Pour un auteur qui prétend continuer à écrire, ou un chercheur à chercher, l’exercice autobiographique n’a rien de la rédaction d’un CV. La façon la plus intéressante de le réaliser consiste à se demander ce qu’il ferait aujourd’hui des thèmes qu’il a abordés trente ans plus tôt : lui semblent-ils dépassés, inutiles ? S’il avait à s’y repencher, comment les traiterait-il ?
On tente ainsi de boucler une boucle, et à l’occasion d’observer si le futur peut rétroagir sur le passé, tout en accueillant plus ou moins ce qui lui en vient.
C’est dans cet esprit que je souhaiterais présenter mes travaux depuis mon entrée au CNRS en 1978, puisque c’est seulement à cette date que j’ai pu m’orienter vers les sujets de mon choix, sans être dépendant pour vivre d’une « demande » extérieure, essentiellement celle des ministères de l’équipement ou de l’environnement (pour laquelle j’ai travaillé comme chercheur « sur contrat » depuis 1971 au Centre de Sociologie Urbaine (CSU).
La question que je posai d’emblée, dès les années 1977-78 (alors que se décidait le « plan d’intégration des chercheurs hors-statut ») était celle du souci écologique. Je sortais alors d’une période militante en faveur du « programme commun de gouvernement » initié par le Parti Communiste et accepté par le Parti Socialiste dirigé par François Mitterrand. Communiste depuis une dizaine d’années, je me retirai alors du PC, dont Georges Marchais semblait orienter la politique vers la rupture de la gauche. Le côté sectaire et autoritaire du communisme léniniste était décidément incorrigible, et toute chance de construire un parti « à l’italienne », ouvert et ancré sur les libertés m’apparut alors –comme à beaucoup d’intellectuels- révolue. Mais la raison essentielle de mon départ était moins la valse-hésitation des leaderships que ma conviction, de plus en plus profonde, que ce parti –comme d’autres- était incapable de prendre la mesure des problèmes soulevés par les risques industriels à l’échelle mondiale. Et cette conviction accompagnait la préoccupation dont je fis mon premier objet d’étude : la question de savoir comment les travailleurs de l’industrie pouvaient eux-mêmes devenir des porteurs d’une prise de conscience, étant en quelque sorte, aux premières loges.
J’admets que cette problématique était quelque peu naïve et fortement influencée par l’idéologie marxiste selon laquelle la « classe ouvrière », le prolétariat, ne pouvait qu’avoir un rôle salvateur, et par extension, par l’idée que la « base » humaine des systèmes industriels jouerait un rôle nécessairement décisif dans la remise en cause du productivisme lié à la quête avide du profit.
Je ne sais pas si, aujourd’hui, je reprendrais sans précautions ce questionnement . Non que j’éprouve le besoin –bien tardif après André Gorz- de proclamer mes « adieux à la classe ouvrière », puisque, par ailleurs, celle-ci n’a pas attendu ces proclamations pour se dissoudre comme concept et comme symbole de ralliement sinon comme réalité, mais tout simplement, que, dans l’après-coup de mes propres études, je ne crois absolument plus qu’il existe une relation entre une situation sociale dans le système et une prise de conscience privilégiée ou un positionnement critique sur le fonctionnement du système. Ayant successivement interrogé les ouvriers, les cadres et les dirigeants du monde industriel dans les années quatre-vingts, ceci en France, aux Etats-Unis et en Algérie, je suis alors parvenu à l’idée -un peu décevante pour mes idéaux- qu’en dehors de nuances liées aux intérêts corporatifs, le monde de la production dans son ensemble était extraordinairement rétif à voir mettre en cause ses motifs et sa logique. Résultat de mois et d’années d’enquêtes sur des terrains divers, mais dont d’aucuns aurait pu prédire qu’il correspondrait au paradigme favori de mes présumés « adversaires » : celui de l’individualisme méthodologique. Il est certain que le mécanisme « d’euphémisation » des risques pour soi et pour l’environnement rencontré parmi les personnels a pu être analysé comme un cas de réduction de la « dissonance cognitive » chère aux psychosociologues. Quant à la franche hostilité de la plupart des ingénieurs et des dirigeants affirmée envers l’écologisme à l’époque, elle pouvait aussi se comprendre comme parfaitement rationnelle, au moins à court terme, comme adressée à un dénigrement de toute leur profession.
Mais aujourd’hui, je ne dirais pas que ces réactions presque unanimes du « monde du travail » ou comme on dit aujourd’hui, de la « culture d’entreprise », s’expliquent par un front d’intérêts bien compris. En réalité, il existait une convergence entre quatre types bien distincts de motivations, chacune inspirée non pas par l’intérêt, mais par la question de l’identité et de la reconnaissance : le travailleur « de base », l’ouvrier qualifié, l’ingénieur opérationnel, et le cadre supérieur.
L’ouvrier non qualifié, souvent temporaire et non attaché à l’identité d’entreprise, tend à se situer au plan de l’existence : vaut-il ou non le coup de risquer sa vie pour une « mauvaise boîte » ? Cette position ne donne pas lieu à un argumentaire compliqué : on reste (souvent parce qu’on ne peut pas faire autrement) ou on part.
L’ouvrier qualifié, dont le destin est davantage lié à l’entreprise, ne peut considérer son travail et son produit comme « mauvais » en soi, actuellement ou potentiellement, parce qu’il est façonné lui-même dans et par cette activité déjà pénible, et qu’il ne peut « se respecter lui-même » que s’il lui donne un sens d’utilité minimale. L’ingénieur d’exploitation vaut par sa capacité à faire tenir « le système » que constitue l’installation. En cas d’accident imprévu, il se sent responsable, mais lorsque la responsabilité est trop grande à porter, il peut se retourner contre ceux qui ont « failli » à leur tâche, et qui seraient d’autres que lui (hiérarchie, conception, opérateurs, etc.). Le « sens » de son activité ne fait jamais défaut, mais c’est la trahison, la mauvaise application, l’erreur humaine , etc. qui concentre sa critique. Quant aux patrons de l’usine, enfin, souvent ingénieurs eux-mêmes –mais d’écoles plus prestigieuses-, ils prennent l’affaire au plan d’une confrontation entre l’activité et les intérêts supposés d’acteurs sociaux extérieurs, toujours prêts selon eux, à fondre sur les « gens de terrain » comme autant de hordes d’oiseaux de malheur. C’est d’ailleurs ce qui explique que les discours les plus virulents « contre » les journalistes, les bureaucrates, les écologistes, etc. se situent à ce niveau, qui est aussi, évidemment, celui de la prise de parole la plus libre et la plus assurée.
Dans l’exemple d’une usine pétrochimique de la région lyonnaise dans laquelle j’avais enquêté avant que survienne une explosion de gaz, détruisant une partie de l’installation au risque d’incendier tout le secteur, et tuant deux personnes, l’accident produisit d’abord un clivage entre les personnels. Le plus significatif était sans doute le fait qu’en dépit d’une position syndicale offensive et accusatrice de la gestion de la sécurité, les ouvriers les plus proches des personnes tuées partirent de l’usine sans dire un mot, alors que le chômage dans la région était endémique. Il ne s’agissait pas pour eux d’intérêt, mais de blessure psychique : si le travail devait pouvoir conduire à une telle « annihilation », alors il n’existait plus comme implication possible de soi, même avec toutes sortes de garanties d’amélioration.
Les deux autres groupes, eux très bavards, entrèrent un moment dans une guerre de chantages pour imputer à l’autre l’origine du désastre : syndicats accusant la direction, direction accusant les ouvriers. Cependant, au-delà de cette petite guerre, je compris que la ligne de partage principale passait ici non pas entre cadres et syndicats, mais entre « le travailleur de base », fréquemment non syndiqué, de famille d’agriculteurs locaux, dont le silence exprimait le sentiment bien plus que tous les discours, et le reste des « professionnels du pétrole », ouvriers qualifiés, techniciens et ingénieurs compris.
Mais, ce qui fut pour moi le plus frappant dans le cas cité de l’usine explosive, fut que l’unité frontale de cet « establishement de producteurs » se rétablit en quelques mois, opposant alors à la critique externe (notamment écologiste) une façade lisse et commune. On retrouva un phénomène semblable après l’accident d’AZF qui traumatisa toute la ville de Toulouse : direction comme syndicats tombèrent d’accord pour innocenter toute cause venant de la production ou de la gestion, ce qui leur valut finalement l’indulgence des tribunaux, « faute de preuve ».
