préambule (le texte complet est disponible sur Amazon, Kindle et Createspace
Nous avons, d’un même mouvement, considéré les contre-tendances, les remous, les « mascarets » qui y apparaissent à chaque époque, comme résistances à l’unité et à l’unicité. Nous avons observé notamment quelques similitudes entre périodes, allant jusqu’à prétendre dégager une sorte de loi : l’énergie de l’unification, soutenue par la peur de l’hostilité extérieure, semble se muer d’autant plus en une énergie du « ressentiment intérieur » que l’unité est effective sur des échelles plus grandes.
Toutefois, cette énergie « négative », opposant les membres d’une même société les uns aux autres, tend aussi à se stabiliser en allant chercher les formes les plus « équilibrées », c’est-à-dire au fond celles qui permettent au groupe le plus large de ne pas se dissocier…tout en se divisant entre des dimensions souveraines et pourtant liées.
Le mouvement de progrès vers une certaine paix intérieure ou civile n’en est pas pour autant naturel, ou aisé. Il est d’autant plus laborieux, contourné, différé, zigzaguant, qu’il faut à chaque fois dépasser les formes consolidées, voire les briser pour promouvoir des agencements plus généraux, libérés de contraintes plus anciennes. De plus, l’accès à des structures plus élevées entraîne des problèmes spécifiques : ainsi, par exemple, de la démocratie, qui, inventée par les Grecs du Ve siècle (A.C.), et se révélant dans la plupart des cas la moins pire des solutions, n’est pas exempte de défauts (bien analysés par les Anciens, d’ailleurs). Ces défauts inhérents au régime peuvent s’articuler avec ceux découlant d’une augmentation du nombre, et aussi avec ceux d’une technicité de plus en plus performante et productive.
Il peut survenir dans le processus historique de multiples phénomènes qui orientent les structures de pluralité interne vers des impasses, des impossibilités, des incompatibilités, et par tant nous engagent dans autant de difficultés, voire de drames et de tragédies. En sorte que les sociétés humaines doivent toujours trouver de nouvelles formes pour se soutenir elles-mêmes sans trop contrarier le mouvement général d’unification universelle.
Mais ces remaniements eux-mêmes ne sont pas exempts de souffrances. Il peut, par exemple, exister des « retards » si importants de la part de certains groupes dans l’adap-tation à un mouvement d’ensemble plus ou moins harmo-nieux, qu’ils se trouvent obligés à une « course en avant » des plus pénibles pour leurs peuples ou fractions de ces derniers. Leurs réactions à ce « stress » peuvent être par-fois injustes, voire criminelles.
Il se peut encore que, des solutions palliatives des effets de l’autoréférence sans repères se répandant au plan de civilisations entières couvrant d’immenses territoires de la Terre, celles-ci finissent par se rencontrer, avec un potentiel conflictuel renforcé du fait même de leur homogénéité acquise. Mais il ne faut pas voir ce thème –cher au philosophe politique Samuel Huntington- comme isolable de toutes les apories rencontrées par l’unification et la pluralisation. Je ne crois pas, ainsi, que les « civilisations » for-ment des blocs indestructibles, inamovibles, incapables de se croiser, voire de fusionner partiellement, même si l’effort exigé de ses membres est considérable, qu’il découle d’une situation de forçage par la domination, ou d’une adaptation spontanée.
Nous partirons ici d’une « mondialité » supposée réalisée (par rapport à la dernière vague de «globalisation »), et néanmoins en mouvement constant à toutes ses échelles, à commencer par les formations les plus larges et les plus nébuleuses qui les accompagnent, comme les idéologies transnationales diffuses, ou les religiosités -sachant, par exemple, que les migrations sont nettement connotées avec elles-. D’autres grandeurs sont aussi examinées, pour ainsi dire « filmées » dans leurs dynamiques contemporaines : familles, régions, villes, entités nationales et multinationales, institutions diverses, telles qu’elles se « clonent » ou se référencient mutuellement d’un lieu à l’autre de la planète : entreprises, ministères, systèmes éducatifs et sociaux, publics ou privés.
Le but que nous nous donnons est, à chaque fois, de comprendre comment ces « choses sociales » tendent à la fois à devenir « sociétales », c’est-à-dire des entités complètes, fermées sur elles-mêmes, des représentations de totalités micro- aussi bien que macroscopiques, et à se diviser en dimensions dialoguant les unes avec les autres dans leur propre intériorité, ou encore avec les entités extérieures.
Un Etat-Nation, par exemple, tend à être une « bulle ». Cela ne l’empêche pas de se situer par rapport à d’autres, proches ou lointains, soit en imitation, soit, au contraire, en opposition. Souvent, les Nations ne sont pas seulement des territoires (quand elles le sont) : elles sont aussi des « positions » dans des sortes de conversations, même si les différences de départ s’expliquent par des spécificités écologiques et économiques.
De même, à l’intérieur d’un territoire national, les vriances nécessairement « physiques » (Nord ou Sud, montagne, plateau, plaine ou mer, etc.) sont-elles toujours symbolisées, voire resymbolisées en fonction d’oppositions signifiantes sur les plans culturel, politique, social. Les catégories qui en résultent peuvent être aussi remodelées, anamorphosées (déformées) par l’attraction des systèmes extérieurs ou supérieurs (incluant plusieurs Nations, par exemple).
Ainsi peuvent naître, aujourd’hui comme hier, de nouvelles souverainetés, dès lors que nous en accepterions les principes : la sacralité de l’ écoumène mondial est source d’appels à une souveraineté dépassant à terme celle des na-tions. Des domaines ou dimensions essentielles comme la Nature, la Culture, la Ville, la Technique, sont aussi des ensembles mondiaux qui peuvent exiger des reconnaissances spécifiques inconditionnelles, bien au-delà de simples « délégations » de pouvoir. Elles peuvent aussi de-venir des puissances publiques et démocratiques en vis-à-vis de celles qui se réclament des territoires linguistiques ou communautaires.
Le résultat idéal de ce travail « géoanthropologique » devrait être la composition d’un tableau comparatif, à la fois suffisamment simple et complexe pour rendre compte de l’actuelle « condition humaine » dans ses orientations et ses potentialités d’unification et de pluralisation, et pour aborder surtout les différences régionales, nationales et locales avec une méthode robuste.
Cette dernière ne se substitue pas aux approches et dis-ciplines spécialisées auxquelles, au contraire, elle invite, mais elle devrait permettre de ne pas s’y perdre, et d’y suivre assez rapidement des « fils » de lecture et d’analyse qui peuvent, in fine, saisir les aspects concrets en jeu dans les échanges politiques, sociaux et commerciaux.