Nous écarterons aussi le « traitement du mal par le mal », voie ordinairement choisie, le pouvoir (supérieur) semblant la seule force capable de traiter du pouvoir (inférieur), ce qui conduit alors, malgré les apparences, à aggraver la chose et à conduire au pouvoir absolu, c’est-à-dire à se rapprocher du mal absolu, notamment sous l’apparence de la démocratie (comme forme de pouvoir plus « total » encore que la monarchie, lorsqu’il n’est pas constitué comme tension entre différences).
Par ailleurs, nous utiliserons le domaine des sciences humaines comme terrain d’expérience extrême. Non que les « savants humains » ou « sociaux » (pour paraphraser l’amusant « social scientists ») aillent trouver leurs terrains de prédilection aux pôles ou en plein désert, mais parce que nous pouvons définir ce domaine comme générateur exceptionnel de « problèmes de pouvoir insolubles ».
Nous recourrons donc au cas des sciences humaines pour contribuer au traitement d’une pathologie plus générale, voire quasi-universelle, et inversement, en définissant mieux celle-ci, pour permettre enfin quelques avancées décisives dans ce champ de mines intellectuel.
Commençons donc par ceci : en quoi les sciences humaines sont-elles caractéristiques du pouvoir comme forme pathologique et pathogène ?
D’emblée, avouons que nous n’userons pas ici d’un modèle de relations mathématisables, de théorie des jeux ou d’un formalisme quelconque (peut-être parce que nous ne briguons aucun prix Nobel en la matière). Il est bien possible qu’une de ces personnalités prolifiques y reconnaisse néanmoins ses petits, mais ce serait alors pure coïncidence comme on dit pour les romans.
Pourquoi la bataille pour le pouvoir atteint-elle un bord extrême en sciences humaines ?
Le champ de « jeu » des sciences humaines ressemble à celui de n’importe quelle discipline ou groupe de disciplines scientifiques ; ce n’est pas étonnant puisqu’il a été calqué sur ce qui existait dans les sciences de la nature, et que, de toutes façons, il appartient au champ plus large des matières d’enseignement et de recherche académique dans le monde.
On peut définir en ce sens un champ des sciences humaines « virtuel » organisé et empli par des structures et des objets exactement semblables à ceux qui existent dans d’autres groupes de disciplines. Mais on peut ensuite comparer ce champ virtuel au champ réel et observer dans quelle mesure structures et objets réels correspondent à ce qui est attendu d’eux dans le champ virtuel. Nous allons voir qu’il se manifeste alors une telle déformation, de telles régressions à l’infini, qu’en réalité, il n’existe aucune commensurabilité entre les deux. Les sciences humaines fonctionnent comme des évocations théâtrales ou scénographiques projetées sur une grille qui les concerne pas, et plus on les critique, plus elles tentent de mimer leur adéquation, contribuant à se changer en une assez grotesque mascarade. Elles témoignent alors d’un dédoublement de pathologies : d’une part elles reproduisent celles qui sont liées au pouvoir dans la cité scientifique, et d’autre part elles y adjoignent celles découlant de leur contrainte absurde au mimétisme.
En général, le champ scientifique normalisé comporte un objet légitime (entité, relation) ou un ensemble d’objets et surtout un mode d’action sur cet objet ou cet ensemble tel que les deux sont reconnus par un public d’arbitrage, qui, aussi spécialisé soit-il, finit par communiquer son jugement de reconnaissance et d’évaluation au grand public. Par exemple, les experts qui évaluent la valeur d’un article pour la revue Nature communiquent en fait leur jugement au grand public. Celui-ci reste jury final, car il est implicitement certifié par le jury spécialisé que l’article rend compte d’une découverte ou d’une vérification expérimentale telles que l’objet ou/et sa manipulation, certifiés comme tels, sont utiles à l’humanité en général. Un peu comme l’arbitre d’une partie publique de football a la confiance de (presque) tous pour avoir perçu une faute et décidé une sanction, sans pour autant que la compétence générale du grand public à apprécier une partie soit déniée.
