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Qu'est ce que la Géo-Anthropologie ? Qu'est-ce que l'anthropologie pluraliste ?


à mondialisation, mondialité-et-demie



Depuis quelques années, l’actualité mondiale nous force à considérer le retour du très ancien (l’éclatement de pandémies, les guerres massacrantes pour des territoires) et le surgissement du jamais vu (la mise en péril global de la planète vivante par les activités humaines). Nous constatons leurs liens possibles (l’angoisse montante des gens, des mouvements sociaux, l’incapacité grandissante des pouvoirs économiques et des puissances technologiques obnubilées de profit, l’errance agressive des Etats-Nations), mais nous ne parvenons pas à les penser (sans doute par manque de temps, par antagonismes d’intérêts, par peur de nous confronter à des vérités trop difficiles à assumer, etc.).
C’est pourtant l’occasion unique de nous y mettre, ne serait-ce que pour ne pas nous abandonner au désespoir ou à la futilité. Mais aussi pour dépasser enfin certains obstacles reconnus par nos philosophes depuis parfois plusieurs siècles : ainsi du problème de l’action unifiée du genre humain pour s’imposer comme voie de prévention ou de solution du pire : la violence absurde généralisée. Ce que l’Abbé de St Pierre et son émule bien connu -Emmanuel Kant- nommèrent la difficulté de la « paix perpétuelle ». Ils nous avaient déjà mis en garde contre le double danger d’une impuissance des Nations ou de son envers : le fantasme d’un Etat-Mondial, réalisant la tyrannie la plus terrible que notre engeance puisse imaginer. Les avanies subies -face à des tentatives hégémoniques récurrentes- par les institutions internationales (comme la SDN et l’ONU, leurs mandats et leurs agences) ont largement démontré le bien-fondé de leurs inquiétudes.
Deux choses ont néanmoins fait évoluer radicalement la situation qu’ils pouvaient envisager, et certes pas dans un sens favorable pour notre espèce et son monde : l’incoercible suspension de l’histoire à la menace renouvelée et aggravée, du suicide nucléaire (pudiquement nommé « logique de dissuasion ») ; les destructions globales simultanées des ressources énergétiques et des qualités vitales de leurs produits pour la nature dont nous participons entièrement. De Hobbes à Marx en passant par Locke ou Rousseau, personne ne disposa d’assez de « lumières » pour prévoir ces conjonctions réelles de forces destructives, une « radicalisation » qui, elle, ne doit rien à l’exaspération d’individus souhaitant en rajouter à titre personnel et se destinant alors au rôle -inutile s’il en est- de boucs émissaires pour la vindicte populiste aveugle et désemparée, offerte à toutes les diversions.
Là encore, le moment est peut-être venu d’envisager un tournant suffisamment marqué de nos aventures collectives. « Certes, objectent certains sages, - avertis de la nature humaine supposée constamment « perfectible » - mais si c’était possible nous aurions déjà trouvé. »
Mais justement : sommes-nous bien certains de ne disposer encore d’aucun moyen à la hauteur du problème ? Au lieu de nous lamenter sur le triste état identitaire du genre humain (à l’occasion d’actualités plus horribles, terrifiantes et folles les unes que les autres) n’avons-nous pas entr’aperçu quelque élément de solution, perdu au beau milieu des problèmes eux-mêmes ? Bien sûr, nous ne devons rien attendre de l’intelligence artificielle alimentée de nos lieux-communs, mais le regard neuf de l’enfant constatant que l’empereur est tout nu peut suffire : GAFAM et autres ubuesques « puissances numériques » n’ont-elles pas précisément dépassé largement le degré de mondialisation atteignable par les nations, fussent-elles unies (ou désunies constamment au sein du Conseil de Sécurité) ? Qu’attendons-nous donc, milliards de pauvres humains, pour leur reprendre ce qu’elles ont si habilement soutiré de nos poches : nos propres données personnelles, lesquelles suffiraient amplement pour constituer un électorat -cette fois réellement universel- ? Certes, l’idée - « un peu insensée » - peut encore faire sourire au milieu des larmes. Au moins s’appuie-t-elle sur un aspect -parfaitement réaliste- d’une mondialisation déjà bien acquise : à la différence du temps où Rousseau déplorait l’éloignement du Japon pour former la base d’une économie politique mondiale, nous pourrions disposer instantanément des suffrages directs de tous les terriens adultes, pour remplacer le jeu proprement infernal des élites administratives « internationales » encore exclusivement légitimées sur les souverainetés d’Etats-Nations ayant depuis longtemps démontré leur impuissance à traiter enfin sérieusement (et même diplomatiquement) des problèmes d’ores et déjà « mondiaux ».
Encore se trouve-t-il des opinions respectables pour réclamer un « retour » des gafameurs et autres numériphages aux Etats-Nations identifiés aux « intérêts généraux » de leurs peuples. Que n’ont-elles compris que ces arrondissements de l’ordre mondial ne sont plus, depuis longtemps, que des organisations résistantes… aux droits humains que par ailleurs elles font mine de saluer si bas jusque dans leurs constitutions les plus universalistes, mais sans pour autant jamais renoncer aux violences extrêmes qu’autoriserait la notion quelque peu paradoxale de « souveraineté » (jadis bien critiquée par Jacques Derrida) ? Non, il ne faut sans doute pas rendre le mondial aux Nations, mais plutôt tenter d’accorder toutes les nations à une mondialité enfin rendue à son peuple d’humains comme seule globalité.
René Cassin, l’un des auteurs de la déclaration des droits de l’Homme de 1948, avait coutume de soutenir que l’humanité était une « grande famille ». La comparaison, hélas, n’était pas raison : non pas parce que les familles se disputent aussi, parfois fort cruellement, mais parce que les Etats-Nations ne suffisaient déjà plus, c’est de plus en plus clair, à tenir lieu de cautions pour l’unité acquise (ou émergente) du genre humain en ce qui concerne la plupart de ses problèmes essentiels. Il est même étrange que la seule idée d’un suffrage réellement mondial contrebalançant les égoïsmes nationaux puisse encore passer pour demi-folle ou en tout cas complètement utopique, alors que la mondialité effective n’est plus seulement à nos portes (comme du temps de Jean Jacques), mais dans chacun de nos ordis et de nos portables, voire de nos pauvres cerveaux ultra-médiatisés, et surtout, surtout, dans le contrôle de chacune des unités monétaires qui passent par notre médiation individuelle, et dont la gestion financière prépare notre endettement massif sous prétexte de croissance du PIB.
Denis Duclos,
anthropologue politique.

Mardi 16 Juillet 2024 - 07:37
Mardi 16 Juillet 2024 - 07:40
Denis Duclos
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