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L'étoile humaine : une tentative de penser anthropologiquement l'histoire de la parole et de son langage denis duclos
Je remercie monsieur Cheddadi pour ses remarques et ses questions, qui me donnent l’occasion de présenter synthétiquement ma position sur le sujet de la pluralité comme thème central d’une géoanthropologie, ou anthropologie de la société-monde. J’espère que cela pourra faciliter une discussion intéressante et fructueuse, en particulier avec les historiens qui tentent de prendre en compte l’histoire globale. Deux remarques liminaires : La première concerne ce que je vois de ma fenêtre, une petite voiture que son constructeur a nommé « plurielle », un peu comme on a pu appeler « picasso » un autre modèle. Ceci pour souligner que n’importe quel mot, concept ou nom, peut être aujourd’hui vulgarisé, déchu d’un sens noble ou savant par la récupération commerciale universelle. Nous devons en tenir compte, car, à n’en pas douter, une notion aussi fragile, banale et équivoque que la « pluralité », ne devra son respect dans la pensée et la science qu’en étant l’objet d’un combat incessant et sans doute harassant. Deuxième remarque : un anthropologue connu, héritier de Claude Lévi-Strauss, a coutume de souligner à quel point « les professeurs s’entre-déchirent ». Ceci, bien sûr, avant de repartir dans l’arène académique où lui-même n’est pas en reste dans un combat meurtrier, au moins symboliquement. Plus précisément, pour ce qui nous concerne ici, l’histoire comme discipline se trouve depuis longtemps en proie à une conflictualité aussi violente qu’elle se déroule de manière feutrée, par le silence aussi bien que par le dénigrement hypocrite du « collègue et néanmoins ennemi ». On sait que la paix s’institue essentiellement dans ce domaine comme dans d’autres par la formation de champs séparés, défendus comme des forteresses médiévales : D’ailleurs, justement, le médiéviste et le dix-septiémiste ne se parlent surtout pas, non plus que l’historien de la Corée et celui de la Chine, etc, comme si le débordement des frontières de l’érudition spécialisée devait nécessairement conduire au massacre réciproque. N’épiloguons pas, sauf pour noter que l’histoire globale a précisément été l’objet d’un tollé général de la part de tous les spécialistes. Un autre objet de haine généralisée est la proposition de théoriser une fonction générale du temps dans les sociétés humaines, Fernand Braudel, génial par ailleurs, n’ayant pas été le dernier à promulguer un ukase sur toutes les tentatives de définir des cycles ou des tendances excédant l’étude d’un ensemble pratico-poétique comme sa chère Méditerranée. Résultat : des tentatives méritoires comme celle -certes criticable- de Toynbee se sont trouvées placées d’office et par un consensus parfait, dans les poubelles de l’historicité, voire de l’historialité. Et je ne parle pas de la généreuse Régine Pernoud, dont la courageuse remise en cause de la notion même de médiévalité, a longtemps fait long feu et ne donne encore lieu aujourd’hui qu’à quelques timides pétards mouillés. Passons… pour remarquer enfin l’interdit occulte mais efficace qui pèse sur toute relation conceptuelle entre anthropologie et histoire, ce qui a poussé notre Claude Lévi-Strauss ; en dépit de sa grande force théorique, à se tenir prudemment en retrait dans le passage des « sociétés froides » ou cristallines, abordables par les collections mythologiques structuralisées, aux « sociétés chaudes » ou historiques, beaucoup trop turbulentes à son goût. Il avait sans doute raison : on ne peut pas tout faire à la fois et il avait déjà bien mérité de la patrie scientifique. Il est cependant temps, à l’heure d’une mondialisation approchant de la mondialité accomplie, de se risquer à proposer des fondations pour une anthropologie-histoire de la société globale, coextensive à l’espèce humaine pour la première fois dans l’évolution. Ce qui sera nécessairement « grandiose » et « mégalomaniaque », au moins autant que la théorie du Big Bang pour la physique, mais probablement aussi nécessaire comme point d’appui pour comprendre. Plus modestement (mais encore à une échelle trop importante pour de nombreux spécialistes dépassés par la mondialisation), on se référera à Wegener, dont la théorie de la dérive des continents, de la tectonique des plaques, est aujourd’hui incontournable pour comprendre notre « globe », alors qu’elle était encore « non grata » au milieu du XXe siècle ! Car, certainement, la géo-anthropologie-histoire, devra (mieux que la géographie qui l’a précédée) déployer une vision convaincante des mouvements affectant en profondeur l’évolution des cultures à la surface de la planète (profondeur et surface ne faisant finalement qu’un seul phénomène). Je voudrais ici, aussi rapidement que possible, et donc très allusivement, poser en quoi la question de l’origine de la culture humaine (associée au phénomène de la parole, distinct de ceux du langage et des langues bien que relié à ces derniers), et la question de la pérennité de tendances culturelles au travers de l’histoire, doivent absolument être soulevées si nous souhaitons concevoir