Autrement dit, la science normale part de l’utilité présumée pour le grand public, remonte aux objets certifiés dans leur existence et leur utilité potentielle par des spécialistes, et contrôle le retour du processus d’effectuation de ce potentiel vers le même grand public. Une équipe célèbre, qui finit par atteindre le prix Nobel, décrit un parcours analogue à celui d’un team de football ou de basket.
Entièrement réécrite sur ce mode de « visibilité » (un terme absurde mais favori des évaluateurs), la recherche perd toute spontanéité, toute valeur de véridicité. Elle abandonne les secteurs et domaines réellement inconnus ou mystérieux pour « compter les points » dans les champs entièrement quadrillés par un dispositif de mise en scène « sportif ». Finis les longs détours, les décennies de travail ingrat, à l’abri des caméras. Désormais, la vie du chercheur est scandée comme par un métronome : programme « rentable » et « visible », subvention, démonstration ad hoc, publication, récompense et… recommencement du cycle. L’idée que tout ce processus contrôlé, d’où toute aventure est bannie, devient parfaitement étranger à la notion même de recherche est totalement écartée, du doctorat à la retraite (et au-delà avec l’éméritat).
Dans les sciences de la nature, ce dispositif fonctionne, non pas parce qu’il est heuristique (car son taux de productivité réel en termes de découvertes est très faible par m2 de laboratoire !), mais parce qu’il organise le jeu social de la science. Je prétends qu’il devrait être remplacé par une logique totalement différente impliquant une large déconnexion vis-à-vis des contrôles par le grand public passif –sans compétence particulière pour juger de la science comme de l’art, qui dépendent plutôt de la partie d’un peuple active dans ces domaines -, mais en attendant, il est clair qu’il autorise un « fonctionnement », c’est-à-dire par exemple une mise en ordre des énergies individuelles et de groupe par des activités socialisées autour d’objets et d’équipements légitimes.
C’est sans doute pour cela, qu’il sert de référence constante aux sciences humaines, dans lesquelles aucun autre fonctionnement n’est atteint que l’éparpillement des énergies dans des « cellules » de travail et d’enseignement isolées ou purement concurrentes.
Tout d’abord, en sciences humaines, il ne peut être produit d’objet présentable longtemps au grand public. Par exemple, aussi chatoyante soit-elle, une théorie psychopédagogique se retourne généralement au bout de quelques années contre ses promoteurs en tant que manipulation. Une théorie économique parvient au mieux à paraphraser ce que vivent les gens (endettement, inégalité,inflation, etc.) et au pire à pousser les gens à suivre les spéculateurs les plus téméraires. Une théorie sociologique donne des armes pour régenter les familles, les catégories de revenus et les classes d’âge, et plaît d’autant moins aux segments d’un peuple qu’elle se révèle utile à une branche du pouvoir administratif.
Mais il y a beaucoup plus grave que la contestabilité de l’utilité de l‘objet (à laquelle, d’ailleurs, est aussi sujette parfois la discipline scientifique) : c’est l’impossibilité de construire un processus social d’objectivation et de contrôle du jeu des scientifiques par des publics (sauf pour des disciplines-limites comme l’archéologie,qui peut montrer les trous et les objets qu’on en a retiré). En gros, 1) il n’existe pas d’objet stable autour duquel les disciplines de sciences humaines puissent s’organiser comme dans un champ de jeu identifiable (pas d’équivalent du « ballon » pour le sport). 2) il n’existe pas de règle stable du jeu : on ne sait pas ce que c’est que « gagner », ni a fortiori ce qu’est une équipe « gagnante » dans les sciences humaines. 3) il n’existe pas de publics stables et délimités, et par conséquent pas d’articulation de publics par certifications successives.
Cette situation, exaspérante pour les pouvoirs et douloureuse pour les chercheurs, est en même temps une chance pour la vérité. Alors que celle-ci est depuis longtemps occultée sous l’opérationalisme hiérarchique dans les sciences dites de la nature, conduisant à la catastrophe technoscientifique que l’on sait (même si l'on n’en veut rien savoir), le caractère amorphe des sciences humaines préserve une sorte d’inquiétude ouverte, de disponibilité précaire aux questions, plutôt que de soumission au roulement mécanique des réponses.
