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Il n'y a pas de crise financière : seulement des crises de confiance et appel à l'Etat-monde Debra
Hmmm... un article qui date de 2008, c'est déjà de l'histoire..
Je suis en train de lire le beau livre de Paul Veynes qui s'appelle "La société romaine". J'envie à M. Veynes son énorme culture, que je n'ai pas. Mais la possibilité de m'asseoir dans le calme, et réfléchir péniblement à cette érudition de l'Ancien Monde (je viens du Nouveau...) contribue à me calmer dans l'oeil du cyclone, pour employer un cliché. Et puis... rire devant l'actualité des tribulations de nos si lointains ancêtres, cela contribue à donner un sens de la perspective. Avec le tricot, et la broderie.) Ce que la lecture de l'histoire m'a appris avec le temps, c'est que la prédiction, et la prétention de la prédiction qui obsèdent notre civilisation.. socialiste ? de l'assurance tous risques, est impossible pour le vivant dont nous sommes. Peut-être est-ce cela qui nous terrifie autant dans un monde où, de manière si pusillanime, nous roulons les mécaniques en décrétant que "Dieu est mort" ? (Mais.. la FONCTION de Dieu comme garant du symbolique, qu'en est-il ??) Perso, je crache sur l'Etat Monde. Je ne crois pas que nous ayons tant foi que cela.. dans l'Etat. Pas en 2012, et pas en 2008 non plus. Si... nous avions tant foi que cela en l'Etat, nous aurions moins de mal à acquitter.. nos impôts, non ?? Je crois plutôt que nous avons perdu la foi dans l'Etat, nation, ou autre, et que nos déboires sont en partie dus à cela. Je crois aussi que la grande désillusion, en nous privant de nos nécessaires idéaux ? illusions ? a pour conséquence de laisser le Fric comme Unique Idole sommée d'incarner la Valeur à nos yeux. (Idolâtrie du fric comme défaut de.. Dieu ou un substitut ? Songez à Yeats, qui l'a dit mille fois mieux que moi et d'autres "And what rough beast, its hour come round at last, slouches towards Bethlehem to be born ?" The Second Coming, 1920.) Le pauvre fric, il croule sous le poids de nos désillusions, et nos attentes si infantiles... Ce que fait l'idolâtrie ? Il finit par tuer/détrôner l'idole, à la longue... Tout cela démultiplié ad nauseum dans les médias, qui plus est. Saoulant. (Mais... étant du Nouveau Monde, je ne suis pas une fervente admiratrice de l'Etat comme Père Noël ; il y a... des idéaux plus vivifiants à mon avis.) denis duclos
Sur la prévision :sur un plan général, vous avez raison, elle n’est guère efficace et constitue un genre, une posture dans l’actualité (cf Nouriel Rubini). Mais dans le cas précis de la crise commencée en 2008, il est flagrant que nombre de gens savaient et qu’ils ont tout fait pour le dire publiquement, l’expliquer dans un détail impressionnant. (Voir les livres de Paul Jorion, publiés alors à grand peine). Le fait que les médias et la quasi-totalité des intellectuels semblaient sourds et aveugles me pose tout de même problème ; si le débat démocratique ne peut pas être préparé par les gens « qui savent », ne se manifeste-t-il pas là une aspiration au suicide collectif ? Il est vrai que ce sont les « masses qui font l’histoire », et que celle-ci est accouchée par la violence. Malgré tout, si je conduis le nez sur le volant et que ma passagère m’indique tranquillement que nous allons aller nous écraser sur un camion-citerne, la moindre des politesses et que je l’écoute un peu. Non ?