Cependant, dans la situation non traumatique ordinaire, les quatre positions (rester/partir, trouver un sens, incriminer l’erreur, fustiger «les ennemis de la société ») se retrouvent un peu partout, et j’en mis à jour un certain nombre d’exemples patents aussi bien sur mes terrains étrangers (comme la région de Chicago où j’enquêtais auprès des entreprises de la pétrochimie pendant les années 87-91.) Or ces positions, nous le voyons bien, ne correspondent pas mécaniquement à des niveaux d’intérêt économique, mais à des positions d’identité professionnelle, des façons de présenter à soi même et à autrui ce que les Chinois nomment « la face ». On peut bien sûr considérer que ces processus identitaires sont des constructions justificatives d’un intérêt. Mais comme le demandait Alain Caillé à propos de la sociologie de l’intérêt, cette extrapolation… a-t-elle le moindre intérêt ? La réponse est sans doute négative quand on observe que chacun des groupes d’identité préfère, à un moment ou un autre, choisir sa propre destruction plutôt que de continuer à « profiter » de la situation, hors du cadre sémantique où il peut conserver son mode de représentation. Au départ silencieux du travailleur de base, correspond par exemple le suicide du travailleur en quête de sens minimal de son activité (voir les travaux de Christophe Dejours, avec qui je fis quelques terrains dans le nucléaire en 86-88), ou celui de l’ingénieur qui ne peut plus justifier l’existence du système qu’il entretient ou développe.
En revanche, je retiendrai une idée de cette période d’étude du monde du travail et de la sécurité : les « habitus », les routines sociales, la répétition des situations quotidiennes et le rythme lent des évolutions de carrière, la rotation des mutations dans un espace social clos, etc., ont pour effet de renforcer continuellement les « univers sémantiques » dans lesquels les groupes se présentent à eux-mêmes et aux autres. Les arguments étrangers, les questions incongrues ou dérangeantes, les mots mêmes qui pourraient dire une difficulté morale ou sociale, sont éliminés progressivement, et, vu de l’extérieur, l’institution productive (comme la plupart des institutions) se comporte comme une bulle ou un aquarium : elle s’isole et fonctionne comme une machine sans à-coups, mais de plus en plus « inhumaine », à moins d’être confrontée de force aux « autres ». La conclusion s’impose alors : ce n’est pas parce que l’écologisme révulse les producteurs (parce qu’il contredirait leurs intérêts) qu’il tend toujours (en d’après nous encore aujourd’hui, en 2010), à être nié ou récusé comme source d’énoncés valides et respectables, mais parce que maintenir la « face » au long de sa vie active implique absolument de « coller » à son univers sémantique professionnel, et cela , même (et presque surtout) quand le bateau tangue : c’est alors la métaphore de la solidarité corporative (versus la trahison) qui prend le dessus.
Nous sommes au fond dans une logique qui est très proche de celle de l’engagement militaire, et nous savons que celle-ci fonctionne comme une grande force d’identification mutuelle, jusqu’à ce que l’héroïsme de la trahison ne manifeste sa valeur propre. Nous entrons alors dans une situation de délitement, où se produit un « renversement » des valeurs et où le maintien de la « face » n’est pratiquement plus possible dans le fonctionnement dominant jusque là. J’ai d’ailleurs pu observer de tels basculements, -notamment dans la région de Chicago-, lorsque par exemple, l’ensemble des personnels d’une usine polluante et vétuste décidèrent d’opter pour la thèse environnementaliste, ce qui revint à un pur sabordage et à la mise au chômage « volontaire » de milliers de travailleurs.
L’une des conséquences théoriques de ce constat est que le passage d’une idéologie « professionnelle » ou « corporative », ou encore d’une « culture d’entreprise » à une représentation ouverte ne se fait pas par progrès continus, mais par ruptures brutales et d’amplitude sociale importante.
Cette conclusion, éprouvée pour un certain nombre de situations particulières, devrait être, nous semble-t-il, appliquée aujourd’hui à la situation globale où se trouvent mis en cause d’un seul tenant le mode de vie et de travail, la consommation aussi bien que l’emploi.
Selon une hypothèse à démontrer, on assisterait aujourd’hui (2010) à une accumulation de critiques externes et internes au mode de vie « occidental » (en cours d’universalisation), mais celle-ci ne devrait pas entraîner de modification sensible pendant un certain temps encore.
Il se pourrait néanmoins, qu’à l’occasion d’une crise plus grave que les autres, un « basculement » se produise brutalement, accompagné ou non de manifestations d’hostilité réciproque. Ce basculement prendrait place malgré tous les intérêts installés, en dépit de tous les engagements dans « l’ancien système », tout simplement parce qu’il ne serait plus possible d’y continuer en gardant « la face », en jouant un personnage qui fasse « raison sociale », et que, de ce fait, la seule attitude supportable pour nous représenter nous-mêmes serait une sorte de trahison massive par rapport à ce que nous avons été jusque là.
L’une des questions intéressantes à ce propos, en osant une analogie avec la « tectonique des plaques », serait de saisir des signes avant-coureurs d’un tel changement ample et rapide. N’existe-t-il pas un changement qualitatif des accumulations, qui pourrait être alors considéré comme « stade pré-révolutionnaire » (en admettant qu’un bouleversement complet des modes de vie et de consommation puisse mériter cet épithète galvaudé) ?
L’une des façons d’y répondre a été pour moi de réfléchir non seulement sur le risque « réel », sur l’accident survenu ou potentiel, mais sur le risque fantasmé, projeté. Autrement dit, -et cela explique en grande partie mon rapprochement de longue durée avec la psychanalyse- est-ce qu’une manière d’envisager la « résistance » à un monde sémantique dans lequel on est plongé sans pouvoir même imaginer d’autres points de vue possible, n’est pas la voie du « symptôme », c’est-à-dire d’une sorte de transe expressive par laquelle, malgré soi, on dit et on fait ce qu’on n’oserait jamais penser consciemment ? Pour le dire plus directement encore : est-ce que nous ne préparons pas l’avènement d’une révolution des mœurs en la « mimant » inconsciemment à l’avance, ou en dénonçant –toujours inconsciemment- le système d’une façon si poussée, si absolue, qu’il en reste une trace ineffaçable dans la conscience collective ?
Cette interrogation m’a rapidement conduit à « soupçonner » le nouvel establishement des « risquologues » , de tous les experts du risque –industriel, technique, environnemental, culturel, etc.) de ne pas seulement travailler à la limitation des dangers réels, mais aussi, latéralement, d'exprimer des angoisses, celles-ci prenant une valeur d’inquiétude sur soi.
Je dois dire que, pour m’être passionné pour cette question pendant plusieurs décennies, je n’ai pas produit d’étude très poussée sur telle ou telle « grande peur » se manifestant dans l’actualité : les peurs sanitaires (du sida à la grippe H1N1 en passant par le SRAS et la grippe aviaire), les peurs sécuritaires (diverses étapes de la lutte anti-terroriste), voire leur combinaison (avec le thème du complotisme, par exemple). Je suis intervenu souvent sur ces thèmes dans le Monde diplomatique, parce qu’il me semblait que c’était –un peu comme Marcel Mauss et le socialisme- dans une relation d’engagement et de débat avec le public que certaines idées pouvaient être utilement testées. Pour ce qui est de la publication académique, et sauf exception, j’ai attendu dans ces domaines « d’en savoir plus » sur des séquences historiques plus longues.
J’ai en effet tenté de me faire d’abord une idée sur le « tableau général » de la peur médiatisée (et désormais internétisée) et du mécanisme général du symptôme qu’elle peut contenir. J’ai plutôt cherché à faire travailler mes dossiers en comparaison systématique plutôt que de m’engloutir dans l’événement et dans son commentaire "érudit », et j’ai plutôt cherché à former les éléments d’un tableau général des grandes « terreurs » collectives en ayant en perspective un nombre suffisant d’entre elles. Ainsi, par exemple, la séquence Sida/H1N1 (1984-2009) comporte plusieurs changements radicaux (tel le passage de l’accusation du non-soin à celle de l’excès de soin) mais aussi plusieurs vecteurs identiques (comme l’accusation de la « seringue »), est un objet bien plus pertinent et riche que la seule affaire du Sida (pourtant retentissante et réellement tragique). Pour tout dire, c’est seulement en 2010, et en ayant vu s’amplifier et se caractériser le phénomène des négationnismes et des complotismes), que j’ai l’impression de pouvoir désormais maîtriser une « théorie » du symptôme collectif.
