M. Trump, héros moyen de sa classe dirigeante, est ici parfaitement conséquent et se moque de la manière souffrante et compliquée dont intellectuels et écologistes se sont emparés de la question de la « transition énergétique ».
Ce nouvel idéalisme, faut-il y insister (comme on hausse gentiment le ton pour se faire entendre des amis sourds), ne semble pas comprendre la contradiction, le paradoxe évident, massif, entre deux réalités : l’une à brève échéance d’une disparition du principal émetteur de carbone et l’autre, en fin de siècle, d’un fort plausible réchauffement climatique excessif, voire catastrophique. A l’extrême limite, plus vite nous aurions épuisé les ressources fossiles et plus rapidement nous libérerions la planète de ce fardeau, bien obligés de nous contenter alors du renouvelable et surtout du non-carboné !
A se demander même si, en prévoyant de complexes procédures de « transition » de ressources vers d’autres, nous n’allons pas prolonger indûment le problème posé par les hydrocarbures, ceux-ci -délaissés en partie trop tôt- représentant au fil des décades à venir… une tentation permanente, et toujours là sous nos pieds !
Les adeptes du trumpisme praticopratique ne se soucient absolument pas non plus de ce paradoxe, car ils ne voient qu’un seul aspect : le manque, très bientôt et tout aussi catastrophique en un autre genre, de carburant efficace à hauteur des besoins modernes de 8 milliards d’Humains.
C’est d’ailleurs, à tout prendre, dommage pour eux, car ce pourrait être une arme argumentaire bien plus puissante que leur scepticisme absurde sur l’effet de serre.
Un problème moral s’en trouve soulevé pour moi : dois-je contribuer à rendre plus intelligents le trumpisme -et ses nombreux alliés et suiveurs au ras de la pompe à essence-, et par tant, devenant davantage capables de faire triompher leur point de vue ?
Eh bien, après mûre réflexion, je crois que oui. Et j’espère pouvoir convaincre le lecteur, à qui je dois de ne pas mal préjuger, quant à lui, de la vitalité de ses « petites cellules grises », comme disait Hercule Poirot.
Voici, en gros, ce qui me fait pencher dans cette direction, en dépit de certains risques :
Ne raisonner qu’en termes de catastrophe sociale induite par la pénurie d’hydrocarbures (et pas du tout en termes de réchauffement) conduit à une conclusion très proche : il va falloir se préoccuper d’intenses désordres sociaux et internationaux entraînés par un dérèglement de toute vie quotidienne.
Par ailleurs, réfléchir seulement sur tous les moyens à réunir pour différer le sevrage de pétrole, de charbon et de gaz revient à exiger une preuve de son inéluctabilité à court terme, en miroir exact de la manière dont les « partisans » du réchauffement climatique doivent apporter la preuve de son existence constamment aggravée.
Autrement dit, une duplicité ou un défaut de recherche, une difficulté de connaître ou d’évaluer, ne peuvent pas être plus acceptables du côté de la pénurie que du côté de l’effet de serre. Ce qui met alors les « pragmatistes » ouvreurs en grand de vannes, gratteurs de schistes bitumineux et creuseurs de fosses océaniques profondes, en position d’avoir à rendre des comptes précis.
Or c’est ici que le soupçon grandit, et bientôt jusqu’à des proportions majestueuses, que le mensonge et la manipulation pour éviter coûte que coûte la manifestation du vide tragique de nos réservoirs naturels, ont été depuis vingt ans -et demeurent aujourd’hui- portés au niveau d’une conjuration internationale, d’un véritable complot universel auprès duquel les allégations desdits « complotistes » se trouvent simplement réduites aux plus ridicules des méfiances paranoïaques, aussi bien juvéniles que séniles.
C’est donc d’abord à la mise à jour d’une évidence pourtant aveuglante que je convie ici aussi bien les annonciateurs du « trou de pétrole » que ceux du « plein de carbone ». L’évidence d’une stratégie acharnée aussi bien qu’éperdue de la part des plus grands acteurs planétaires pour contenir, confiner l’effet de « choc pétrolier ultime » à des « sacrifiés » : en l’occurrence les populations de certains pays du moyen-orient, localisation de 60% de nos ressources mondiales. L’utilisation de la rivalité nationale et surtout religieuse dans cette stratégie mérite d’être ici placée sous lumière rasante. On verra qu’il n’est aucun besoin de supposer des arcanes mystérieux : tout s’est déroulé et se déroule encore au grand jour, sous le soleil implacable des steppes désertiques de l’Asie et de l’Afrique du Nord, du Maghreb au Machrek. Il suffit, pour simplement le voir, de ne pas s’aveugler en subissant le pouvoir obscurcissant de l’hystérie idéologique (on sait que cette névrose commune a précisément le pouvoir de rendre aveugle le cerveau le plus intelligent). Or c’est bien cette idéologie ambiante qui, fixée sur le « problème » religieux, permet de négliger complètement les enjeux mondiaux massifs qui sont à l’œuvre, comme par hasard, sous la ligne sismique partageant les deux Islams perse et arabe.