Votre phrase « je crache sur l’Etat-monde », me rappelle, pour sa véhémence, Toni Negri dénigrant « cette merde d’Etat-Nation ». Personnellement, je suis aussi libertarien qu’il est donné à un Français de l’être, et peut-être même davantage ! L’idée d’Etat ultra-minimal selon Robert Nozick me fascine et au fond j’y souscris. Rien ne m’est plus étranger que les idéaux planétaires et planants où Attali se complait. Mais…. Comment passer le cap du clash des civilisations (dont nous entendons les bruits d’embâcle inquiétants) pour parvenir à une division plus intéressante de la société humaine, une division plus compatible avec celle de nos grandes passions irréductibles ? Comment dépasser le paradoxe selon lequel la paix (c'est-à-dire le contraire de l’hiver nucléaire) ne peut être acquise que par l’hégémonie impériale d’une superpuissance, évidemment tentée (comme Athènes, puis Rome, plus tard Paris, Moscou ou Londres) de s’asseoir sur la tête de ses sujets, et de vivre confortablement à leurs dépends, ce qui prépare immanquablement leur révolte et la destruction de cet ordre injuste ? Franchement, je ne vois qu’une solution, déjà bien avancée d’ailleurs (car nous y sommes sur bien des points) : un « Etat » multinational et multiculturel, une abdication réciproque d’une part des grandes souverainetés, apte à interdire la furie de s’emparer d’un nombre assez grand pour déclencher l’irréparable. De toute façon, la règle régissant la société-monde ne pourra jamais relever d’une souveraineté républicaine à la Rousseau, sauf peut-être de manière partielle pour le désarmement d’une part, et d’autre part pour la nature comme bien commun de l’humanité. Ensuite, cet « Etat » (au sens où Kant parlait de Rechtlicher Zustand) est immédiatement appelé à dépérir, ou à être démonté comme un échaffaudage, dès lors que de nouveau principes d’équilibre entre autonomies pourraient être découverts ensemble. La chose la plus intéressante est ce qui vient après ce passage « étatique »… Et puisque vous revenez souvent sur le Père Noël, je crois qu’il a depuis longtemps été castré par la théorie hellenico-judéenne qu’on appelle le christianisme et dont Freud remarquait que c’était la façon occidentale de produire de l’égalité père-fils, notamment en faisant connaître au père l’expérience de la mort via celle de son fils. Dieu n’a donc pas attendu Nietzsche pour éprouver la mort et cela fait au moins 2000 ans que nous avons des difficultés à avaler que nous sommes tous des assassins du fait même de notre démocratisme. Et votre divan est sans doute bien placé pour entendre, aussi confortablement sourd qu’il soit, la récusation acharnée de cette culpabilité et son imputation à l’autre… Que, dans le sociétal occidental, cette récusation plus ou moins parano, finisse toujours par tomber sur le juif (le père Noël originel ou son double) n’est pas étonnant, et je m’étonne qu’Onfray ne soit pas encore parvenu à cette « évidence », bien que son choix de Freud en tête de turc n’en soit probablement pas très éloigné. Il lui reste sans doute un reste de défense psychique, de prudence et de retenue qui lui évite les coming out à la Dieudonné, Meyssan, Millet, Renaud Camus, etc. Je crois que nous serions presque d’accord ici pour identifier comme ravages ces pétages de plombs signalant finalement la rage d’avoir tué Dieu et l’empressement à le reconstituer, mais il faut aussi tenir compte du fait que la démocratie (finalement seule réelle auteure de l’égalisation entre les fils découlant du meurtre du père : voir Tocqueville) est un défi humain passionnant. Le problème qu’il faut résoudre est bien de savoir comment la promouvoir au niveau de l’humanité entière sans que le spectre paternel ne fasse immanquablement retour. Autrement dit, il ne suffit pas de ressusciter Dieu comme idéal vivifiant, ou bien alors, ce qui revient au même, il serait intéressant de modifier notre rapport intime, mystique avec le divin (notre père Noël intérieur, quasiment indéboulonnable) de telle façon qu’il ne nous apparaisse plus seulement comme figure paternelle ou maternelle, mais dans une sorte de connaturalité avec nous-mêmes… Et là Jésus n’y suffit absolument pas puisqu’il est indissociable de la dialectique parentale, et nous y renvoie indéfiniment : le mythe trinitaire en témoigne logiquement. Je laisse cette discussion ouverte… (Et à propos, je vais ce soir à un mariage à Bethlehem…) DD Debra
Quelle aubaine...