Je l’énoncerai ainsi, quitte à reprendre l’ensemble du tableau pour une ultime « vérification » : le système global de la « société-monde » porté d’abord par l’initiative américaine soutenu par l’Europe occidentale et généralisé avec l’entrée en lice des grandes puissances « émergentes » comporte des difficultés et des impossibilités croissantes découlant de son succès. Dans la mesure où fonctionne pour ce macro-système notre paradigme de « l’autorenforcement » de l’appartenance institutionnelle, sa contestation ne peut plus provenir de l’intérieur… intérieur qui concerne désormais toute l’humanité, plongée dans un univers sémiotique sans extériorité. Seule l’expression inconsciente, se jouant du principe de contradiction désormais impossible (puisqu’il n’y a pas de terme extérieur à l’institution « monde »), peut parvenir à s’émanciper de cet interdit. Celle-ci prend la forme d’inquiétudes outrancières et déplacées sur des objets de peur collective, qui ne sont que ses prétextes. Il est possible de décrypter ces « décalages » entre des objets de peur explicites et ce qu’elles cachent, et de parvenir à une interprétation de ce que « disent » les êtres humains, de ce qu’ils pensent, « en leur for intérieur », en dépit de leurs comportements et de leurs pensées « officielles » ou de leurs intérêts conscients.
C’est aussi autour de ce genre de questions que je réinterprête aujourd’hui ma « fascination » (comme l’écrivit Georges Balandier à propos de mon livre sur la violence aux Etats-Unis) pour les symptômes individuels et collectifs du « malaise dans la civilisation ». Je rappelle succinctement qu’au cours des années 1990, après avoir publié un certain nombre d’ouvrages sur la question du risque, je m’engageai dans l’étude d’une autre pathologie : celle de la criminalité « monstrueuse », incluant crimes en série, crimes de masse, crimes « au hasard » et, last but not least, pédophilie. J’ai aussi approché le personnage du « terroriste », mais sans en faire un terrain véritable, peut-être parce que l’aspect de résistance directe qu’il comporte ne prêtait pas pour moi, dans un premier temps, à la recherche d’un côté « symptôme » qui me semblait à la fois plus évident et plus énigmatique dans le personnage du « mass killer ».
Le saut entre des objets aussi éloignés en apparence que la peur de l'épidémie et la peur du criminel n'est pas aussi grand qu'on pourrait le penser.Si on tente d’adopter une vision d’ensemble, on peut en effet distinguer la peur des choses (par exemple concernant les risques d’accident ou de désastre) et la peur des gens. Mais il s’agit seulement d’une amorce, car les catégories cherchent ensuite à se mêler, à s’entrecroiser : ainsi des risques naturels dont on impute l’amplification à l’activité humaine.
-Dans le registre de la peur des gens, j’ai observé essentiellement la suite /Tueur en série/ Meurtrier de masse/ Pédophile/Terroriste.
-Dans le registre de la peur des choses, j’ai pu distinguer deux sous-ensembles : la peur des accidents majeurs ou désastres, et la peur des épidémies sanitaires. Parmi les accidents majeurs, on peut retrouver les catastrophes localisées, (et à la limite inférieure, l’accident de circulation ou d’aviation) et à l’autre extrémité du spectre, le changement climatique qui résume tout en un seul accident terminal et global. La peur de l’épidémie est, par la multiplication des faits qu’elle implique, un phénomène intermédiaire entre l’événement ponctuel et l’apocalypse. On se rappelera, à l’occasion, en lisant les travaux de Peter Brown sur l’antiquité tardive, que l’on observa à l’époque une transition assez similaire entre des peurs sanitaires (la peur d’être physiquement occupé par des « démons »), et la peur de la fin du monde, qui devint l’une des bases essentielles du christianisme.
Bien entendu, je me suis souvent demandé moi-même quel pouvait être le rapport entre le domaine du risque technologique, celui des risques sanitaires et celui du crime « exorbitant ». La réponse s’impose d’elle-même, sous trois aspects :
-d’abord, à chaque fois, nous avons affaire à une « mise en suite » médiatique de très large impact international, un dossier accumulant les événements qui le nourrissent au fil des années, formant finalement une rubrique régulière dans tout bulletin d’information, et constituant la trame même des appels d’opinions.
_Ensuite, deuxième aspect, tout aussi important : chaque suite tend à présenter un développement dans le double sens du « plus grave » et du « plus ample ». Si l’on s’en tient à un critère « d’amplitude médiatique » (critère qui pourrait par exemple se construire autour des mesures d’audience en masse et en durée), associé à d’autres critères de popularité d’un thème de débat, il serait possible de montrer qu’il existe une gradation, qui recoupe aussi le degré de « gravité » propre de chaque objet. On pourrait dire, que dans chaque registre, attention du public, amplification médiatique durable et aggravation objective vont dans la même direction. Tout comme la croissance était tenue naguère pour indéfinie, l’aggravation des phénomènes effrayants semble inscrite dans le récit global qui leur sert de « loi-cadre » narrative.
Prenons le cas des « tueurs » : qu’est ce qui est plus effrayant qu’un meurtrier qui tue quelques victimes ? Un meurtrier qui en tue des dizaines (voire des centaines). Mais qu’est ce qui est plus effrayant qu’un meurtrier qui tue une dizaine de personnes en dix ans ? Un meurtrier qui fait la même chose en quelques heures. Et qu’est-ce qui dépasse encore cette horreur ? Celui qui s’attaque à des enfants (c'est-à-dire à l’avenir de l’espèce). Encore qu’il y a pire : celui qui tue des centaines de personnes, voire des milliers –enfants compris-, lors d’attentats-suicide aveugles, etc.
On observe une gradation analogue pour les épidémies sanitaires : le Sida –suspecté d’avoir été provoqué volontairement ou induit « par erreur » à partir d’expériences ou de vaccinations-, puis répandu notamment par les produits non chauffés de la transfusion sanguine, concernait surtout (pour l’opinion réfractée par les médias) des groupes de personnes stigmatisables pour leur activité sexuelle. L’ESB (encépalopathie spongiforme bovine) ne tua que peu de gens, mais fut accusée de pouvoir faire passer une maladie d’une espèce à l’autre (idée déjà en germe pour le sida à partir des singes), et établit le modèle imaginaire populaire des grippes « aviaires » et « porcines », qui ouvrait la voie à une sorte de généralisation des pandémies inhabituelles. Elle s’attaquait cette fois à tous les « mangeurs de viande » et plus particulièrement les « mangeurs de cervelle », et mettait en cause à la fois le mode de production (technicisé et contre nature) de la viande à partir des farines animales comme nourriture donnée aux bovins, et le mode de vie excessivement « carné » de l’Occidental.
Le SARS fit porter la suspicion sur la société chinoise comme source de toutes les maladies mortelles depuis le moyen âge, et la promiscuité entre porcs, volailles et êtres humains, plus généralement sur un mode de vie et de production à la fois polluant, industrialisé et tourné vers la consommation mondialisée. L’amorce de l’idée de maladie répandue sur la surface terrestre et concernant tous les êtres humains du fait des déplacements internationaux fut relayée bientôt par les deux grippes atypiques. La dernière a mis en branle une véritable peur institutionnelle se mobilisant –de façon assez largement irréaliste, décalée, excessive- autour de la vaccination, éventuellement obligatoire, de peuples entiers. Elle a été l’occasion de l’irruption médiatique (et spécialement sur internet) d’un prophétisme de l’apocalypse autour du thème de la « réduction de population », résultat soit d’un virus manipulé plus dangereux que celui de la grippe « espagnole » (en fait plutôt sino-anglo-américaine), soit d’une vaccination obligatoire à visée mortelle. Les délires qui ont accompagné cette montée ont eu des effets incontestables : les campagnes de vaccination ont connu des échecs retentissants, à des échelles inconnues, signant le désarroi de la mobilisation sanitaire internationale et étatique.
-Enfin, (troisième aspect) les trois domaines de la peur médiatisée ont eu tendance à s’entrelacer pour ne former plus au bout du compte qu’un seul fantasme : le terroriste devenant potentiellement « réducteur » de la population humaine grâce à la pandémie résultant d’un virus manipulé. La technologie rejoint enfin le désastre naturel via un « génosuicide » au sens propre : l’attaque du genre humain par lui-même.
Si j’avais été assez tôt intrigué par la question des pathologies sociales comme symptômes, je ne savais pas très bien en couvrant ce champ de quoi elles étaient symptômes, ni d’ailleurs en quoi le symptôme pouvait être la « solution » à l’incroyable (et pourtant explicable et même « rationnelle ») insensibilité d’une immense majorité de mes contemporains à la seule supposition que la trajectoire collective des progrès techniques, si quotidiennement libérateurs qu’ils fussent, puisse être, au bout du compte, un déferlement mortel, une voie sans issue. Mais le fait est qu’à force d’arpenter ces problèmes en essayant divers modèles théoriques, je me ralliai finalement au constat qu’il s’agissait bien de l’unique possibilité pour « préfacer » et mettre en scène de manière inévacuable un problème encore largement « impolitisable » (comme l’avait remarqué le sociologue allemand Niklas Luhman ).