clairement ce qu’est la « société-monde ». Bien qu’impossible à « prouver » positivement en l’état actuel des connaissances, la théorie faisant découler cette unification mondiale de tendances culturelles profondes existant depuis le début de la culture parolière humaine nous semble de loin la plus vraisemblable et la plus fructueuse. L’une des raisons pour l’instant les plus fortes est plutôt « apophatique » diraient les théologiens : une raison négative. On peut la déployer ainsi : il n’existe aucune suspicion particulière pour supposer que notre espèce soit prédisposée à devenir une société unique coextensive à elle-même, sinon dans une tendance inhérente à la culture. Une « force » éventuellement invisible ou peu lisible, sous-jacente, souvent d’apparence faible ou inexistante à certaines échelles ou dans certains circonstances, mais puissante sur le long terme et les échelles plus vastes. (On pense à l’analogie avec la gravitation, analogie à manipuler avec la plus grande prudence, évidemment !). C’est ici que je souhaiterais entrer en discussion directe avec monsieur Cheddadi, à partir de son énoncé : ‘l’humanité a toujours été plurielle », que je rapprocherai d’une de ses questions : « pourquoi une histoire de la parole, comment, pour qui ? » Je ne vois aucune contradiction entre cette affirmation, ces préoccupations et les orientations qui sont les miennes depuis maintenant quelques décennies comme chercheur sur ces problèmes. Je m’explique : il est de fait que l’histoire humaine ne peut s’analyser hors de la « pluralité » dont Hannah Arendt a peut-être été l’observatrice la plus ferme (ses prédécesseurs « philosophes » ayant pour la plupart cédé devant la fascination de la synthèse, de l’Etre, ou de la répétition). Mais nous ne pouvons, à tout le moins, que constater une contradiction factuelle entre cette pluralité manifeste et la tendance à l’unité qui court sous l’histoire, et devient visible depuis le néolithique. J’ai choisi de traiter cette contradiction comme un paradoxe inévitable, inhérent à la culture humaine. C’est en tant que paradoxe que nous sommes obligés de considérer ensemble pluralité et tendance à l’unicité, au moins tant que nous n’avons pas percé le secret de leur articulation. Mais avant de nous lancer dans l’étude de cette imbrication permanente, et pourtant différenciée par époques et par aires, réglons un problème pendant et lancinant : l’hypothèse d’un effet direct des conditions « matérielles » sur l’histoire. Bref d’une conception selon laquelle la culture n’est que superstructure, conception qui est loin d’être réservée au « matérialisme historique » auto-promu par les marxistes. Elle pourrait aujourd’hui donner lieu à un genre de « sociobiologie » ou de cognitivisme, lesquels ont en commun de vouloir à tout prix « court-circuiter » le problème d’un effet propre de la culture et de sa structure spécifique parmi les effets matériels. Bien entendu, nous demeurons ici dans le cadre du paradigme objectivant de toute science, et il n’est en aucun cas dans notre intention de ramener « par la bande » une métaphysique ou une autre. En revanche, nous prétendons que faire de la culture -et de son centre permanent la « parole »- un épiphénomène qui va toujours subir les conditions physiques et s’adapter mécaniquement à elles, sans rien leur ajouter d’autre que des effets psychologiques secondaires et superficiels, c’est commettre une lourde erreur, et s’engager dans une direction catastrophique pour la science de l’humain. Notre thèse à ce propos peut s’énoncer ainsi : en mobilisant l’imaginaire comme désir dans toutes les directions possibles, la culture parolière « déchaîne » littéralement les engagements massifs des groupes humains vers ce qui est le plus improbable en termes de plausibilité et de probabilité dans les domaines tant économiques que politiques. En d’autres termes, tant que la culture ne vient pas induire une stimulation extraordinaire des cerveaux humains en direction d’un imaginaire magnifiant et diversifiant, la tendance principale serait le statu-quo et la stagnation, plutôt que l’invention, le mouvement, le bouleversement des structures, l’invasion, etc. Du moins sur des rythmes courts. Sans pouvoir, elle non plus, être « prouvée », cette thèse trouve un appui important dans la considération des rythmes qui ont précédé « l’explosion culturelle » du dernier paléolithique, et qui représentent, pour une espèce d’homini sapienti très semblables à nos contemporains, une stagnation technique et démographique de presque un million d’années. La bataille d’interprétations ne s’arrête pas à ce constat car les soldats de la religion cognitiviste se sont aussi postés au point du démarrage culturel (probablement à moins de cent mille années en arrière), en y apposant leur étiquette de « connaissance ». Or, notre travail s’oriente plutôt vers l’affirmation que la connaissance -en tant qu’elle change les possibles et les rapports de force- ne constitue pas en elle-même un facteur décisif de démarrage et d’entretien de la dynamique expansive techniquement accélérée, car elle ne possède pas de capacité propre de développement et de changement continu. Si on la laisse