Je n'ai pas du lire assez attentivement pour voir que vous aviez répondu à cette petite..provocation (mea culpa). Votre culture dépasse largement la mienne, pour les Pères de l'Eglise, et plein d'autres choses, d'ailleurs, comme j'ai déjà dit, je crois. Des fois, je médite sur l'influence de Jésus sur notre bas monde. (Mais n'oublions pas que Jésus fut juif, et que le Christianisme, en tant qu'hérésie, ne peut QUE s'appuyer... CONTRE ce qui lui a donné naissance, si je puis dire. De ce point de vue, on pourrait dire que le Judaïsme est bien la Mère ? le Père ? des autres monothéïsmes. L'origine. ) Il y a une image baroque qui me plaît beaucoup : l'idée de Jésus suspendu sur la croix pour toute éternité, condamné à regarder les infinies permutations de ses paroles (la combinatoire ?) pour les générations à venir, jusqu'à la fin hypothétique des temps. Un vrai enfer, vous ne trouvez pas ? Ah...Ce qu'"on" parvient à faire avec les meilleures intentions du monde, et pour "notre bien" ou le bien de notre prochain. Aujourd'hui, j'ai songé à la potentialité très.. toxique du mot "liberté".... Moi-même, j'ai une attitude des plus paradoxales sur ce sujet. Exemple : il y a cinq ans, lors d'un très rare retour au pays, j'ai fait un tour au zoo de New York, pour me trouver devant l'enclos vaste des fauves (lions). Bien plus vaste, l'enclos pour les lions que la cellule moyenne allouée à un détenu dans le couloir de la mort, mais... la prison reste la prison, n'est-ce pas ? Devant cet enclos, il y avait le panneau suivant : "Vous pourriez croire que nos lions sont malheureux à l'étroit (dans un enclos qu'un de ces détenus prierait pour obtenir, moi), mais que préféreriez-vous ? Etre... "in the wild" où vous ne sauriez pas d'un jour à l'autre si vous aurez un repas, au merci d'un accident quelconque où vous pourriez MEME mourir, ou.. être tranquille et en sécurité ici dans notre zoo, où votre prochain repas est assuré, vous avez accès à un véto si jamais vous tombez malade, et vous pouvez jouer avec la baballe en cas d'ennui ?" Je vous jure que j'ai vu ce panneau. J'ai vu plein de gens passer à côté comme si de rien n'était.. Et de retour, j'en ai parlé à mes amis/collègues spychanalystes français qui n'y ont vu.. que du feu... D'un côté... je suis excessivement dure sur ce panneau. Je dis qu'une société où les citoyens passent à côté d'un tel panneau sans réagir est une société... d'esclaves. (Mais bon... il y aurait des livres à écrire sur notre sainte horreur moderne et mythique de l'esclavage.) Et d'un autre, je dis.. que la quête frénétique et infantile (l'infantile caprice, pas l'infans sur les genoux de Jésus) de la liberté comme valeur absolue conduit la civilisation occidentale à... non pas le suicide, mais la destruction de la liberté. Dans le style "le mieux, c'est l'ennemi du bien". Pour votre théorisation autour du suicide, j'aimerais entendre comment vous raccordez... la pulsion de mort, et surtout, la mélancolie comme effondrement subjectif. (J'ai beaucoup pensé à la pulsion de mort. Je crois qu'elle comporte une dimension d'échapper à la douloureuse conscience (de soi). La condition du sujet, si prisée par notre culture encore judeo-chrétienne par certains aspects. La pulsion de mort comme désir de non penser.) Aujourd'hui j'ai fait un petit tour sur Salon. Comme.. autopunition, je le crains. Il y avait un type très intéressant qui racontait comment, en tant qu'athée, il se trouvait... MIEUX en compagnie des personnes de foi. Il y a une guerre civile en cours aux U.S. en ce moment. Entre ceux qui n'ont aucune culture religieuse, qui ne savent pas d'où ils viennent, n'ont pas de mémoire, mais courent.. vers un avenir avec de plus en plus de liberté (sic), et ceux qui ont une mémoire, une culture générale qui s'ancre dans le passé, et qu'ils veulent transmettre, si possible. Les lignes de bataille font voir en quoi les vieilles oppositions/antagonismes entre Juifs et Chrétiens ne sont plus d'actualité pour comprendre ces batailles, à mon avis. Déjà les vieilles oppositions Juifs/Chrétiens étaient inadéquates pour rendre compte des événements pendant la deuxième guerre mondiale, contrairement à ce que trop d'intellectuels français semblent croire, ce qui m'amène à dire, et à répéter que nous n'avons pas encore tiré les leçons importantes qui sont à tirer de cet épisode. (Pour... l'élection des Juifs à la place si peu enviable de bouc émissaire de la civilisation occidentale, n'oublions pas ce que fait l'élection : elle fait sortir du lot. Dans une société si attachée à l'égalité et l'uniformité, et bien, l'élection comporte des risques très importantes, n'est-ce pas ?) Le rouleau compresseur de la sécularisation des idéaux judéo-chrétiens finit par accoucher de quelque chose qui devient de moins en moins chrétien, avec le temps. Et pas du tout juif, non plus. Car... ce qui attaque le Christianisme ne peut qu'attaquer le Judaïsme comme point de départ de