Restait encore à comprendre comment le symptôme « parle » et de quoi. Tel le sphinx, dont les propos énigmatiques nous renvoient ce que nous disons, on ne peut lui attribuer sérieusement un « message ». En tentant aujourd’hui une synthèse de diverses impressions, et en m’appuyant surtout sur les analyses plus fines que m’avaient suggéré le domaine du « tueur exorbitant », je dirais que le symptôme « parle » dans plusieurs dimensions discursives à la fois. J’ai cité celle de « l’aggravation », associée étroitement à « l’homogénéisation » qui est la plus évidente et la plus immédiatement accessible à un large public : on peut y lire un désir : celui « d’en finir » avec un réseau de contraintes qui se tissent entre chaque individu et le monde humanisé, et appelle à une « fin de ce monde ». On peut aussi simplement y voir le reflet de la mondialisation, rêvée comme progression sans échappatoire. En ce sens, il est très clair que, comme le soutient Ulrich Beck dans son livre sur le cosmopolitisme (ou Marc Abélès liant "survivance" et "globalisation"), les peurs « fabriquent » littéralement la scène sur lequel la politique devient pertinente, et qui se manifeste comme solidarité désormais totale, qu’il s’agisse des conséquences de la pollution anthropique (« l’empreinte écologique »), de la fin des énergies fossiles, ou de la propagation rapide des pandémies via les réseaux de communication.
Mais le symptôme dit aussi beaucoup d’autres choses, et plus précises s’il trouve ses interprètes attentifs : par exemple, il peut nous dire, chez les tueurs en masse, que si la tuerie n’est qu’un raccourci de la vie intenable qui nous est proposée (parce que construite « en série »), elle possède néanmoins toujours un « sujet » de l’acte. Il est d’ailleurs curieux (mais cela fait partie du problème) que les commentaires médiatiques autour de ce type de « suicide altruiste » soient toujours de l’ordre de la perplexité : « acte incompréhensible », « imprévisible », chez un individu « sociable et tranquille », etc. Ce qui achève de suturer deux bords de silence au dessus de ce qui, pourtant, se crie avec tous les accents de la tragédie : que nous sommes chacun responsable… de notre comportement collectif et moutonnier.
Le terroriste, lui, délivre un message, qu’il le sache ou non : il gagne toujours dès sa tentative connue et médiatisée, car il entraîne immanquablement de l’institution une accélération des mécanismes de contrôle qui rendent au plus grand nombre la vie encore plus désagréable et humiliante au lieu même du « progrès ». Il désigne par là même la limite intrinsèque du délire technologique par rapport à l’humain. Il se rapproche de plus en plus du personnage du héros, qui, comme dans « Avatar » est aussi un traître. Et il est connu que le terroriste, loin d’être un « moins que rien », est souvent une personne éduquée au sens moderne du terme.
En tout état de cause, l’évolution du thème de l’épidémie (et son succès croissant parmi les « peurs »), peut être facilement interprétée comme critique de la mondialisation, dont elle est, pour ainsi dire, la forme canonique : ainsi l’argent répandu par la finance mondiale fait-il proliférer les formes similaires et leurs effets identiques : bétonnage des côtes et des banlieues, endettement des investisseurs, surinvestissement des pauvres qui se logent, etc.
De même, l’accident « systémique » qui se représente directement comme collapsus du fonctionnement du monde humain « globalisé » peut-il apparaître comme l’objet de tous les fantasmes –romancés, cinématisés ou médiatisés à partir d’événements précis. Ce qui est pointé du doigt du symptôme, si l’on peut dire, c’est bien la totalisation planétaire de la société humaine, devenant à la fois unitaire, unique et unaire…
Cependant, autant l’analyse des actes affreux et de leur enveloppe culturelle a pu donner lieu à des publications assez faciles de livres ou d’articles, autant les choses sont devenues pour moi plus difficiles quand j’ai prétendu aller au-delà du symptôme pour réfléchir d’une part sur la cause profonde de la tendance à produire « du système » jusqu’au suicide collectif, et d’autre part sur les alternatives possibles à cette tendance : dans la première décennie des années 2000, j’ai ainsi publié plusieurs livres « de fond »: « Entre esprit et corps, la culture contre le suicide collectif (Anthropos), « Société-monde : le temps des ruptures » ‘La Découverte). Ils n’ont connu que des succès d’estime. Quant à mes tentatives de rendre compte de la source des phénomènes, jusque dans le langage (ce qui est au fond moins « fou » que la tentative de Paul Jorion d’expliquer la folie occidentale par l’adoption aristotélicienne de la connexion antisymétrique, dans son livre paru chez Gallimard), elles n’ont pratiquement pas été considérées ni commentées. Et je ne parle pas des ouvrages déjà publiés dans les années 90 où j’essayai de proposer de première formulations de l’alternative à la peur : « la démocratie des passions », ou « la civilité » conçue comme résistance aux citoyennetés formelles et homogénéisantes (donc terrifiantes). Il est vrai que la logique profonde qui centrait tous ces essais m’apparût à moi-même assez lentement. Mais je crois que ce n’est pas la seule raison de leur insuccès : le fait est que le chercheur, normalement, prend de l’avance sur ses contemporains dans le domaine de sa quête. Et même si celle-ci porte sur la destinée commune, il faut bien plus de temps que l’on croit pour que la majorité des gens se placent d’eux-mêmes face aux problèmes les plus douloureux en allant chercher des remèdes radicaux –mais inévitables- aux maux qu’ils ont bien trop tardé à traiter au fond. Dans les années quatre-vingt dix, je calculai qu’en moyenne le chercheur en sciences sociales disposait de deux ans d’avance sur la conscience médiatique la plus avancée, par exemple sur l’analyse des grands accidents, le scandale des sectes suicidantes ou la criminalité « démente » (Mais Paul Jorion l'a démontré aussi pour le thème de la crise financière). Pour ce qui concerne le reconnaissance du fait « globalitaire » comme source de pathologies propres, il s’agit plutôt de quatre à dix ans. Ce qui est un problème pour le chercheur qui ne peut tout simplement pas se faire comprendre. Prenons l’exemple de l’idée que la plupart des grandes peurs seraient symptômes d’une vérité « à venir », à savoir que la société-monde, comme totalité planétaire sans extériorité est tout simplement insupportable parce « qu’acosmique » (c'est-à-dire non symbolisable par comparaison avec d’autres choix possibles, sauf régression) : elle est encore difficilement pensable pour une majorité, non par incapacité intellectuelle, mais parce que ses résistances mêmes l'empêchent de réaliser qu’elle y est déjà complètement plongée. En dehors des symptômes cités, il n’existe encore aucune prise de conscience, sauf de petits malaises ou perplexités suscités, par exemple, par le fait que le monde n’est plus dirigé par une ou deux puissances, ni par l’ONU, ni même par des G 3, 4 ou 20, mais par des conférences où se font photographier ensemble les dirigeants des grands pays (un peu comme des « Yalta » multipolaires). Je pense très sérieusement qu’il faudra attendre au moins jusqu’en 2015-2020 pour que les concepts élaborés peu à peu pour rendre compte des problèmes spécifiques de la société-monde soient éventuellement compris et pris en considération dans un débat. Ce qui est compréhensible : il faut plus que vivre l'actualité et se porter vers une anticipation raisonnée rigoureusement afin de saisir l’objet que je désigne comme source réelle de la peur (et qui n'est rien d'autre de ce qu'il faut bien appeler "le système" et n'a plus grand chose d'une société, perdue, enfouie, cachée sous le système, tel l'objet petit a lacanien ou le phonème zéro jakobsonien), et la pertinence du concept de « pluralité » que j’y oppose, et qui passe pour le moment au pire pour une douce lubie teintée de mégalomanie, ou,au mieux pour un intérêt sympathique pour un mot un peu gentillet.
Alors que, j’en ai la conviction, travaillée depuis environ 1996, c’est vers un redécoupage du monde selon les principes d’une pluralité anthropologique que nous allons nécessairement, si nous ne voulons ni mourir de nos terreurs, ni être détruits comme concours de civilisations par "l'acosmisme" du Système.
Pour ce qui est du concept de "pluralité anthropologique" que je travaille aujourd'hui, il faut aussi dire qu'il n'est pas aisé à situer. Je le tente par ailleurs dans ce site, mais, à coups de serpe, on pourrait ici tenter la définition suivante : la pluralité anthropologique est d'abord la tendance chez tout être humain à se diviser comme sujet social, et c'est secondairement la possibilité ouverte de répercuter cette division interne dans un système politique. La division interne du sujet est expliquée entièrement par le fait de parler, ce qui introduit immédiatement quatre positions simultanées chez le parleur :
-il est celui qui est sujet à l'obligation de parler, déterminé par le pouvoir sociétal sur lui.
-il est celui qui décide de parler et de choisir son discours, de se positionner dans une conversation.
-il est celui qui est s'implique dans l'énonciation.
-il est celui qui vient emprunter la position du sujet grammatical.