courir sur son erre, elle tend plutôt à se boucler dans des mécanismes de fermeture et de répétition (comme le montre par exemple la destinée de la Nouvelle-Guinée avant les contacts « modernes ») . Ce n’est pas la « connaissance » qui va entraîner la « ‘perfectibilité » continue des Humains chère à Rousseau, mais un « moteur » interne déchaînant les désirs -encore très placides chez les autres primates, même les plus agressifs-, ce moteur trouvant son origine et sa structure dans le phénomène improbable qu’est la parole. Qu’il existe ensuite et dans des circonstances données, des incidences propres des changements matériels peu réversibles n’est pas douteux : une fois l’argent inventé, il est difficile de retourner au troc (bien que cela arrive) ; une fois atteinte une certaine densité de population gérée par le mode de vie urbain, cette invention tend à perdurer avec ses conséquences (bien que des régressions aient été connues). Etc. Il n’en demeure pas moins que rien dans l’histoire ne peut contredire gravement notre proposition selon laquelle la culture déclenche, soutient et entretient les changements dans les nécessités matérielles, et non l’inverse, du moins à des échelles importantes de l’histoire. Si le conflit civilisé avec les cognitivistes est encore possible, alors je demande qu’ils fassent la preuve de la fausseté de ma proposition. La balle popperienne est dans leur camp ! Pendant ce temps, de notre côté, nous devons déployer le contenu le plus nécessaire possible du concept de culture, sous peine de nous le voir dérober ou miner par des voltigeurs habiles de la religion cognitiviste et de leurs épigones robotistes (essayant de démontrer la toute puissance des algorithmes comme finalisation de la puissance technologique au stade actuel). Autrement dit , comme le demande effectivement le professeur Cheddadi: « pourquoi, comment et pour qui, la parole » serait bien le cœur de la culture humaine telle qu’elle constituerait le noyau actif et influent de l’histoire dans sa dimension globalisante ? La réponse est simple et presqu’évidente, pour peu que l’on dégage le concept de « parole » dans sa vérité sociale, plutôt que de subir les leçons de solipsisme de la théorie littéraire encore en vigueur dans nos écoles, et surtout dans les officines de l’industrie culturelle qui se nourrissent de la notion d’auteur (et surtout de ses « droits »). Il n’existe pas en effet de parole qui sorte toute formée de la bouche (et éventuellement du cerveau) d’un individu humain singulier et isolé. Rien de tel qui soit consubstantiel de ce que les psychologues nomment le « sujet » (de leurs expériences). La parole n’existe pas sans circulation, échange de « paroles », et est en cela un phénomène entièrement social, voire sociétal pour autant qu’elle tend à intégrer potentiellement absolument tous les « membres » d’une société capable de diffuser en son sein la connaissance des règles du langage qui soutient cette parole, et de la langue que ceci forme pour cette entité d’échange interne. La parole n’est jamais solitaire, même lorsque nous « parlons tout seuls » à voix haute ou silencieusement. Nous recréons simplement en nous-mêmes de petites conversations, ce qui nous prépare d’ailleurs à tenir les plus grandes. En ce sens, la parole n’est pas une superstructure venant se poser miraculeusement sur une espèce de primates omnivores, mais réellement ce tissu social même qui les organise. Plusieurs problèmes apparaissent alors ; en même temps que ce fait . Nous en évoquerons trois principaux: 1) la parole, quoique sociale et parce que sociale, ne passe que par des individus : seuls les individus parlent. 2) la parole est un acte supposant sa propre réciprocité entre locuteurs. Un acte : c’est-à-dire qu’elle engage effectivement un « sujet » dans la performation même du parlage. C’est John, L. Austin qui en a découvert la valeur philosophique (ce qui est tout de même étrangement tard après près de 100 000 ans de paroles effectuée de nos ancêtres à nos contemporains!). 3) On ne peut parler sans « dire », à savoir sans soutenir un discours « à propos », et donc sans proposer à la fois de la réalité et de la possibilité d’en changer. Bref sans mettre en comparaison au moins deux aspects pour ainsi dire entifiés. Or le « dire » présente une caractéristique paradoxale par rapport à l’acte de parole considéré « en lui-même » comme performation réciproque immédiate : il fait « exister » un personnage d’auteur, plus ou moins catégoriel (catégorie signifie originellement « condamnation »en grec). Ce qui « veut dire » précisément que nous ne pouvons nous engager en parole sans dénaturer immédiatement cet acte qui est en lui-même silencieux et évident (le fait de s’adresser à autrui en en attendant une parole en retour dont nous ne pouvons préjuger d’avance). Nous ne pouvons parler sans « dire », c’est-à-dire… justement sans user d’un stock de signifiants et de règles de signification qui trahissent immanquablement non seulement la « pureté » de ce que nous « voulons dire », mais encore et surtout l’engagement réciproque des sujets de la parole dans un pacte d’indéterminité mutuelle. Exemple : si je prétends savoir