from one generation to the next).
As always in good geo-anthropological practice, we begin by establishing the theory, that is to say nothing more than a simple model of universal logic which assumes that it is impossible to escape when you are a human being anywhere in the world and in any culture.
The theory here will be stated as following : the diachronic axis (parentage / ancestry) meets the synchronic axis (solidarity among contemporaries) in a way which is necessarily problematic. Namely, prosaically, that each dimension can "harm" the other, provided that each is an irrepressible human need.
Who can deny this? Is it not inevitable that the organization by contemporaries has an impact on the succession of generations, and vice versa? The theory assumes that evidence and never puts it into question as experienced by each and every one. It is therefore not a "structuralist" abstract wishful thinking, as the type of thought criticized by Clifford Geertz.
From there, one wonders if there is -where and when- some shared cultural statements that reflect this issue. One will finally ask if these statements 1) stand as alternative positions around the same problem and 2) interact effectively.
The answer to both questions is positive, for example on the theme of "the child". We will see, however, that the type of dialogue between potential and really existing positions is not like "explicit policy" but rather like "swaps of unconscious evocations", or collisions betweencontradictory myths. Therefore, a proper contribution by geo-anthropology will be to transform those nebulous exchanges and these collisions into a conversation.
The theory proposes us a very simple way of opposing positions on this issue. First, it determines the field as that of a "problem." In other words, there is no field of positions which would not be a problem. If every thing is perfect, no myth, no thought, no dream. But in fact, things can go very wrong, and this, necessarily, along four symmetrical paths: either the contemporary and parentage will work at cross each other in a self-destructing encounter; or they hurt each other in a mutually reinforcing an upmanship, a congestion (which leads to the same effect but after a detour). Or, the contemporary dimension strengthens at the expense of parentage; or, finally, parentage is growing at the expense of the contemporary.
This tetralogy corresponds, let us notice it, to alternatives readily available to any human mind. This is a logical square (Aristotelian or greimasien, whatever) of elementary propositions which is probably impossible to avoid: all together, neither one nor the other, either one or the other ...
Now there are four massive or very important mythical formations occupying each one of these positions about “the child”:
-either there is a total disconnection between affiliation and contemporaneity, which leaves the child disoriented (whose model is the Haitian, caribbean, and Creole zombie, and more generally, including the Americas).
-either occurs a double accumulation of contemporaneity and parentage, for example, with the “only child” policy in China.
-either parentage is embodied in the "witch child" in West Africa in particular, that affects the extended kinship and village sociality.
-either finally, a postmodern individualistic and technological sociality is toxic for parentage and affiliation: the model of the victimized child (under various -tolerated or criminal- forms of pedophilia).
One could discuss at length each of these models, or refer to the long series of scholarly works that relate each other. We only point out here the relevant features of what constitutes a true implicit dialogue.
A curious thing is that the victimized-child (pedophilia) and the lost child (separated from his ancestors) are not only geographically close (Caribbean and Americas), but they partly overlap: Zombie- as an american obsession - lodge in the same boat as the Cyborg. In other words, the society that disrupts the genetic transmission is also partly that which experiences a disorientation in the two dimensions of societal and familiar life.
Perhaps because an excess of societal power -implied by technologization of all relationships- finally returns to destroy this very society: the zombie would be, by breaking the link between synchronic and diachronic dimensions, the forerunner of a dissolution of both terms. This reveals that in the ideal carried by the myth (although it appears apophantic, negative), both dimensions must support each other under threat of reciprocal collapse. It is easily understood: what would be a solidarity among adults which would not take account of transmission to children or filial "respect"?
As for the witch-child and the victim-child (pedophilia), they represent logical inversions:
the first indicates the potential toxicity of a bloodline (since it brings back to the present a furious direct ancestor, a kind of embodied Erinye) for the world of close relatives or possible alliances. In short, the world of villages is threatened by the selfishness of each clan or each family, much like the autochthon Cities of the old Greek world was threatened by inbreeding or by incest. Except that, in the myth of Oedipus, it's not a bad ancestor who makes a comeback through a child (and must be appeased through rituals involving several parts), but a fatality resulting from poor organization linking land and lineage.
As for the child victim of "pedophile" criminality, he is also the victim of an official pedophilia embedded in the post-modern society: that, for example, which pushes every one to infantilize the parents, changing them into students in a school of parenting. In this case, all adults forming our society are addressing the transmitting process between parents and children, in order to redefine the child as a social property. Under the fear of the criminal pedophile, there lays a terror that transmission by kinship would be destroyed by the overall management of the passage of generations by the "republic".
Thus, in the case of the wizard-child, it is the relationship that is dangerous to society, whereas in the case of the victim-child, it is the society that becomes perilous for relatives.
Turning to the case of the (Chinese) “only child” complex, the person seems literally crumbling under the double weight of society and kinship.
Societal overabundance: because he (or she) depends on it to have the right to be brother or sister; Blood relationship plethora : because he (or she) is alone to support the stack of ancestralities on both of his (her) family trees. He (she) cannot share this burden with brothers and sisters. Here, it is the synchronic and the diachronic dimensions which combine in their excesses, their gluts. One may wonder what effect this can drive to, after two or three generations. Is a kind of identity illness not threatening there ? Unlike the kind of identity vacuum that hits the zombie and the post modern child ? In any case, the last character seems quite often to combine with the young mass murderer model, who is primarily a suicidal type, murdering people like him, as if it were a collective suicide. Does not he say -hello to the wise- that in a group where each person is empty, as dead in life, it is better to reach a real death?
In contrast, "hyper-social” and “hyper filial " Asian personnality would maybe try a headlong rush into hyperactivity. This does not prevent skids: suicides, involving almost a million people a year worldwide, are mainly committed by Asian men.
The woeful side of every great myth on “the child” (victim, wizard, zombie, only) may be the field of the real debate taking place today across the world :, according to the general lesson of this topic, we should think more about the harmfulness of any imbalance between the two major -diachronic and synchronic- human dimensions.
We should, therefore, appeal to find solutions to their urgent balancing, rather than a continuation of trends accumulating deteriorations in each, as particularly shown in North American combination of the absent minded zombie wandering between generations, and the post-modern subject reduced to his (her) pure individuality in the societal machinery.