l'hérésie. Trop logique. De même, ce qui attaque le Judaïsme attaque le Christianisme par la même occasion.... On pourrait les appeler un couple.. infernal ? Pour la fraternité.... vous ne trouvez pas hallucinant que nous prônons un modèle fondé sur une relation qui depuis toujours (voir Caïn et Abel, mais Polyneice et Etéocle feront l'affaire aussi..) suscite la jalousie et le meurtre ENTRE FRERES (et non pas le meurtre du père) ? Comprenez-moi bien. Je crois que nous sommes allés tellement loin dans l'éthique chrétienne (et la formidable et inhibante culpabilité qui en découle) que nos sociétés exercent une pression formidable et constante pour créer non plus le paradis sur terre, mais.. Disneyland sur terre. Un monde aseptisé d'où est banni la souffrance, la mort, l'agressivité, le meurtre, le négatif sous toutes ses formes POUR NOTRE BIEN, bien entendu. Comme disaient les Anciens déjà, je crois, mais je suis américaine, et trop ignare pour vous les citer... le monde de la démocratie. Laquelle démocratie (moderne) est également une manifestation du projet paulinien...totalitaire et globalisante. (Dans le Christ il n'y a ni Est, ni Ouest, etc). Où le retour du refoulé se fait.. SOUS FORME COLLECTIVE ? Dans la terreur ? Où on ne tue pas le père, mais.. les frères, dans un bain de sang généralisé ? Et... c'est donc ÇA, le meilleur des mondes, ou le moins pire ?? (Pour ma part, j'ai trouvé le paradis sur terre. Mais.. pas dans le projet paulinien.) Le spectre paternel ? Tiens, ça m'évoque l'histoire suivante : il y a quelque temps un collègue spy qui déjeunait avec moi se plaignait de sa femme, qui demandait le divorce dans une procédure... "messy, very messy". Il me disait : "mais toi, tu as pu.. "tuer ton père ?" (bon, ce n'était pas dit comme ça, mais c'était tout comme) afin de t'attacher à ton mari, n'est-ce pas ?" Et je lui ai répondu que personne sur cette terre n'avait remplacé mon papa chéri, l'amour de ma vie. Mon mari est mon mari (depuis plus de trente ans maintenant), et mon père ? Il fut mon père. Pourquoi cette fâcheuse... CROYANCE qu'il faut remplacer les uns par les autres quand nous sommes irremplaçables et unique (selon le Judaïsme, en tout cas)?... Encore un mythe.. démocratique ? Que disais-je.. on jette Dieu par la porte, et il revient par la fenêtre, et déguisé.. en Père Noël ? ;-) Où est-ce que je vous ai recommandé l'article de Mannoni "Je sais bien mais quand-même" dans les Clefs pour l'Imaginaire ? Octave le dit bien mieux que moi.. même si je ne suis plus d'accord avec tout. Et pour finir, puisque il faut bien s'arrêter un moment ou un autre, et mon piano appelle : Le grand drame du Christianisme dont nous ne parvenons pas à sortir est bien que... On ne légifère pas l'amour. On ne le commande pas. La Loi ne peut pas l'ordonner. Dieu lui-même ne peut pas commander l'amour... Commander l'amour sur le plan social donne lieu à une perversion dévastatrice dans la civilisation. Et ce qui a trait avec ce que le Judaïsme rattache au Sujet ne peut pas être ordonné, payé, acheté, prêté, échangé, et ne tombe pas sous la coupe des institutions humaines. L'amour est une... grâce. Le Sujet est grâce aussi. Si Jésus et les écrivains de l'Evangile avaient pu récuser cette forme de positivisme bien pensant et pour notre bien, nos souffrances (et notre culpabilité moderne) seraient bien moindres. denis duclos
Un mien étudiant en thèse soutient l’idée que les Eglises chrétiennes vont « récupérer » l’écologie comme un nouveau carburant pour la religiosité en recul dans nos contrées laïques. Je crois qu’il se trompe : l’eschatologie, c’est-à-dire l’envie d’en finir étendue au monde, reste centrale dans le christianisme, et dans l’église catholique en particulier, qui ne cherche pas l’éternité dans la création ou dans la nature. Bien sûr que nos déchets, aussi envahissants soient-ils, appartiennent à la nature (sauf à définir cette dernière comme ce sur quoi ne nous ne sommes pas intervenus avec nos moyens civilisés), mais ce n’est pas très agréable : en témoigne la mélancolie de Naguib Mahfouz, quand il décrit les petites rues du Caire dont le niveau du sol à monté de quelques mètres sous les couches de détritus accumulés depuis des décennies. On peut, bien sûr s’en contenter, ou aller vivre ailleurs tant qu’on le peut, près de Walden pond. Mais pourquoi condamner ceux qui ne s’en contentent pas ? Et notamment, justement, plantes et animaux qui meurent en silence de ne plus pouvoir vivre dans notre encombrement acharné. D’ailleurs maints animaux, étudiés par des éthologues , vivent du partage de leur monde avec d’autres espèces (je ne parle pas de notre propre symbiotisme avec les bactéries) : il y a donc bien des mondes communs, et chaque monde est un multimonde. Le problème est que nos artifices rendent au fond , une fois les quelques avantages immédiats absorbés, la vie plus difficile et souffrante pour tout le monde, humains et autres vivants.