parfaitement à l’avance où le professeur Cheddadi « veut en venir » en m’adressant la parole, je casse d’avance une relation possible. Au pire, il serait aisé pour un autre spécialiste (un personnage social nommé « psychiatre », par exemple), de me placer d’office dans la catégorie « paranoïaque », mais même dans le cas où la conversation reste civile et polie, elle serait en un sens terminée avant d’avoir commencé. Inversement, sans catégories à notre disposition, nous ne pourrions construire le plancher minimal pour faire tenir une rencontre. De sorte qu’on peut supposer que la catégorisation réciproque est « acceptable » dans les termes du pacte implicite de parole, à condition d’être implicitement reconnue par les interlocuteurs comme provisoire, incertaine, floue, amendable, etc. Bref ; compatible par accord implicite mutuel avec la loi de « l’indéterminité » des sujets. On peut recourir aussi aux catégories « pacifiques » de la diplomatie : ne pas prendre une assertion potentiellement agressive au sérieux, rassurer dans l’humour, etc. Dans tous les cas, cependant, aucune conversation ne peut éliminer le paradoxe d’un acte de parole qui s’autodétruit potentiellement par un dire (et un discours), lequel lui est pourtant absolument nécessaire. Il semble en effet que l’on ne puisse parler sans dire, mais en même temps que l’on ne puisse dire sans parler : autrement dit… le travail de détermination des choses qui s’effectue en commun -et même dans le désaccord- dans la conversation a besoin de l’indéterminité de ses sujets, tout comme, dans l’autre sens, l’indéterminité des sujets de la parole a besoin d’être mis au service d’un travail de détermination des choses. Disons-le encore autrement : on ne peut parler pour ne rien dire (ce qui est encore souvent une façon de dire quelque chose d’important, caché et montré par l’apparent bavardage), mais on ne peut pas non plus dire quelque chose sans supposer que cela s’adresse à un sujet « libre » de sa parole. Ainsi le paradoxe liant parole et dire se transfère immédiatement aux personnes en train de parler (et donc de dire) . Il peut alors s’exprimer ainsi : les interlocuteurs, qui sont dans la parole des êtres « indéterminés » par devoir, sur un registre purement déontique, deviennent toujours en même temps des « sujets-personnages » auteurs de leurs énoncés sur des « choses », et tenus pour positionnés et engagés par ces énoncés. On peut le dire encore sous la forme la plus frappante de l’oxymore : le sujet souverain est un souverain assujetti. Il découle de cette situation fondamentalement paradoxale du trait essentiel et spécifique de la culture humaine (la seul espèce dont le langage est commandé par un acte engageant une fiction de sujet moral), que deux tendances s’affrontent en permanence dans notre condition, et ceci depuis les origines de la parole : la tendance à s’unifier par le stock de signifiants utilisés dans les discours, et la tendance à restaurer les conditions essentielles de l’acte de parole, notamment la liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer à la conversation en parlant. Aucune société humaine n’a jamais échappé à cette conflictualité intime de l’être de culture. Il serait donc imprudent de la négliger dans la recherche des traits importants pour l’histoire de notre espèce en contexte de parole. Et on peut alors soupçonner intuitivement que, si conflictualité permanente il y a dans toute culture humaine entre dire et parole, il est peut-être vraisemblable qu’elle ne se manifeste pas de façon linéaire, sans aspérités, sans oscillations, sans variations entre un pôle et l’autre. ce qui, à n’en pas douter, suggère une forme ondulatoire, dont le contenu serait interprétable comme « balancement » entre un moment de plus grande force des « dire », des énoncés collectifs, et un moment de retour de la question du « sujet libre ». Bref, entre un moment de plus grand unification, et un moment de plus grande individualisation (comme reconnaissance par le collectif de la nécessaire indéterminité de ses membres). L’étape suivante et décisive (en élidant pour le moment nombre de difficultés que je dirai secondaires et assez aisément solutionnables, comme l’apparente contradiction entre la tendance à l’unité mondialisante et la dispersion humaine en milliers de cultures langagières séparées), concerne donc l’évolution interne d’une conversation humaine. En admettant que celle-ci est l’entité de base de la parole, nous acceptons aussi de considérer qu’elle se déroule à de multiples échelles, engageant des nombres très différents d’individus sans perdre ses caractères essentiels. La seule distinction à retenir peut-être est celle qu’Austin établit (précairement au cours d’une conférence) entre la performation « authentique » engageant des sujets moraux impliqués directement, et une performation « émoussée », « étiolée » comme lorsqu’un acteur joue un personnage au théâtre, ce qui n’implique pas qu’il soit réellement tué à chaque représentation. Mais c’est finalement aussi secondaire, si l’on tient compte du rôle de l’industrie culturelle (théâtre inclus) dans un conflit social ou sociétal direct. Donc, même si nous nous