Ensuite, une fois clairement énoncés à la fois ces enjeux et leur constance, ainsi que leurs solutions les plus courantes par l’ensemble des puissances intervenantes, nous pourrons revenir à la question de la « transition ». Car celle-ci n’est rien moins qu’une « prise de conscience innocente » : elle est presqu’entièrement explicable par l’effet de diversion qu’elle maintient, améliore, transforme, hypostase, aux côtés du thème encore prégnant chez les maîtres-pétroliers (et leur valet Trump) du « sacrifice » de certaines populations « perdantes ». Car si ces derniers désignent encore l’Iran ou les émirats chiites, voire ce qui reste de l’Irak, sans parler de peuples d’Asie centrale, comme ceux qui doivent faire les frais d’une « non consommation » du pétrole encore disponible ou de ses revenus, les partisans d’une transition accélérée sont également prêts, de leur côté, à soumettre des populations entières à un effort presqu’insupportable, au bénéfice de certains groupes, voire de certaines nations.
Bien entendu, nous ne pourrons nous permettre ce registre du «dévoilement » sans nous impliquer dans la reconnaissance d’une difficulté très grande des solutions, étant donnée la situation où l’espèce humaine s’est mise. Nous tenterons moins de « juger » ou de « condamner » (des corporations, des oligarchies, des nationalismes, des consumérismes de masse, etc.) que de comprendre ce qui se passe.
Je n'ai guère envie de jouer les Pinçon-Charlot ou les Dany Robert-Dufour dans la dénonciation -qu'ils pratiquent très bien sans moi- d’excès, de pouvoirs, de dominations. Bien entendu, ceux-ci existent, mais il semble bien qu’au-delà des effets de structure, l’humanité comme masse quasi-homogène se soit bien précipitée sur l’immense facilité que représentait ce don du passé mésozoïque de Gaia. Comme des fourmis sur le miel. Une logique populationnelle.
C’est aussi cela que nous devons reconnaître -après avoir fusillé les despotes, jugé les crapules et enfermé les fous- : car c’est bien cela, en fin de compte, qui se trouve caché par la diversion, le divertissement aveuglants. Nous autres humains, tous autant que nous sommes, nous ne sommes pas de gentils petits chats de compagnie. Et si nous étions sur un bateau où il s’agissait de survivre en mangeant l’un des nôtres, je crois bien que nous accepterions la chose comme les survivants du radeau de la Méduse (à condition que la courte-paille soit démocratiquement tirée, bien sûr). Cependant méfions-nous : à un certain point, et comme l’avait très bien vu Elias Canetti dans Masse und Macht en étudiant le cas de Flavius Josèphe (lors de la chute de Yodfat), il vient un moment où ce n’est plus la majorité qui mange le minoritaire, mais l’individu qui se débrouille pour faire se suicider tous les membres de la majorité ! Car dans la logique de la lutte pour la survie, hélas ou tant mieux, certaines personnes sont beaucoup plus intelligentes et résolues que d’autres. Et là, à ce moment précis, la démocratie s’avoue pour ce qu’elle peut devenir : une mauvaise baudruche ! C’est donc un moment qu’il vaut mieux différer ou éloigner le plus longtemps possible, ce qui implique pour la fiction démocratique (que je respecte et partage) de bien mesurer l’effet de ses amnésies, de ses inconsciences plus ou moins volontaires, de ses lâchetés et de ses désirs sournois, de ses diversions véhémentes, quand elle décide, par exemple, de croire et de faire croire qu’elle « veut la transition énergétique » par pur idéal écologique.
Attention à notre angélisme, surtout quand il se répand, telle une traînée d’essence, parmi ceux qui hier encore crachaient sur les « écolos » comme sur d’incorrigibles utopistes.
Denis Duclos, Seigny, le 13 Juin 2017