Le mot « nature » est utilisé dans des sens très différents. Mais je maintiens qu’un de ses sens –ce que ne fait pas l’Homme- garde une grande importance : quand par exemple cette « nature » a mis des centaines de millions d’années à libérer l’oxygène du carbone et à enfouir la radioactivité, nous travaillons bien contre elle quand nous libérons le carbone et déterrons la radioactivité. Ce n’est pas l’artifice en lui-même qui est problématique, mais l’extension infinie d’un genre unique d’artifices : ceux qui cherchent la surpuissance et l’écrasement., et qui sont rendus justement possibles chez une espèce précise : celle qui dispose de la machinerie symbolique, et compense son aliénation par une boulimie d’imaginaire. La question demeure pour moi : est-ce que nous pourrons apprivoiser cette machinerie pour qu’elle ne produise pas que de la destruction de la vie ? Il n’y a là aucune quête d’utopie salvatrice : plutôt celle d’une pratique de soin adaptable à l’échelle des problèmes. C’est un défi intéressant, comme naguère celui d’une médecine plus efficace. La mélancolie, c’est aussi l’une des passions psychotiques les plus séductrices et les plus puissantes : il n’est pas certain que l’idéal d’anéantissement et de paralysie qu’elle propose ou impose –à ceux qui n’ont pas d’autre recours- soit plus légitime que l’amour de la vie et l’effort pour la soutenir, quand elle est menacée. Le judaïsme est effectivement l’origine, mais aussi en tant qu’il a absorbé et reconstruit des influences perses, égyptiennes, et hellénistiques. La problématique de tout monothéisme et notamment du premier, c’est l’unité du peuple par la loi. Mais il ne s’agit pas du même peuple : pour le juif, il s’agit d’un peuple dispersé. Pour le chrétien, d’un peuple d’empire à égaliser. Pour le musulman, d’un peuple bédouin à regrouper autour des grandes familles marchandes de Médine, dont la Kaaba n’est que l’indice. En ce qui concerne Jésus, pour ce qui est du personnage historique, il a probablement été infiniment plus éloigné de ce qui en a été fait que tout ce qu’on peut imaginer : c’était probablement un pharisien marié, au milieu d’une guerre de pharisiens mariés en proie à la concurrence des fonctionnaires du Temple. Ses préceptes (amour, etc.) peuvent se retrouver presqu’à l’identique dans une série de textes rabbiniques, et ses permutations ne sont pas plus –ni moins- nombreuses ou radicales que celles trouvées dans les commentaires de la thora. On n’a le sentiment d’une sorte de trahison historique que parce qu’on romantise un personnage-source, parfaitement imaginaire, et qui serait « témoin » immobile de l’histoire. L’enfer, c’est de rester immobile ! D’accord pour ne pas tomber dans le panneau du Lion devenu détenu de luxe, qui me fait penser à la Fable de La Fontaine sur le loup et le chien : ce dernier, bien gras, lui expose la bonne vie qu’il a, mais lui cache son collier : quand le loup le voit, il s’enfuit « et court encore ». Il y a aussi le beau livre de Romain Gary sur le chien blanc : chien dressé à l’attaque des Noirs… D’accord pour la critique de l’esclavage moderne qui ne se reconnaît pas dans la condamnation de l’esclavage ancien. De La Boétie à Von Hayek, on a beaucoup écrit là-dessus, sans vraiment trouver de solution à la servilité, ni surtout à l’esclavage mutuel. Cela dit, je crois que si nous voulons en sortir, nous pourrions tenter de distinguer la liberté des personnes ou de leurs proches, et celle des institutions, des « personnes morales », qui s’emparent du droit commun pour construire des puissances immenses de manipulation sur les individus. Je ne pense pas que cela demanderait beaucoup de changement dans les constitutions ou les droits : il suffirait de dire que la personne ne peut être qu’un individu physique, et que l’institution ou la « company », la « society » ne peuvent passer pour des personnes sous le seul prétexte qu’elles font la somme de volontés particulières. Tout à fait d’accord sur la mélancolie comme pente pour échapper à la subjectivité, à la position de sujet : Pommier (qui n’est pas un arbre mais un psy) a commis un livre intéressant sur la mélancolie d’Althusser : ce dernier explique que ses nombreuses œuvres ne sont pas de lui, mais… de son grand père ! Tout à fait d’accord sur la continuité entre démocratie grecque et projet paulinien, c’est ce que je me tue à expliquer à d’autres, qui ne voient pas du tout le point. Mais que la vieille opposition juif/chrétien ne soit plus d’actualité… c’est un vœu pieux ! Car il suffit d’un seul film sur « la mise à mort de jésus par les juifs » pour faire remonter l’antisémitisme des jeunes Américains de 10 à 35%, presque instantanément . C’est récurrent, car çà active un ressort