intéressons aux seules « conversations orchestrales » dont parle G. Châtelet, et aux métaphores qui y ont cours, il est très plausible que, toutes choses égales par ailleurs, ces conversations soient aussi des procès, au sens où une controverse évolue jusqu’à sa clôture. Dans cette perspective, il est possible que tout procès conversationnel, quel que soit son amplitude, connaisse une historialité particulière qui ressemble à un cycle : elle commence, s’installe, se modifie, et progressivement change de signification, avant de se fixer en un point de non-dépassement, qui est peut-être aussi celui d’une rupture générale. Il est certainement intéressant, sur cet aspect, de noter qu’un des rares très grands historiens à avoir saisi cette possibilité est Ibn Khaldoun, bien qu’il l’ait surtout notée à partir d’un point de vue « énergétiste », à savoir en envisageant la force comparée d’interlocuteurs sociaux engagés à divers moments d’une conversation sociétale. Nous reviendrons sur cette question passionnante, mais en soutenant la position présente, nous supposons que l’ 'aṣabiyyah, qui donne finalement une énergie, une vigueur plus grande à un petit groupe tribal, soudé, de plus, par une conviction religieuse partagée, correspond aussi à un « moment premier» d’une conversation historique : celui où l’on observe un certain équilibre fragile et transitoire entre le « dire » collectif et le respect mutuel, nécessairement pluraliste, des individus en charge de la parole. Nous avons là, je crois, l’apparition d’un « grain d’histoire », qui n’implique pas nécessairement une sorte d’atomistique du temps, puisque, si le passage d’un grain à un autre (d’un cycle à un autre) s’effectue par inclusion, un peu comme une multitude du bulles de savon peuvent, dans certaines circonstances, n’en faire plus qu’une…( jeu de bateleurs qui amuse beaucoup les foules d’enfants ), alors nous pouvons légitimement imaginer que l’histoire globale elle-même… ne constitue plus qu’une seule conversation avec son propre cycle incluant tous les cycles plus petits ! Or, je crois qu’il n’est pas interdit de traduire directement les notions décrivant les possibilités d’agents sociaux à tel ou tel moment, en stades ou phases d’une conversation comme procès de parole. Non seulement ce n’est pas interdit, mais cela me semble recommandé, pour autant que c’est l’échange de paroles et de discours afférents qui, finalement, détermine le degré de « liberté » des agents, en tant qu’ils sont légitimes aux yeux de l’ensemble des participants. Nous avons tenté, au cours de notre recherche, de décrire les phases d’un cycle de parole-type (avant de vérifier autant que faire ce peut comment elles peuvent commander la variation dans l’intervention de forces purement matérielles, ou dans la consolidation d’entités sociales). En voici, très succinctement, le « déroulé » : Phase 1 : l’état de la conversation est « métaphorique », au sens où les « discours » qui s’échangent et se confrontent, le font autour d’une comparaison laissant la place à de larges possibilités de jeu social. Les gens, en se parlant, visent certainement une unité sociétale à réaffirmer et à approfondir, mais ils ne peuvent le faire qu’en mettant en scène des oppositions (par exemple entre l’oumma et la famille) qui restent encore assez ouvertes, réversibles, etc. De sorte qu’au travers de ce jeu d’histoires, de mythes, de liturgies, etc, le respect implicite des preneurs de parole est plus ou moins assuré. De la vitalité métaphorique des échanges de « dire », dépend implicitement la liberté réciproquement accordée des locuteurs. Le pacte de parole est encore respecté au mieux. Phase 2 : l’ensemble des conflits apparaissant dans la conversation est néanmoins pénible. Des « catégories » entières de participants entrent en désaccord ou en révolte (les femmes, les pauvres, les héritiers, les étrangers, etc…), et il faut intégrer tout cela dans la conversation orchestrale. Mais cela n’est possible que par un effet de levier politique : chefferies et tyrannies se développent, s’assurent elles-mêmes tout en s’attribuant un privilège de parole (par exemple l’empereur romain est « princeps », à savoir celui qui parle en premier au Sénat). La « métonymie » remplace la métaphore en style principal, parce que toutes les métaphores ne sont plus autorisées et qu’à force de prendre une partie pour le tout (ou tout autre variante de l’effet de dominance), on finit par croire à la souveraineté collective (et éventuellement à en devenir paranoïaque comme Rousseau). Phase 3 : le « dominé » est devenu « refoulé ». On ne parvient même plus à en être conscients en parlant . nous sommes à l’âge de la « catachrèse ». Dans un domaine anodin, on oublie qu’on ne peut saupoudrer avec du sucre, puisque « sau » veut dire sel. Dans un domaine plus important, on oublie que « société » signifie tous les gens qui ne sont pas citoyens (les socii ne peuvent briguer des magistratures). Etc. Phase 4 : le processus d’élimination de la pluralité s’accélérant au profit de la centralité, puis de l’auto-référence, le « jejoiement » et l’appel au « tous » se conjoignent, aggravant une crise à la fois du sujet et du collectif. Mais