Il se fait que nous ne soutenons pas chacune de ces positions avec la même énergie, le même enthousiasme. Notre "style", que nous le voulions ou non, nous conduit à préférer nous investir plutôt dans l'une que dans l'autre. Il en découle au plan social que nous allons plutôt alimenter un segment de la société consacré à l'une des positions :
-L'obligation sociétale est déterminée par la structure politique et de pouvoir, qui intéresse plus certains que d'autres.
-La décision de discourir et de choisir, de se positionner intéresse la civilité et son ordre.
-L'implication spontanée dans l'énonciation est du registre de la familiarité.
-Enfin, le soutien des positions syntaxiques est une "prise de rôle" imaginaire.
Sans détailler la théorie ici, je justifie ainsi ma quête des "origines du langage" (alors qu'à Dieu ne plaise, je ne suis pas linguiste, refusant de me noyer dans les problèmes de "l'ergativité" et autres fadaises pointillistes, ou fétichistes), parce qu'une expérience en pensée suffisamment conduite peut servir à soutenir comment les êtres humains, "entrés en langue" se divisent nécessairement non seulement individuellement mais socialement : toute société humaine comporte des gens tournés vers le pouvoir (même si ce n'est pas encouragé dans les "sociétés contre l'Etat" selon Clastres, ou les sociétés domestiques selon le grand Marshall Sahlins), des gens lancés dans l'énonciation la plus spontanée (et la moins balisée par le Sociétal), d'autres qui se font grammairiens et légistes, et d'autres, enfin, qui portent le théâtre des structures syntaxiques avec bonheur et invention. Cette tétralogie (à comparer avec les tétralogues de Mary Douglas, d'Alain Caillé ou de nombreux autres théoriciens) n'est qu'une amorce de pluralité, car bien des positions intermédiaires ou hybrides sont possibles. Mais je maintiens qu'il s'agit des polarités principales de toute anthropologie, et qu'on peut les retrouver substantiellement sous les termes "Sociétal", "Familier", "Normativité", et "Culture".
Mon travail actuel consiste à tenter de retrouver dans les cultures passées et présentes, le "plan de pertinence" où l'on peut trouver cette pluralité minimale et inévitable à l'état natif, mais aussi dans des formes déployées, telles qu'elles n'auraient pas été déviées vers les contradictions identitaires (conflits entre êtres se tenant pour identiques et en compétitions pour l'Etre), ou vers les complémentarités fonctionnelles.
L'enjeu, j'espère, en est clair : il est de soutenir la possibilité même d'une conversation humaine universelle qui "freinerait" les emportements sucessifs dus à la victoire de chaque polarité, puisque chacune d'elle croit pouvoir boucler sous son égide l'ensemble des autres.
C’est une façon de dire qu’au fond, mon autobiographie de penseur-chercheur se résume à deux moments essentiels : le temps de la peur (comme prise en charge symptômatique de dangers réels) qui s’échelonne de 1978 à 1995, et le temps de sa sédation sous les auspices d'une anthropologie de la pluralité qui va de 1996 à 2010...ou plus. Et, pour boucler enfin la boucle, je dirai que si le premier temps -celui de l'analyse des peurs- fut sûrement le plus riche en découvertes empiriques, il ne m'intéresse plus aussi passionnément, ne serait-ce que parce qu'au delà du symptôme, et quand il faut bien en venir à l'entrée en lice dans l'agora des raisons politiques, de ce symptôme, on ne sait plus que faire.
Paradoxalement, pour le chercheur en question, le premier temps, presque «pulsionnel », fut bien plus facile à produire et à exprimer, que le second qui compte pourtant des efforts de travail bien plus intensifs et prolongés.
Mais, sans se plaindre pour autant, peut-être faut-il tenir compte de la période de crise chronique dont cet effort est contemporain, et caractérisé précisément par une rigidification du "système", notamment en France où le monde intellectuel et académique rivalise avec d'autres dans l'exercice du repliement bureaucratique, de la peur réciproque (bien qu'on n'en soit pas encore à dépasser le score du stalinisme en la matière), du rétrécissement frileux, du hiérarchisme absurde et de l'abandon des questions de vérité pour l'embrassement avide et féroce des logiques de pouvoir et de subordination. Il se peut fort que les gens de ma génération aient bientôt à reconnaître expressément en fin de carrière ce que Claude Lévi-Strauss subit en commençant la sienne : "« pour mes compagnons lancés dans l’aventure après une existence souvent paisible, ce mélange de méchanceté et de bêtise apparaissait comme un phénomène inouï, unique, exceptionnel, l’incidence sur leur personne individuelle et sur leurs geôliers d’une catastrophe internationale comme il ne s’en était encore jamais produit dans l’histoire. Mais moi, qui avais vu le monde, et qui au cours des années précédentes, s’était trouvé placé dans des situations peu banales, ce genre d’expériences ne m’était pas complètement étranger. Je savais que de façon lente et progressive, elles se mettaient à sourdre comme une eau perfide d’une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité toujours plus grande des problèmes, comme si son épiderme eût été irrité par le frottement résultant d’échanges matériels et intellectuels accrus par l’intensité des communications (..) Toutes ces manifestations stupides, haineuses et crédules que les groupements sociaux sécrètent comme un pus lorsque la distance commence à leur manquer, je ne les rencontrais pas aujourd’hui pour la première fois. »
Mais pour ne pas terminer le propos d'une vie sur une note pessimiste, je dirai que je suis assez content d'avoir eu des enfants dont le talent pour la rebellion et la liberté promet d'en faire suffisamment voir au Système... J'espère être encore là pour les applaudir quand ce grand machin inutile à l'homme commencera à se craqueler, tel le "Néant" dans le beau film "L'Histoire sans fin" dont ils ont régalé leur enfance.
For an author who claims to continue to write, or a researcher expecting to do research, the autobiographical exercise is nothing like writing a CV. The most interesting way to perform it is to ask what he would do now with issues he had addressed thirty years earlier; are they outdated and useless? If he had to revisit them, how would he treat them?
He could thus attempt to close a loop, and seize the opportunity to observe how the future can welcome more or less what comes from past.
It is in this spirit that I would present my work since I joined the CNRS in 1978, since it was only then that I could find my way to matters of my choice, without depending on making a living. Concentrating on external "requests", mainly by the French ministry for environmental issues (for which I worked as a contract-researcher since 1971 at the Centre for Urban Sociology (CSU).
The question I posed at the outset, in the years 1977-78, was that of environmental concern. I had just come from an activist period, when the "common program of government" had been initiated by the Communist Party and accepted by the Socialist Party led by François Mitterrand. Communist for the past ten years, I retired then from the PC, which was paradoxically driven by Georges Marchais’ policy towards a rupture of the Left. The sectarian and authoritarian side of Leninist communism was decidedly incorrigible, and any chance of building a “social” party opened and anchored on freedom appeared obsolete to me - as to many intellectuals. But the main reason for my departure was less the position of leadership than my belief that this party - like others - was unable to consider the importance of worldwide issues raised by industrial dangers. But this did not mitigate the concern which became my first object of study: the question of how industrial workers could themselves become carriers of awareness, being in some way positioned on the forefront.
I admit this problem was somewhat naive and heavily influenced by Marxist ideology according to which the "working class”, the proletariat, could only have a providential function, and by extension, the idea that the basic human industrial systems necessarily plays a decisive role in the questioning of productivity associated to a greedy pursuit of profit.
Today, I would probably be more cautious there. Not that I feel the need - long after Andre Gorz proclaimed his "farewell to the working class"-, since, otherwise, this class did not expect these pronouncements to dissolve as a concept and as a rallying symbol (if not in reality). But simply that, in the aftermath of my own studies, I do not believe anymore that there is any relationship between a social situation and a privileged position for criticizing the operating system. Having successively interviewed workers, managers and leaders of the industrial world in the eighties, in France, the United States and Algeria, I became convinced - a little disappointing for my ideals - that (outside nuances related to corporate interests), the world of production as a whole was extremely reluctant to see its motives and its logic questioned by others. This result followed months and years of investigations on various grounds, but some would have predicted that it corresponded to the paradigm defended by my favourite alleged "enemies": the supporters of “methodological individualism”. It is certain that the mechanism of "euphemizing” risk for oneself or for the environment encountered among workers and managers could have been analyzed as a case of reducing "cognitive dissonance", a concept loved by rationalist psycho-sociologists. As for the open hostility shown at the time by most engineers and managers against environmentalism, it could also be understood as perfectly rational, at least in the short term, and rightly addressed by a denigration of their entire profession.
But today, I would not say that these reactions, almost unanimous within the business and working world, or as we say today, the "corporate culture", could be explained by a spontaneous mixing of well understood interests. Actually, there was a convergence of four quite distinct types of motivations, each inspired not by the interest, but by the urge for identity and recognition: the 'lay” workers, the skilled worker, the operating engineer, and the upper management.