inconscient puissant, chez celui qui vit dans une société de ceux qui ont «tué le père » : et cela est encore plus valable chez les « déchristianisés » qui ont parachevé l’opération dans l’égalitarisme post-moderne. Exactement ce que vous dites, d’ailleurs avec le paradis selon Disney. On peut presque soutenir l’hypothèse que l’antisémitisme récurrent (mêlé aussi de formes antimusulmanes), sera d’autant plus fort que la société sera laïcisée dans le sens d’une égalité mécanique absolue, et cette fois sans arbitre divin, littéralement liquéfié dans le système du marché ou dans la bureaucratie planificatrice. Bien sûr que ce sont les frères qui se tuent…. Mais au nom du père déjà tué. Les frères se massacrent en se reprochant réciproquement d’avoir tué le père. Ce n’est donc pas plutôt le meurtre du père ou plutôt celui des frères, mais le dernier au nom du premier : sans le meurtre du père, pas de tuerie entre frères. Oui, on jette Dieu par la fenêtre, et il revient par la fenêtre déguisé en … monstre boucher, tueur d’enfants et au vêtement tout sanglant, et au grand couteau (Attributs du SantaKlaus, St Nicolas primitif, double d’Odin « qui voit tout » et du père fouettard) tant il est vrai que la fête de Noël n’est qu’un remaniement du Halloween (« all the saints evening », fête des morts hivernale) où les enfants morts viennent nous réclamer leur dû, un peu comme les enfants-sorciers d’Afrique. Bien sûr, et c’est même le processus inconscient automatiquement lié à tout égalitarisme… et donc à toute tentative de démocratie. Ce qui n’est pas une raison pour récuser la démocratie, mais pour accepter le fait que tout effort civilisationnel de ce type entraîne nécessairement des « by-products » pas nécessairement agréables (surtout si on le greffe sur une société hiérarchique, de « famille souche » avec père autoritaire, comme dans l’est européen, par exemple). Qu’y faire ? Tout à fait d’accord sur le fait qu’on ne commande pas l’amour, que l’amour ne peut être un commandement (jamais, jamais de loi, chante Carmen) , ne serait-ce que parce que concernant un « tout le monde » , ce dernier ne concerne personne en particulier et ne peut être qu’un commandement abstrait –et d’autant plus terrible-. Pour le sujet, je ne dirais pas qu’il est une grâce : plutôt ce qui, de lui, réussit à échapper à l’obligation de subjectivité, au devoir de paranoïa (le contrôle odinique de soi et de l’autre). Mais vous idéalisez les écrivains des évangiles : ils n’ont fait que traduire dans l’intuition religieuse et mystique la nécessité de l’égalité dans l’empire. Çà a tout de même marché un peu, bien que surtout dans la forme étatique de la Chrétienté. Ils ont créé des personnages « à imiter », et comme çà faisait référence commune, çà a permis à des saints, des marabouts, des mystiques, de faire semblant de les imiter sans être tout de suite brûlés. Mais on ne liquide pas comme çà une culpabilité liée simplement à la matérialité de l’extension de la société humaine , car si : masse + grande = démocratie indispensable = culpabilité + grande d’avoir cassé le principe hiérarchique (c'est-à-dire la différence de générations incarnée dans le principe paternel). Ce qui est difficile à comprendre, c’est qu’il n’y a pas vraiment là de « mal » ou de « perversion » : rien que des nécessités culturelles qui se transforment en dilemmes et en drames, en dévastations, donc en défis supplémentaires de la raison et de l’affect. La question n’est pas qu’il faille remplacer le père par le mari, mais qu’à chaque fois que le mari prend stature de père (par rapport aux enfants, par exemple), « je » crois avoir un peu participé à un meurtre de mon père. C’est cette tendance qui est accentuée dans la démocratie de s majorités et des retraites, des fonctions temporaires, des « politically correctness » etc. Et plus on l’accentue, plus on est contraints de l’accentuer pour faire fonctionner le système, et plus revient la culpabilité. On a beau adorer son propre père et ne pas consentir à en réduire la place, quelque chose pousse à craindre qu’on l’ait fait, malgré soi, pour ainsi dire. Dans une société petite et villageoise (comme en Afrique), on craint que le père (ou l’ancêtre) ne se réincarne dans l’enfant pour réclamer son droit, ou punir ses descendants. S’il se venge de l’ingratitude de la descendance, on a tendance à le criminaliser, ceci au nom de la solidarité horizontale entre familles appartenant à la même communauté économique. La filiation menace la coopération. Et de fait, la communauté peut être mise en péril par l’antagonisme entre les familles qui peut toujours dégénérer en vendetta. Chez nous (les grandes sociétés où la coopération élargie menace la famille et non l’inverse), nous attaquons la descendance, et la figure de l’enfant-martyr remplace celle de l’enfant-sorcier. Or qui martyrise l’enfant ? Une figure de l’adulte, d’où le succès du pédophile comme figure de haine, et celle du prêtre ou du professeur comme référence privilégiée pour le pédophile. Avouez que le père n’est pas loin ! (suite et traduction plus bas) Denis Duclos