ce dernier devenant « fou » de sa propre incapacité à percevoir ce qui lui est extérieur comme fondateur (la liberté de ne pas être « situés » pour ses sujets-souverains), c’est l’âge du symptôme. Le collectif commence à se désagréger par excès de densité et d’affrontement direct au paradoxe élémentaire de la parole. Il ne sait plus qui il est parce qu’il ne sait plus respecter ses « membres » (qui sont aussi ses auteurs et ses garants moraux). Phase 5 : crise, folie sociétale, implosion, régression, puis retour éventuel aux conditions proches de la phase I. Le rapport entre ce schéma intérieur à chaque cycle conversationnel et celui qui pourrait convenir à l’histoire globale tient à l’hypothèse que chaque « niveau » de conversation existe avec son rythme propre, alimenté par les effets perceptibles dans les autres niveaux. Au-delà de la complexité extrême que ces interférences impliquent, (les petites conversations intimes participant au déroulement de la grande, et inversement), il est loisible d’admettre que l’histoire globale ayant « toujours existé » -surtout dans l’hypothèse d’un démarrage culturel parolier en un seul lieu, ce que semblent confirmer tant la génétique des populations que la linguistique comparative-, elle s’est elle-même comporté comme une variante du déroulé exposé plus haut. Bien évidemment, l’échelle de conversation que suppose l’histoire mondiale ou globale implique des spécificités et nécessite des transpositions adéquates. Par exemple, nous pouvons sans doute considérer que la multiplication et la dispersion des cultures parolières dans des ensembles linguistiques correspond en un sens à la phase 1, parce que la « sécession », ou la scissiparité, la séparation ou même le « clonage » (par exemple des cités grecques reproduisant la culture hellénistique sur une vaste aire) sont des modes de pluralisation, tant que celle-ci est possible. Bien entendu, cette phase « métaphorique » fonctionne aussi en produisant son contraire : la pluralité des cités hellénistiques entretient et approfondit la « koiné », mais en même temps génère des fédérations et leurs guerres, puis prépare la montée en puissance d’entités mieux préparées (la Pella de Philippe et Alexandre), puis Rome, puis la « stim Poli » : l’Istamboul résumant mieux que le nom de Constantin, le statut de la grande ville impériale par excellence. Néanmoins, malgré les millénaires du dominium, on n’empêche pas le passage irrésistible à la catachrèse (édit de Caracalla rendant tous les hommes libres citoyens, véritable oxymore juridique), puis à l’autoréférence implosive, d’abord par morcèlement, puis par dissolution du concept (la civitas disparaît derrière le « volk », peuple de « suiveurs » d’un chef. ). Ce qui, pour conclure évidemment bien trop rapidement, me convainc dans cette lecture métaconversationnelle et parolière de l’histoire, plus que dans d’autres métaphores (du progrès technique entre autres), c’est qu’elle colle bien avec la lenteur mais aussi avec l’inexorabilité des modifications de la signification, notamment dans la forme de l’oscillation. Elle est bien adaptée à la lecture des événements contemporains, et donc à une certaine prévision. Après tout, les climatologues et les météorologues prévoient bien la venue du froid la semaine prochaine ! Pourquoi les anthropo-historiens n’auraient-ils pas le droit de tenter de prévoir la débandade de la métaphore au siècle qui vient, ou peut-être déjà au nôtre, déjà fasciné par l’algorithme ; ce commandement supposé parfait? Il reste, bien entendu, à passer d’un simple croquis de coin de table à une véritable méthode d’investigation, de description et d’analyse. Nous en sommes loin, j’en conviens. C’est justement l’avantage d’un moment métaphorique "sans retour sur soi' !!! Denis Duclos, le 22 Février 2018 denis duclos
Bonjour, j’ai mis du temps à répondre aux questions de m. Le Professeur Cheddadi, d’une part parce que j’ai été détourné de la théorie par des responsabilités pratiques, lesquelles nous contraignent parfois heureusement, en limitant les emportements de la pensée vagabonde. Et d’autre part, parce que ses questions mêmes correspondent à des préoccupations importantes, justement quant à la « responsabilité » du penseur ou du chercheur dans le monde de ses frères humains.
Je ne dirais pas pour autant que leur solution soit un « préalable » à la pensée, car si nous devions en envisager toutes les conséquences avant de commencer à réfléchir et surtout à « découvrir », le danger de la stérilité entrerait en conflit avec celui de la trop grande audace. Il nous faudrait choisir, et rien ne serait inscrit à l’avance quant au meilleur choix. La « phronésis », la prudence des anciens philosophes, est néanmoins un devoir, couvrant tous les aspects de l’acte de pensée, qui est aussi un acte de parole. Il me semble que les « périls » de tout discours affirmant une réalité ou une vérité peuvent se ramener à deux principaux : 1) un détournement par le pouvoir de masse des idées « justes » issues de la recherche la plus légitime. 