Hélas, cette faille bénéfique, source de vraies questions, tend à être suturée par chacun dans un fonctionnement minimal des « spécialités », éliminant au maximum les confrontations et la circulation des idées, ainsi qu’elle est diluée par une transdisciplinarité formelle, superficielle et idéologique autorisant le cornaquage administratif le plus débile qui soit. De sorte que le champ des sciences humaines, loin d’échapper au pouvoir comme pathologie, concentre et combine au contraire deux de ses excès ordinaires : il est tissé d’une continuelle guerre de tous contre tous –par absence de cristallisation des conflits autour d’objets communs- ; il laisse de facto le pouvoir dans les domaines relevant de lui à des montages quantitativistes et statistiques qui n’ont rien à voir avec des problématisations autonomes, mais sont de simples applications de programmes administratifs et techniques.
Nous nous poserons donc la question de savoir comment les sciences humaines pourraient donner lieu à un jeu social au prix d’un minimum de dénaturation de leurs enjeux propres.
La construction des intérêts scientifiques en sciences humaines : quelques hypothèses
Pour le moment, il n’existe aucun système d’intérêts en sciences humaines qui relève soit de l’intérêt purement scientifique, soit d’intérêts sociaux partiels qui ne retombent pas dans ceux de l’administration ou de la gestion des personnes et des groupes par les puissances.
Nous proposons donc de réfléchir à la construction possible de ces deux genres de systèmes d’intérêts et de leur interaction, si possible de leur combinaison.
Ce que l’on peut appeler « intérêt scientifique en soi » ne signifie pas ce qui relève de l’institution universitaire plus ou moins mondialisée, organe de contrôle et de garderie culturels de plus en plus totalitaire au service d’un assemblage d’Etats-Nations comme forme actuelle et future du pouvoir, pathologie suprême.
L’intérêt scientifique ne sera pas non plus défini comme intérêt purement individuel ou corporatiste d’un groupe de gens s’établissant par cooptation (doctorat ou autre) comme seuls compétents sur un domaine. Il est déterminé comme objet permettant la survie autonome d’un « lieu » de rencontre entre étudiants, professeurs et chercheurs. Afin d’être articulé étroitement avec des intérêts sociaux partiels, nous pourrons le définir comme soif de savoir… quelque chose qui renforce la capacité de vivre selon le désir de grands groupes distincts. Par exemple, quoi qu’on dise, les gens qui voudraient vivre d’avantage « en nature » n’ont pas les mêmes intérêts scientifiques que ceux qui rêvent de science fiction pour tous. Nature et gadgets technologiques sont des objets passionnels opposés, de même que le sont par exemple, la passion pour les minutieux agencements de la règle,de la loi ou de la norme, (si caractéristiques de la société occidentale) et la passion de l’évocation, de la métaphore, du sentiment au sens hégelien du terme.
Pour qu’un tel lieu de rencontre autour d’une passion de savoir existe et perdure, il faut que soient remplies cinq conditions :
1. Une contribution personnelle de chaque membre à l’autonomie vivrière du site, limitant les effets « d’activité parasitaire » en concurrence promotionnelle. Une grande satisfaction découlerait de ce retour à l’ancestralité de la communauté « située ». L’énergie agressive mutuelle serait en large partie épongée par l’intense collaboration entre les membres pour s’aider à « vivre », à bâtir, à entretenir, à se nourrir. Notons que des ébauches de ce phénomène existent déjà dans des communautés artistiques ayant restauré des groupes d’habitats, ou dans des coopératives étudiantes gérant la vie quotidienne de grandes universités nord-américaines, mais il s’agirait d’aller plus loin pour limiter considérablement la dépendance vis-à-vis de ressources en argent.
2. Une cohérence thématique –tout à fait le contraire de la logique de conglomérat pluridisciplinaire présidant à l’actuelle dénomination de « campus universitaire »-. Bien maîtrisée par la majorité des membres, cette cohérence serait fondée sur une adéquation entre le thème prédominant et un intérêt fort rencontré dans la société (et non pas intérêt « de » la société, cette abstraction de pouvoir), comme dimension en tension avec d’autres.