Je suis d'accord pour aller cracher sur notre tombe commune hyperétatique : mais dans ce commentaire déjà dépassé par la crise suivante (celle que nous vivons et qui est la même), j'anticipais sur son résultat final -probablement à prévoir pour dans une dizaine d'années après des secousses très éprouvantes- : à savoir, un hyper-Etat à la fois privé et public, et ayant pour fonction essentielle de réguler nos idéaux et nos excès au plan directement mondial. Il aura ainsi à écouler aussi lentement que possible la dette accumulée, probablement par transferts discrets de pays émergents vers les pays ex-riches devenus idiots, tout ceci sans engraisser au passage la spéculation devenue folle. Il aura aussi à éviter que les conflits ne dégénèrent en guerre mondiale nucléaire et bactériologique. Il aura à gérer une masse énorme de "non emplois", liée non pas à l'endettement mais simplement au fait que les machines travaillent à notre place. Il aura à adoucir le choc énergétique et le choc écologique,toutes choses qu'un capitalisme anarchique ne peut pas faire.
Je pense plus que jamais que c'est là notre destinée, et elle n'est pas drôle du tout. Je ne la souhaite absolument pas et ferai tout pour l'éviter, pour envisager avec d'autres des solutions alternatives. Mais puisque le "pauvre fric" a anticipé sur tous nos espoirs les plus légitimes (avoir une petite maison avec un petit jardin) comme les plus fous, et qu'en conséquence, le capitalisme est mort (et ne le sait pas), je ne vois vraiment pas qui et quoi pourrait prendre la relève, si nous ne voulons tout simplement pas entrer dans la guerre de tous contre tous. Je crois que ce qu'il faut commencer à imaginer, c'est la façon dont cet hyperEtat peut être subverti sans que lâche sa clef de voûte, garante d'un répit avant suicide collectif. Subverti non pas par un "dépérissement" que Marx imaginait comme passage de l'exploitation des hommes à l'administration des choses, ce qui est peut être encore plus horrible, pour autant qu'il n'avait pas prévu que les choses en question seraient justement les hommes. Mais subverti par sa sa propre division interne, par notre propre division interne entre grandes passions irréductibles. Ce n'est pas tant Dieu qui garantit le symbolique, (dont il peut au contraire être une dissolution complète dans un grand Tout plus ou moins personnalisé, maternant ou vengeur ) qu'un mode d'affrontement entre nos passions, un art martial de l'analyse, tel que nous avons envie de continuer à "changer de métaphore" (mouvement que j'identifie à la symbolisation, car rester coincé dans une métaphore, c'est la métamorphoser inéluctablement en métonymie, et donc en absorption de la pluralité dans l'Un ou l'Une, comble de la signification pour nous). Tricoter-détricoter peut certes être une façon de changer de métaphore, mais c'est aussi, un peu comme l'érudition du vieux monde : faire du surplace dans un discours de rangement et de re-rangement. La mule Jenny, quoi. J'aime bien ranger mon chez-moi et ma bibliothèque, mais à un certain moment, il est peut être libérateur de changer de chez soi et de bibliothèque. Et en tout cas de ne pas en attendre de réglement ultime. Et çà, c'est affronter une passion, peut-être l'une des plus forcenées, celle de l'obsessionalité, cet idéal de calme serein, justement celui qui anime l'Etat-monde en nous tous, et pour notre bien à tous : tous bien tricotés une fois pour toute et planétairement , en plus : la planète comme énorme pelote de laine bleue ! (l'obsessionnalité va bien avec l'esthétisme). Ou comme urne vide. Certes je préfère la brutale et brêve colère de l'obsessionnel à celle du parano, tout en sueur de haine permanente et de culpabilité insondable. Et je la préfère aussi au désir de "toujours plus" où nous résidons pour ce qui est de notre moment scientiste et technophagique, mais tout de même ... vient un moment où il faut se bouger vraiment, et la colère peut y aider, d'ailleurs, à condition de ne pas en être changés en statues de sel. Pour certains, "se bouger" signifiera passer du tricot à l'élevage du mouton (animal difficile à détricoter), pour d'autres passer à la vache ou aux poules (peut-on faire des tricots en plumes ?), ou à leurs oeufs. Pour d'autres encore, créer son école et arracher ses enfants à la grande république (sans pour autant leur enlever le droit aux copains), pour