The unskilled worker, often temporary and not tied to corporate identity, tends to locate himself at the level of simple “existence” : is it or is it not worth risking one's life for a "bad company"? This position does not give rise to a complicated argument: they stay (often because they cannot do otherwise) or they quit.
The skilled worker, whose fate is more tied to the company, may not consider his work and his product as "bad" in itself, actually or potentially, because he has shaped himself in and through this painful activity, and he can only "meet himself" if he gives it a sense of minimal utility. The engineer is operating in his ability to maintain the installed system. In the case of an unforeseen accident, he feels responsible, but when the responsibility is too great to bear, he can turn against those who "failed" to their task, (hierarchy, designers, operators, etc..). The "sense" of his work never fails, but treason, misapplication, human error, etc.. is the focus of his criticism. Finally, as for the bosses of the factory, - often engineers themselves, but from more prestigious schools -, they take the case to plan a confrontation between their activity and the perceived interests of social actors outside, always suspected by them to pounce on “demagogy” like so many hordes of Cassandras. This is also why the most virulent speeches against journalists, bureaucrats, environmentalists, etc. are to be heard at this level, which also, of course, makes speech freer and more assured.
In the example of a petrochemical plant in the Lyon region, where I had investigated before the occurrence of a gas explosion, killing two people and destroying part of the facility, at risk of burning the entire area, the accident created several splits among the staff. The most significant was undoubtedly the fact that despite the official position of the workers’ unions which was offensive and accusatory of safety management, workers closest to the people killed left the plant without saying a word, while unemployment in the region was endemic. It was not for them a question of material interest, but they had been psychologically injured : if work could lead to such a quick "annihilation", then no more involvement was possible, even with all sorts of guarantees of improvement.
With the other two groups, each very talkative, came a moment of blackmail war to impute to the other the cause of the disaster : unions accused the leadership, direction accused the workers. However, beyond this little war, I understood that the main dividing line was not the one severing managers and unions : it was the gap formed amid the employee base (often non-union people issued from families of local farmers, whose silence expressed their sentiment better than words), and the rest of the oil business, including skilled workers, technicians and engineers.
What was most striking for me in the case of the explosive plant, was that the united front of this "producers’ establishment " recovered in a few months, opposing a smooth and common façade to any external criticism (including ecologists). We found a similar phenomenon after the AZF accident which traumatized the entire city of Toulouse : direction as unions agreed to ignore any distrust on production or management, which ultimately earned them the indulgence of the courts, for "lack of evidence."
However, in the usual non-traumatic situation, the four positions (stay / leave, making sense, blaming errors, castigating "the enemies of society") are found everywhere. I noticed a number of obvious examples of that, both in my foreign fields (as in the Chicago area where I was doing research in petrochemical companies in the years 87-91.)
These positions, as we see , do not automatically correspond to levels of economic interest, but they seem to be ways to present to others what the Chinese call one’s "face". Of course, we can consider that these “identity construction” processes are ultimately motivated by interest. But as Alain Caillé asked about the sociology of interest ... does this extrapolation present any interest? The answer is probably negative when it is observed that each group prefers, at one time or another, to defend its identity to the end, and thus choosing its own destruction rather than continuing to "take advantage" of the situation, outside the semantic framework in which people can maintain their mode of self-representation. To the silent departure of a “lay worker” corresponds, for instance, the suicide of a worker seeking minimal sense of business (see the work of C. Dejours, with whom I shared some fields in the nuclear business, in 86-88), or that of the engineer who can no longer justify the existence of the system that he is in charge of maintaining or developing.
However, out of the study period in the world of work and security, I will retain an idea : habits, social routines, repetition of everyday situations and the slow pace of career development, rotation of mutations in social enclosed space, etc.. have the effect of continuously strengthening the "semantic universe" in which groups appear to themselves and others. External arguments, incongruous or intrusive issues, the very words that could introduce a moral or social difficulty, are phased out; then, seen from outside, the productive institution (like most institutions) behaves like a bubble or an aquarium: it isolates itself and works like a machine: smoothly, but with less and less "humanity", unless confronted by force to "otherness." The conclusion is then: it is not because environmentalism revolts producers (because it contradicts their interests) that it always tends (even today, in 2010) to be denied or rejected as a source of valid and respectable sentences. It is because maintaining their "face" throughout their life absolutely requires a strong “sticking” to their professional semantic world. Even when the “pitching boat” metaphor happens to be realistic, solidarity (versus treason) finally takes over.
This logic is very close to that of the military engagement, and we know that it works as a great strength for mutual identification, until the ”heroism of treason” begins to show its own value. We then enter into a situation close to disintegration, which produces a "reversal" of values: keeping a "face" becomes hardly possible in the hitherto dominant reference system. I have myself observed such tilting, -particularly in the Chicago area- where, for example, all staff of an outdated and polluting factory decided to opt in favour of the environmentalist argument, which came to the conclusion that the closing of the plant was ineluctable and came down to push thousands of workers out of employment.
One of the theoretical implications of this finding is that the passage of a "professional" or "corporate culture" to an open representation does not develop through a steady progress, but happens through brutal breakdowns of some social importance.
This conclusion, tested in a number of situations, should be applied today to the global situation which is implicated at the same time within lifestyle and work, consumption as well as employment.
According to a hypothesis (yet to be verified), there would be today (2010) an accumulation of external and internal highly questionable western (becoming universal) lifestyle features but they should not cause a significant change for some time. It could be, however, that during a crisis more serious than others, a 'tipping' occurs abruptly, with or without mutual hostility. This changeover would take place despite all the established interests, despite all the commitments in the "old system", simply because it would be no longer possible to continue keeping one’s "face", and playing a character who makes sense in terms of honour and dignity. Therefore, the only supportable positioning in order to represent ourselves shamelessly would be a massive sort of betrayal of what we've been participating in for long decades.
One of the interesting questions in this regard, is a daring analogy with "tectonic plates" : how could we seize the warning signs of such a large and rapid change? Are there no qualitative change accumulations, which could then be considered signs of a "pre-revolutionary stage" (assuming that a complete change in lifestyle and consumption could deserve this overused adjective)?
One way to answer that question was for me to reflect not only on the possibility of "real" or potential accidents or disasters, but also on the fantasized projected risks. In other words, and this largely explains my long-term rapprochement with psychoanalysis - it is interesting to consider the "resistance" to a semantic world in which we are immersed without being able to build up other possible points of view. We can call this resisting attitude a "symptom", a kind of expressive trance in which, we cannot help to say and do what we would never consciously think. To put it more directly: are we not preparing the advent of a revolution by unconsciously "mimicking" it in advance, or at least by exposing the system illnesses in such a way that it leaves an indelible mark on our collective consciousness?
This question led me quickly to "suspect" the new establishment of "risquologists” being symptom-producers: all these industrial risk preventers, technical assessors, health reformers, environmental diagnosis experts, or cultural decadence prophets; are they only working to limit the real dangers ? Are they not, literally, devoted to expressing public anguishes, in order to become audible and acceptable ?
I must say that, despite my passionate interest about this issue for several decades, I have not yet published any thorough study on this or that "great fear" exposed in the media, like health fears (from AIDS to H1N1 influenza through the SARS and avian influenza), fears for safety (various stages of the anti-terrorist concern), or their combination (with the theme of the plot, for example). I have spoken frequently on these topics in the “Monde Diplomatique (LMD), because it seemed to me - a bit like Marcel Mauss writing in “L’Humanité”- that a relationship of engagement and discussion with a large audience might be useful for testing ideas. Regarding the dull academic duty of publishing (as opposed to mandatory “perishing”), I preferred being patient (nonetheless as patient as Charles Darwin was, having published for decades on barnacles before daring to say something about evolution), and I waited to know more about longer historical sequences. I did try to set up a first idea of a "general picture" of publicized (and now 'internetized') fears and of the general mechanism of symptoms it can hold. Instead of playing the academic game (which tends, in a shrinking France, to require a day-to-day flood of insipid quotations as if researchers were specialized office workers) , I tried to compare systematically my work files rather than to engulf myself in each event and its scholar "commentary ". I have sought to train the elements of the general picture of the great terrors, aiming at collecting a sufficient number of them. For example, the sequence AIDS/H1N1 (1984-2009) contains several radical changes (such as the passage from a charge of carelessness to the accusation of excessive care) but also several identical vectors (as the accusation of vaccination). It is something much more relevant and richer than the single case of AIDS (though truly tragic). In short, it is only in 2010, (and having seen the expansion of the phenomenon of holocausts negationisms and “world order” conspiracy terrors), that I feel I can now get some control over a "theory" of the group symptom.