3. Une construction collective de la « positionnalité » du site, radicalement inverse de la guerre de tous (les spécialistes) contre tous. L’enjeu intellectuel central du site ne réside pas dans sa spécialisation,mais dans le poids qu’il tente de représenter dans l’ensemble des savoirs stratégiques, si l’on appelle ainsi ceux qui intéressent chacun l’une des grandes dimensions, passions ou traditions anthropologiques partageant l’être humain sans qu’il puisse s’y soustraire. Dans cette perspective, chaque membre doit « normalement » avoir envie d’imposer la conception globalement la plus satisfaisante pour « son »domaine (qui est aussi celui de nombreux camarades). Ce qui n’incite pas à l’extrême spécialisation, mais plutôt à la collaboration bénévole.
4. Une nette indépendance de l’activité culturelle en question par rapport à des professionnalismes techniques (éventuellement associés). Le site consacre la valeur de la culture en soi et pour soi, comme but des êtres humains et non comme moyen d’une utilité toujours extérieure. Il ne « forme pas » des professionnels spécialisés, qui peuvent l’être dans des écoles ad hoc. Il n’expulse d’ailleurs pas les personnes souhaitant continuer leur collaboration, au nom de la fin d’un prétendu « cursus ». Cette résistance à l’utilitarisme s’oppose à la fusion actuelle entre universités et écoles techniques prenant finalement presque toujours le pouvoir en elles.
5. Une ouverture aux fonctions pédagogiques et de recherche les plus variées : du « primaire » au postdoctoral, sans spécialisation par âges ou niveaux, l’excellence se manifestant par la seule liberté de former des « clubs » de taille variable à l’intérieur du lieu, entre individus « passionnés », qu’ils soient petits génies précoces ou vieux sages. Ce qui s’oppose à la fonction « garderie » par strates générationnelles et à toute idée de notation et de diplôme négociable.
Revenons sur quelques-uns de ces points, en commençant par les plus problématiques (2, 4 et 3),puis 1, 5 et 6.
La cohérence thématique d’un site n’a rien à voir avec l’actuelle tentative artificielle de « mettre ensemble » des disciplines différentes soit-disant « convergentes ». Elle s’établit seulement comme effet spontané d’une problématique générale engageant des populations. En reprenant l’exemple de la « nature » que veut respecter un « peuple écologiste », la chose s’éclaire : le site qui s’y consacre regroupe des militants passionnés. Ainsi, supposons qu’un grand site de savoir rassemble tous les passionnés de la nature, au sens d ’une valeur à défendre –et pas seulement d’une réalité « objective », il est évident que l’organisation des pratiques de connaissance et de transmission ne correspondrait en rien à celle qui prévaut dans le cadre universitaire actuel. On dira que le thème est trop vaste, mais rien n’interdit, sous cette égide générale très motivante, de créer un site « Océan », ou un site « Forêt », ou encore un site « Montagne », ou bien encore de construire des sites synthétiques « Nature » par régions. L’essentiel est d’induire un regroupement de gens décidés à promouvoir le savoir pour permettre une façon de vivre.
De même, des militants convaincus de la Ville (comme distincte des monstruosités tentaculaires de dizaines de millions d’habitants smogués) peuvent se rassembler pour promouvoir de vraies villes, dans des sites qui y sont consacrés . Le même raisonnement peut être proposé pour les gens qui préfèrent protéger la vie familière à l’écart des immenses mobilisations : ils peuvent être motivés pour étudier l’être humain sous l’angle de petites communautés. L’expérience accumulée sur les sociétés « ethnologiques » peut trouver ici un « topos » idéal, qui ne sera pas noyé dans la masse. Inversement, des personnes passionnées par les grands systèmes géopolitiques peuvent se rencontrer dans un ou des sites qui leur seraient dédiés.