d'autres, je ne sais quoi encore pouvant sincèrement vouloir dire : "non, ce n'est pas encore çà !". Pour d'autres enfin, passer du piano à la politique (ou l'inverse), mais toujours dans le sens de secouer le cocotier géant des habitudes mortifères et des partitions somnifères. Bon d'accord, comme dit mon fils de 5 ans, il ne faut pas jeter le grand-père dans le trampolin, mais si on ne se bouge pas, toutes générations non confondues, on va se le payer le super-Etat -monde, qu'on ait ou non craché dessus, et même sans vouloir acquitter nos impôts ! : il va nous les prendre à la source, de toute façon, qu'on soit Grecs, Espagnols, Français, Allemands, perfides Albionnais ou même Chinois !!! (et en un sens, ce ne sera peut-être pas plus mal d'être un peu purgés, si on n'est pas déjà très pauvres). DD Debra
Two days ago, out of pure chance, I picked up one of the countless and uncounted (and sometimes... unclassed) books in my library, bought, as usual on impulse : "Too loud a solitude" by Bohumil Hrabal, translated by Michael Henry Heim, who I would have like to have been (except that he was a man...), dead now, unfortunately.
"Too loud" is a book for antisociologists who would like to... flesh out their English ? so that it does not remain... sociologist's English (you don't want that, now, do you ??). A book that will send you running for your English/English (you don't cheat with bilingual dictionaries, do you ? tss tss..) dictionary, just to get your disembodied hands plunged into the Verb, its juices running down your chin, after, not swallowing it whole, but sinking your canines into it. Hrabal has some lovely things to say about the kind of resistance you are talking about. (And we are akin in our.. keening and wailing and mourning the demise of the Austrio-Hungarian empire, and the Old World.) Personally, I think that one of the greatest acts of resistance we could be engaged in right now, is the.. um, act that much globalization pursues with a "virtuous" vengeance : the.. sexual act in all its wild variants (polymorphous perversion to use an expression that is a little dry and dusty...) All of our global organizations are designed to do sex in... Horrifying, isn't it ?? (Yes for "toujours plus"... sex. Much more fun than "toujours plus" technology...) I am not a keen fan of "rangement". My husband likes it better. It has always despaired me, rangement. I am the kind of person who can make a beeline for my bordel (no, not THAT one, the other one..), and find the disappeared object magically. Most of the time. On the.. virtues ? of analysis... My psychoanalyst husband seems to believe that as such he is magically ? protected from the corrosive (and largely unconscious) effects of the Verb. I used to believe that too... But, my eyes have been opened, and I no longer do. One of Lacan's disciples' greatest failings was to produce the.. naïve ? belief that psychoanalysis HAD saved them.. once and for all, moreover. Like a form of initiation where the initiate enters another.. "new and improved ?" world. I call that getting stuck in the "master" mentality. Perhaps we are indeed all. EQUAL in our alienation to the Verb, even if some of us can analyze better than others ? How many patients would say to me that they "knew" what was wrong with them (and indeed they did) but that such knowledge didn't change anything for them ? Rather mysterious.. On the virtues of "bouger"... We are rather addicted to the distinctive opposition "active/passive" in our civilization, for lots of reasons. I happen to believe that it could be very important to.. not budge right now, for a change. To cultivate routine and tradition for a change ? (I was very lucky, I got my ritual food when I was a young girl, so at least I can remember it..) Comes to mind a line from Bach's "Jesu, Meine Freude", that goes "Tobe Welt und springe, iche steh hier und singe, in gar sichrer Ruh", if my memory is correct. "Let the world collapse into ruins, I will stay here and sing in perfect peace". Pretty neat for our world, don't you think ? Not enough.. TONAL music these days for my taste. No... harmony without tonal music. And if we tried resurrecting some of the older metaphors ? But maybe they will be resurrected thanks to the logic of the Verb itself. Nous sommes peu de choses, dans le fond. Much less than what Cartesian egoism has led us to believe... When things fall apart, and the center cannot hold, well... that can be a good thing, you know ? It certainly adds a lot of... SPICE to life, along with considerable uncertainty ? For two generations at least who have believed in their retirement accounts, and little else... Ecrire une réponse
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