Free to reset the entire table for a final "verification", I will state it so: The global system of "world-society", first borne by the American initiative supported by the Western Europeans and then generalized with the entry of competing “emerging" great powers , shows, with its increasing success, more difficulties and impossibilities.
Insofar as this works out with our macro-system paradigm of "self-reinforcement" of institutional affiliation, its challenge cannot come from within ... A "within” which now affects all humanity, immersed in a world without any conceivable semiotic externality. Only the unconscious expression, trifling with a henceforth impossible principle of contradiction (since there is no end and no outside to our global "world) can achieve emancipation from this new prohibition. This takes the form of exaggerated concerns about objects of collective fear, which are, in fact, its excuses. It is thus possible to decipher the "discrepancies" between objects of fear, to express what they conceal, and to provide an interpretation of what human beings are really “saying”, what they think "in their hearts", despite their official discourses about risks and dangers.
It was also around these kinds of questions that I now reinterpret my "fascination" (as George Balandier called it about my book on violence in the U.S.) by individual symptoms and collective discontents. I remember briefly that, during the 1990s, after publishing a number of books on the issue of risk, I committed myself to the study of another strange social object : the "monstrous" crime including serial mass killings, "random" murders and, last but not least, paedophilia. I also approached the "terrorist" character, but without making a real field of it, perhaps because its aspect of direct and apparently conscious resistance was not consistent with my search for "symptoms", which seemed together more obvious and enigmatic in the "mass killer” figure, for instance.
If we try to adopt a broader vision, we can actually distinguish between fear of things (eg. about the risks of accident or disaster) and fear of people. But this is only the beginning, because the categories then attempt to interfere, to intersect: for example, natural hazards which are attributed to the amplification of human activity.
In the registry of the fear of people, I observed mainly the following sequence : serial killers / mass murderers / Paedophiles / Terrorists.
- In the registry of the fear of things, I could distinguish two subsets: the fear of major accidents or disasters, and that of health epidemics. In major accidents, one can find localized disasters (at the lower limit, traffic or air accidents) and at the other extremity, climate change, which –in fantasy, of course- summarizes all in one total and terminal accident.
By the multiplicities of the facts it involves, fear of the epidemics is an intermediate phenomenon between the single event and the Apocalypse. On occasion, it will be recalled by reading the work of Peter Brown on late antiquity, that we observed at that time a somewhat similar transition between health fears (fear of being physically possessed by "demons "), and fear of the end of the world, which became one of the essential foundations of Christianity.
Of course, I have often asked myself what could be the relationship between the area of technological risk, health risks and the "exorbitant" crime. The answer comes by itself, in three ways:
- First, we deal with a continued narrative development woven by international media, which accumulate records of events that feed over the years, eventually forming a regular column in any paper or programme and constituting the very fabric of opinions.
- In the second aspect, equally important, each sequence tends to present a development in the double meaning of "more serious" and "bigger". If we stick to a criterion of media amplitude (criterion which could for instance be built around audience measurement in mass and length), together with other criteria of popularity of a debate theme, it would be possible to show that there is a gradation, which also intersects the degree of "seriousness" of each specific object. One could say that in each registry, public attention, media amplification and deepening the affective dimension of the object are going in the same direction. As growth was once held for indefinite increase, frightening phenomena seem dedicated to aggravation, and therefore written into the same overall “horror” storyboard which serves as a "framework law".
Take the case of "killers": what is more frightening than a murderer who kills several victims? A murderer who kills dozens (even hundreds). But what is more frightening than a murderer who kills ten people in ten years? A murderer who does the same thing in a few hours. And what is even more horrendous than this? Anyone who injures children (that is to say the future of the species)... Even worse is this individual who kills hundreds, even thousands, including children, during indiscriminate suicide bombings, etc...
A similar gradation is to be observed in health epidemics: AIDS was suspected to have been caused deliberately or induced "by mistake" from experiments or vaccinations, then spread especially by non-heated blood transfusion. Refracted by the media, it was used especially to stigmatize groups of people for their sexual activity. BSE (bovine spongiform encephalopathy) killed only few people, but was accused of being able to pass a disease from one species to another (AIDS had already been supposed to be transferred to man by monkeys). It established a popular model for "bird" and "pig" flu which, on their turn, paved the way for a kind of generalization of unusual pandemics. "Mad Cow" disease attacked "meat eaters" and especially "brain eaters", and questioned both the method of production of meat from bone meal as food given to cattle, and the carnivorous lifestyle of the West. SARS brought suspicion on the Chinese society as the source of all fatal diseases since the Middle Ages, because of the widespread promiscuity of pigs, poultry and humans. Soon followed by fear of diseases spreading all over the planet because of international travels as seen with these last two flu epidemics. The last one set in motion the institution of mass fear-mobilization, in particular by the mean of excessive and possibly obligatory vaccination campaigns for entire populations. It was an opportunity for “fear professionals” to spread “the truth” about an apocalyptic prophecy on the theme of "population reduction", as a result of a manipulated virus, more dangerous than the "Spanish" flu (actually rather Sino-Anglo-American), and being surreptitiously introduced in vaccines. These delusions had undeniable effects: vaccination campaigns went through spectacular failures at unknown scales, carrying dismay among international authorities testing their capacity of general mobilization on health issues.
Thirdly and finally, the three main areas of mediated fears tended to intertwine to form only one fantasy in the end: the future potential terrorist to be created by media and cinema will probably be able to intermix virus manipulation, fundamentalist faith, industrial organization, and criminal impulse in order to kill millions of his compatriots. Technology will finally reach natural disaster through a "genosuicide” in the literal sense: the attack by humanity on humanity itself.
If I had been intrigued earlier by the issue of social pathologies like symptoms, I could not cover this field very well: what were their symptoms, or indeed how could these symptoms could be a "solution" to the incredible (yet understandable and even "rational") insensitivity of a vast majority of my coevals. As a matter of fact, only a very few discontent people accept the assumption that the trajectory of collective "technologies", liberating as they may be in everyday life, may be, ultimately, a deadly wave and a dead end. But the fact is that by dint of surveying these problems, by trying various theoretical models, I finally found that this delusion was the only option for prefacing and staging still largely non “politicable” problems (as the German sociologist Niklas Luhmann had observed about the use of nature by social systems).
It was yet unclear how the symptom "spoke" and for what. Like the Sphinx whose words are as enigmatic as a blurred mirror of what we say, we cannot give it the meaning of a serious "message". Today, in attempting to make a synthesis of different impressions, and relying mainly on more detailed analysis, notably in the field of the “ exorbitant killers”, I would say that the symptom" talks" in several discursive dimensions at once. I mentioned that the "worsening" theme closely associated with "homogenization" is the most obvious and most immediate message accessible to a wide audience. You can read there a desire: a wish "to end" with a network of constraints that are woven between each individual and the humanized world, and a call for an "end of the world." It can also be seen as a simple reflection of globalization, as dreamed up with no possible escape. In this sense, it is clear that, as argued by Ulrich Beck in his book on cosmopolitanism, fears literally "manufacture" the field on which a global policy becomes relevant, and which manifests itself as total solidarity now, regarding the consequences of anthropogenic pollution ("ecological footprint"), the end of fossil fuels, or the rapid spread of pandemics through communication networks.
But the symptoms say many other things, and more accurately, if they find precise and careful interpretations: for example, it can tell us, among mass killers, that, if the killing is a suicide and concludes a shortened life, having become untenable because built as a "serial" concatenation, it still necessitates a "subject" of the act. It is strange (but that's part of the problem) that media reviews around this type of "altruistic suicide" seem recurrently puzzled : "incomprehensible act", “unpredictable”, "committed by a sociable and quiet individual ", etc.. This completes the suturing of silence over this, which is, however, loudly screaming, with all the accents of tragedy, that we are each responsible for our collective behaviour and usual herding.
The terrorist himself, delivers a message, knowingly or not: he always wins when his attempt is known and publicized, because it leads inevitably to the acceleration of the control mechanisms that make the largest number suffering more unpleasant and even humiliating procedures instead of "progress". Therefore, it means that there is a limit to the intrinsic technological frenzy over human beings. It brings more of the hero, who, as in "Avatar" is a traitor, disgusted by military technophilia (well honoured treason which is probably the cause of the hostile reception by the establishment of this “cult” movie directed by a very independent James Cameron). Besides, it is known that many real terrorists, far from being "less than nothing" are often educated persons in the modern sense, which poses the potential problem of suspecting every scholar in advanced societies!
In any event, any change in the theme of the epidemic and its increasing popularity among "fears" can be easily interpreted as a critique of globalization, of which it is, so to say, the canonical form. Thus, the money poured in world finance is very similar to heat spreading over the earth, and driving to local imbalance and dependence. It is unifying humanity through a common experience of changes : everywhere people are building a culture of acknowledgement of signs which make sense for everybody : accumulation of concrete suburban developments by investors can be read by people everywhere exactly as its counterpart in biological diversity reduction or rising waters, or as its economic “twin effect” in terms of over-indebtedness. At last, it becomes a single planetary phenomenon.