2) un danger de répression ou de mise à l’écart des auteurs de recherches considérées « illégitimes ». On voit d’ailleurs immédiatement comment les deux sont liés et s’alimenter l’un l’autre, ou même se renverser l’un en l’autre. Essayons d’y voir clair en développant un peu ces deux aspects : 1) le premier danger découle de tendances inhérentes à toute affirmation. Prendre les formules du discours lui-même pour la vérité, alors que celle-ci, même et surtout «scientifique » ne se laisse jamais complètement ramener à des énoncés, lesquels peuvent, en revanche, toujours être disponibles pour des opérations de domination idéologique. Ainsi de nombreuses intuitions « réalistes » ont donné lieu à des détournements, notamment religieux ou dogmatiques ayant servi l’oppression. Aucune « vérité » n’échappe à la nécessité d’une prudence : ainsi des idéaux écologiques déferlant aujourd’hui en réaction aux catastrophes du « progrès » On voit très bien comment un « autoritarisme » environnemental pourrait se déployer et finir, comme tous les pouvoirs totalisants, par pénétrer les intimités pour imposer des règles injustes au nom de l’intérêt général. Cela peut aller très loin, y compris à des menées militaro-policières d’amplitude aujourd’hui encore impensables. Voire, et je pèse mes mots-, jusqu’à la tentation génocidaire. En revanche, il existe bel et bien un « devoir » de vérité, sur lequel est au fond basé le droit de la science. Et que cette vérité soit gênante pour beaucoup de corps sociaux ne peut pas être un argument pour se taire et arrêter de penser, sauf, bien sûr, pour des raisons purement pragmatiques comme la mise en danger physique du chercheur. Sur ce point, il existe différents niveaux de « risque », dont l’acceptabilité relève tout de même du libre arbitre dudit chercheur : -le risque d’être en minorité ou isolé longtemps dans une controverse scientifique (exemples : Wegener … mais d’abord Galilée, ou bien d’autres moins célèbres !). C’est un effet inévitable, et constamment reproduit si l’on en croit la théorie kuhnienne des paradigmes scientifiques. Notons que ce jeu cruel est tout de même l’objet d’une certaine protection « statutaire » dans le monde académique. Et pour tout dire, dans un pays comme la France, je n’ai personnellement jamais eu le sentiment de voir mon activité « interdite » ou mise à l’index, quand bien même le silence perplexe ou réprobateur a souvent été l’attitude préférée des « collègues » vis-à-vis de certaines de mes thèses. Le problème est ici simplement de « forcer le respect », ce qui demande effectivement une certaine dose d’habileté dans ce sport de combat (dirait Bourdieu). -Le risque d’être incompris de la « société », au mieux en demeurant ignoré, et au pire en étant persécuté. C’est évidemment un vrai problème. Mais je ne saurais le réduire à la nécessité d’une attente que ladite société soit « prête à entendre une parole », pour la bonne raison qu’elle n’est strictement jamais prête, et que si elle n’est pas « bousculée » un tant soit peu dans des habitudes de pensée dont on peut croire à juste titre qu’elles vont s’avérer fatales à terme pour beaucoup de gens, le changement « nécessaire » n’aura pas lieu… et le Titanic sociétal rencontrera son iceberg ! -Le risque que la « vérité », aussi incontestable soit-elle, ait elle-même des effets catastrophiques, destructeurs. Ce cas doit évidemment être pris en considération, et cette obligation nous confronte ici à une lecture « autocritique » de notre approche (en évitant les effets déjà tragiques dugalvaudage de cette expression). Sans nous y attarder, ce qui vaudrait un livre à soi-seul, pointons au moins quelques problèmes aigüs dans ce registre : -dans la mesure où la nécessité de la pluralité s’impose comme une alternative à la société « de masse », la métamorphose de cette dernière pourrait être très douloureuse, voire « massacrante ». Il n’est que d’écouter un peu les propos d’adolescents révoltés finalement contre cette société, pour se rendre compte que le message le plus anodin en faveur de la pluralité, pourrait fort bien servir de prétexte à un activisme meurtrier . Notons cependant que, dans le registre de l’action, les « zadistes » de Notre Dame des Landes ne peuvent pas être comparés aux soi-disant djihadistes ou aux tueurs de masse américains. Les « preppers » sont parfois inquiétants, mais surtout parce qu’ils s’achètent des brassées d’armes sur le marché étatsunien, ou encore, lorsqu’ils sont riches, se paient des silos d’ICBM pour attendre la fin du monde à l’abri des « zombies ». Le devoir du « savant» est ici simple : montrer qu’il n’y a rien de commun entre une recherche qui tente de pointer les causes anthropologiques de certaines erreurs de trajectoire, et les folies eschatologiques libérant des instincts de meurtre. Bien au contraire. Par exemple, contrairement aux théories actualisées du « Mal », conduisant si vite à l’idée que « l’humanité est une espèce ratée », bonne à exterminer, la théorie des paradoxes de la parole conduit plutôt à rechercher des genres de solutions fines, adaptées, complexes, évolutives, »bricolées », etc.. Elle s’opposera aussi à la soumission néo-religieuse à l’algorithme, cette stupidité « scientiste ». Ce combat, cependant, est à mener dès aujourd ‘hui avec la plus grande détermination