En bref, s’il se crée quelques sites mondiaux sur le Sociétal, le Familier, la Règle, la Culture, la technochrématistique, la Nature, la Religion, la Ville, l’Art, la Singularité,etc.), chacune de ces dimensions peut à son tour donner lieu à des sites régionaux en relativement petit nombre, et eux-mêmes en lien privilégié avec un « nœud de tension » particulier entre dimensions. Ainsi encore, si des gens s’associaient pour défendre le système techno-économique dans un contexte où celui-ci deviendrait un simple »secteur » de la société humaine, on peut imaginer qu’ils devraient faire preuve de plus d’imagination créatrice que dans la situation où l’argent règne en maître absolu.Ou bien, si l’on imagine un site de rencontre sur les religiosités en compétition, l’ardeur pour sauver la croyance dans le débat serait sans doute plus forte que celle mise à l’intolérance mutuelle.
On peut objecter que les passions classiques purement universitaires nommées « disciplines » (philosophie, histoire, anthropologie, économie, psychologie, etc. ) ne trouveraient pas leur place dans ce dispositif, sinon sous forme éclatée. Notons qu’elles le sont déjà. Par ailleurs, certaines thématiques « dimensionnelles » sont davantage affines à certaines disciplines qu’à d’autres : rien n’empêche que l’économie soit associée davantage à un pôle « technologique », tandis que l’histoire se trouve plus liée à la dimension « sociétale », ou l’anthropologie à une thématique plus « familière », bien que ce ne soit pas obligatoire. La philosophie comporte des liens solides avec la question du singulier et avec celle des religions. Ces polarités fortes n’empêchent pas,de toutes manières, un fonctionnement par discipline mais celui-ci ne subit plus la tendance classique à la subdivision bureaucratique par sous-départements et sections, qui se trouve dès lors contenue à l’intérieur des sites « passionnels » plus puissants. En quelque sorte, nous proposons de parachever la crise disciplinaire en déniant que le jugement ultime sur un travail doive être exercé par des historiens, par exemple, alors que l’histoire dont il s’agirait serait celle de l’écologisme. L’historien académique doit être là pour garantir une méthode objective, mais n’a rien à dire de spécial sur un domaine, dont, en revanche, les partie-prenante sont hautement intéressés à la promotion intellectuelle. Et il vaut mieux,nous semble-t-il, un discours passionné –mais modéré par la discipline- qu’un froid discours de discipline péniblement réchauffé par une passion extérieure. La discipline académique –qui est aussi une passion spécifique- doit s’incliner devant la « vérité » de l’intérêt vital,même si elle ne doit pas être gommée ni déformée. La véritable garantie d’équilibre et de raison ne réside pas de la frigorification de la pensée hors de ses enjeux –ce qui est la pure illusion universitaire par excellence-, mais par la tension jamais réduite entre les enjeux. Par exemple, on obtient finalement une meilleure objectivation en opposant une histoire écologiste à une histoire technologiste ou à une histoire géopolitiste qu’en prétendant réconcilier les trois dans la forme supposée « supérieure »de l’Histoire comme discours en soi (ce qui est, de toutes façons, biaisé et largement faux dans tous les cas de figure).
De même, « atterrés » ou non, des économistes ne produiront aucune économie alternative réelle s’ils ne s’affilient pas eux-mêmes à des dimensions de vie dépassant leur passion de l’échangisme quantitatif, qui, le veulent-ils ou non, relève d’un technologisme. Là encore un écologiste convaincu ne pourra jamais réduire son discours à un pur économisme ; de même un chaud partisan de la civilité urbaine, et c’est dans cette impossibilité que l’économie trouvera des occasions de créativité réelle.
Observons que la tendance à « casser » les unités disciplinaires et leurs formes propres de hiérarchies n’est pas nouvelle : mais la force qui s’exerce surtout contre elles aujourd’hui n’a rien de sympathique pour la pensée. Il s’agit d’un forçage technocratique qui veut contraindre l’université à l’utilité, comme si la culture n’avait aucune valeur en soi. On comprend donc la résistance des universitaires, mais cette résistance prendrait un sens beaucoup plus fort si, au lieu de se porter en défense de corporatismes sans autre consistance que leur soit-disant compétence méthodologique, ou leur (fausse) objectivité (lourdement biaisée par les rapports de force internes, eux-mêmes indexés sur l’appui extérieur), elle cherchait à s’appuyer sur des forces légitimes alternatives à la seule puissance technochrématistique.