Similarly, the "systemic" accident which appears to be the main object of many fantasy narratives, is a direct evocation of a quite possible collapse of the human "globalized" economy. What is pointed by the symptom, so to say, is the shaping of a global human society, becoming both unitary, single and unary[1] ...
However, both the analysis of horrible acts and their cultural framework has given rise to writings that were easy enough to transfer into books or articles. But things became more difficult for me when I claimed to go beyond the symptom to propose intervening at the root causes of the tendency of "the system" to turn its passion for unity into a march headed to collective suicide. In the first decade of the 2000s, I published several books like "World Society: time for ruptures”, La Découverte). Or :“ Mind and body : culture against mass suicide” (Anthropos), But they have only been meagre “succès d’estime”. As for my attempts to relate the source of “condensing” phenomena to symbolic language (which is basically a less "crazy" idea than to explain, like Paul Jorion in his book published by Gallimard, that western folly is due to the adoption of the Aristotelian anti-symmetric connection), they have hardly been considered or discussed. And I do not mean the works already published in the 90s when I tried to propose a first alternative formulation to fear-systems like "democracy of passions" or "civility", designed as resistance to formal homogenizing citizenship).
It is true that the underlying logic crossing all these tests appeared to me rather slowly. But I think this is not the only reason for their failure: the fact is that the researcher normally takes the lead over his contemporaries in his quest (if not, why are they paying him or her?). And even if it has to do with our common destiny, most people take more time before confronting themselves with the most painful and difficult problems, and seeking remedies rather than attempting to avoid them as long as possible. In the eighties, I had calculated (for fun) that the average social scientist was two years ahead of the most advanced media consciousness, in fields such analysis of major accidents, the scandal of sects suicides or "insane" crimes etc. Regarding the recognition that Globalization is a source of specific diseases much beyond the global economy, it could take from four to ten years. This is a problem for researchers who simply cannot be understood. Take for example the idea that most of the major fears are symptoms of a truth "to come", like the fact that world-society as a totality without externality might be simply unacceptable because it is “acosmic” (that is, not symbolized by comparison with other options, except regression). It is still hardly conceivable for a majority, not because it is intellectually disabled, but because of its resistance to accept it while already completely immersed in it, whether it wants it or not.
Outside the symptoms mentioned, there is still no awareness of that situation, but little discomfort or perplexity arising from small incongruous details. For instance, the fact that the world is not anymore run by one or two powers, nor by the UN and not even by G 3, 4 or 20, but through ad hoc gatherings of leaders of major countries (like the Yalta multi-polar) parading in front of journalists. I believe very seriously that we shall have to wait at least until 2015-2020 before any system of concepts is gradually developed to reflect the specific problems of the world-society which may be understood and taken into consideration in a debate. This is understandable: it takes more than live news to bring people to rationally anticipate and grasp the object that I designate now as the real source of common fear : what everybody already calls "the system" has nothing to do with a human group or a society, usual and familiar entities which find themselves lost, buried, hidden and distorted in that system. That is why the relevance of the concept of plurality I oppose is so difficult to apprehend and is taken at worse for sweet fancy tinged with megalomania, or at best for a pleasant interest for a quite harmless word.
While, since 1996, I do believe that a redistribution of the world according to the principles of anthropological plurality will occur. I think it must occur, if we do not want to die, paralysed in the realm of our fears, or to live through the destruction of the civilizing process by the very “acosmism” of the System.
Regarding the concept of " anthropological plurality " I seriously concentrate on today, we must also say that it is not easy to locate. I sketch something about it on several articles on this site, but at the risk of blowing it, we could try the following definition:
Firstly, Plurality is an anthropological tendency (present in every human being) to divide himself/herself as a social subject. Then it represents the capacity to pass this internal division into the political system. The internal division of the subject is completely explained by talking, which immediately introduces four simultaneous positions for the speaker:
- He/she is the one who is subject to the obligation to speak, as determined by the societal power over him/her.
- He/she is the one who decides to speak and chooses his/her speech, “freely” positioning himself/herself in a conversation.
- He/she is the one involved in the utterance.
- It is he/she who takes the position of grammatical subject.
It happens that we do not support each of these positions with the same energy and enthusiasm. Our "style", whether we like it or not, is the preference we avow for investing in one position rather than another. It follows that we rather feed a segment of society devoted to one position:
- Societal obligation is determined by political structure and power which are more desired by some people than by others.
- Decision to talk and choose to position oneself, interests civility and order, and therefore people who have talents in these matters.
- Involvement in the spontaneous utterance pertains to the register of familiarity (which some people feel more at ease with than others).
- Finally, spontaneously supporting a syntactic position (like the deictics “I” or “You”) comes down to imaginary "role-taking". Each speaking person is asked to believe he or she “is” really present in the common system of signifiers.
Without detailing the theory, I could justify my quest for "origins of language" (although God forbid ! I am not a linguist, refusing to drown myself in the problems of "ergativity" and other pointillist, or fetish nonsense), because a thought experiment, sufficiently well conducted, may serve to support how humans, who are "immerged into language", necessarily divide themselves not only individually but socially. Indeed, every human society is interested in power (even if it is not encouraged in "societies against the state" according to Clastres); many people are taking the floor in the most spontaneous way (least controlled by society); some are grammarians and lawyers, and others are bearing the theatre of syntactic structures with happiness and invention.
This tetralogy (compared with tetralogues by Mary Douglas, Alain Caillé or many other theorists) is only the primer of plurality, because many hybrid or intermediate positions are possible. But I maintain that these four posts (which could be summarized as politics, familiarity, regulation, and art), remain major polarities of all anthropology.
My job now is to try to find in past and present cultures, the "pertinent level" where you can find this plurality in its native state, but also in forms deployed such that they would not be diverted neither by contradictions of identity (conflicts between people standing and competing for similar rights), nor by complementarities.
The challenge, I hope, is clear: it is to support the possibility of a universal human conversation that may "stifle" the transports due to successive victories by each polarity.
It is a way of saying that basically, my autobiography as a thinker and researcher comes down to two key moments: the time for fear (as symptomatic management of real dangers) which runs from 1978 to 1995, and time for a pluralistic anthropology which goes from 1996 to 2010 ... or more. And to finally complete the loop, I would say that if the first period –dedicated to the analysis of fear- was surely the richest in empirical findings, it no longer interests me as it did before, because, when coming to the real fact beyond the symptom, and when we must enter in the agora of political reason, we do not know what to do with the symptom.
Paradoxically, for the researcher in question, the first moment, almost "instinctual", was much easier to produce and express than the second period, which, however, demanded much more intensive and prolonged efforts.
But, without complaint, so far, maybe we should take into account the presence of chronic crisis in which these efforts are taking place, precisely characterized by a stiffening of the "system", especially in France where the intellectual and academic groups are competing in the reciprocity of hatred and fears (although it does not yet exceed the score of Stalinism in the matter), converging in a chilly and narrowing hierarchism, and preferring the abandonment of issues of truth for the greedy and ferocious embrace of the logic of power and subordination.
It may be that people of my generation will soon have to explicitly recognize, at the end of their careers what Claude Lévi-Strauss suffered when starting his own: " To my companions, launched in adventure after an often peaceful existence, this mixture of wickedness and stupidity seemed an unheard, unique, exceptional phenomenon, the impact on their individual person and on their jailers by an international disaster as no one had never happened in history. But I, who had seen the world, and in previous years, had been placed in situations somewhat not trivial, such an experiment was not completely foreign to me. I knew that slowly and gradually they began to gush like treacherous water, from a humanity saturated with its own number and with increasingly complex problems, as if its skin had been irritated by the friction resulting from material and intellectual interactions, increased by the intensity of communications (.. ) All these stupid, gullible and hateful events, as social groupings are secreting like pus when the distance starts to fail, I did not meet them today for the first time. "
In order not to complete this rundown of a lifetime on a pessimistic note, I would say that I am quite happy to have had children whose talents for rebellion and freedom promise to do enough to oppose the System ... I hope they will be still there to applaud when the System, this great gadget, partly useless to Mankind, will begin to crack and recede, such as "Nothingness" in the beautiful movie "The Never Ending Story" with which they treated their childhood.
Our planet, of course, may continue to endure some well technically organized and very expensive “nothingness”, which will allow us, for example to communicate easily on the world scale with abstract others, but it would be nice if at least three other dimensions could be respected as distinctive and partly autonomous in the future : the realm of familiarity and vicinity, the kingdom of culture and metaphor, and, last but not least, the place for conversation on real issues.
(1)