et vigueur, précisément parce que non seulement la « société n’est pas prête », mais parce que sa fraction adolescente sera toujours prête, elle, à préférer le massacre dans l’action immédiate à l’intelligence rusée et , à choisir la thémis (là tête de loup chez les Athéniens) contre la métis, aurait dit C. Dejours. C’est au fond l’urgence même qui conduit à réviser en profondeur les croyances métaphysiques fondant toujours les volte-face les plus périlleux, afin de les « calmer », et d’y substituer une curiosité et un appétit de trouvailles. La pluralité, ici, n’est qu’une sorte de vague métaphore « globale » permettant l’invention pratique la plus libre. Mais elle est aussi un « horizon » de possibles limitant ou interdisant le recours à des folies meurtrières. Elle ouvre plutôt sur le pénible -mais intéressant- travail de négociation de nouveaux droits. Bref… d’accoucher l’histoire sans tuer la mère aussi bien que les progénitures ! (aïe ; quelle métaphore !). Bien sûr, rien n’est garanti, et il est bien possible que la catastrophe soit déjà si avancée que nous devions songer déjà à nous réfugier en famille ou seuls (moines) dans les forêts, les déserts et les montagnes, comme nos prédécesseurs à la chute de l’empire romain. Cependant, tout en menant une bataille perdue contre les rumeurs et les « fake news », résultantes de l’angoisse collective, il est peut-être avisé de continuer, justement, à encourager des liens entre une conception plus précise de la culture humaine, et des façons de vivre et d’agir tenant compte de ses paradoxes, de ses difficultés inhérentes. Cela, je ne crois pas que ce soit prématuré, sauf à considérer que ceux capables de conduire cette orientation ne sont pas assez nombreux, pas assez résolus, et surtout pas assez « formés » eux-mêmes à la réflexion de fond. Je ne donnerai qu’un exemple : la tentative éphémère des « convivialistes » regroupe des « intellos parisiens » dont les plus avancés, comme Dany Robert Dufour, en sont encore à critiquer le « mal », à savoir, la tendance humaine à « vouloir toujours plus ». Or cette tendance (la pléonexie) n’existe pas vraiment. Et lorsque quelque chose se manifeste de cet ordre, cela s’explique seulement de manière fine, en tenant compte des contradictions etc. Autrement dit, l’urgence est aussi au niveau le plus profond de la discussion théorique, d’avancer sur des accords possibles à partir d’acquis peu contestables. Est-ce que la thèse du « Don » cher à Alain Caillé peut servir à cela ? Probablement, mais dans certaines limites, car à l’évidence, le « don » , trop idéal à la manière d’une religion, ne tient pas compte du fait massif qu’il se décline nécessairement à partir de négociation sur la valeur des choses, et que celle-ci ne peut aller au-delà de la psychologie walrasienne parfaitement adaptée au capitalisme évolué… Alors qu’une anthropologie plus précise, plus attentive aux faits de parole, butte obligatoirement sur le « fait « austinien »que nous ne nous donnons entre nous, humains, que… notre indétermination réciproque ! Ce qui signifie que nous ne pourrons jamais fonder aucune société sur un discours comme s’il était porteur de la vérité de nos valeurs, fût-il celui du don ! Mais que nous serons toujours contraints de « doubler » la vérité intersubjective proprement « indicible » par des discours toujours négociables, révisables, temporaires, etc… Le Don, s’il existe, ne peut que rester ignoré, secret, caché, inexploitable. Mais alors, « reconnu » seulement ainsi (ce qui n’est pas la thèse caillétienne), il peut éventuellement freiner la dérive inévitable des discours vers leur réification mécanique. Comme un rappel de la « faille logique » qui nous fait humains (et qu’Aristote avait tendance à un peu oublier en nous incitant à fabriquer un langage antisymétrique toujours plus articulé et fermé logiquement). 2) nous n’avons pas traité directement le point du péril d’être, comme chercheurs, rendus « illégitimes », mais nous avons vu, dans le point 1 que cette question ne pouvait pas être, elle, « préalable ». Il s’agit seulement d’une affaire tactique, qui sera toujours subordonnée au caractère « éthique » du choix de tenir sur la « fonction de vérité » consubstantielle de la position de chercheur et de penseur. Bien entendu, cette question tactique est très importante. Elle doit effectivement être pensée en prospective, parce qu’il faut s’attendre à des combats plus rudes. C’est l’époque qui veut cela, et rien ne dit, d’ailleurs, qu’il n’est pas bien plus risqué de ne rien faire. Prenons un exemple un peu provocateur : quand Ibn Khaldoun est allé discuter avec Tamerlan devant Damas en 1401, il prenait certes des risques pour sa vie. Mais peut-être moins, finalement, que s’il ne l’avait pas fait, en misant intelligemment sur l’intelligence curieuse et cultivée de « l’empereur du monde » ! Comment hystériser le maître, dirait notre Jacques Lacan ! (ps : ce commentaire étant déjà trop long, je n'ai pas abordé la question des instances de légitimation d'une parole scientifique concernant la société globale. Mais ce n'est que partie remise !) Ecrire une réponse
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