Excellent comme toujours !
La banalité de celui qui se jette à l'eau pour sauver quelqu'un : un de mes élèves l'a vécu. Extrait du texte où je cite son histoire :
"...De tous les animaux, disions-nous, seul l’homme tue l’homme. Certes. Mais s’il n’y a pas plus cruel que l’homme pour l’homme, il n’y a pas non plus d’animal qui soit capable d’aussi grand amour que l’homme pour l’homme. Et il est probable qu’en chacune de nos existences singulières, finalement, les moments de violence sont beaucoup plus rares que les moments de paix. Ce ne sont pas la guerre et la violence mais la paix, l’amour ou, beaucoup plus banalement, l’indifférence polie qui sont étonnantes. Un de mes élèves nous raconte, en cours de philosophie, qu’un beau jour froid de novembre, se promenant seul au bord d’un canal, il entend tout à coup des appels au secours : une petite fille de trois ans environ vient de tomber à l’eau, la mère seule crie désespérément. Il a une demi-seconde d’hésitation, saute, ramène la petite fille que la mère parvient à saisir et réussit à s’extirper lui-même des berges glissantes… Commentaire, en cours de philosophie : « Tu as décidé, dans cette demi-seconde, que la vie de cette petite fille, qui t’était jusque là inconnue et indifférente, et qui le redeviendrait passées les effusions, était plus importante que la tienne propre. – Oui, peut-être, mais je n’ai pas pensé à ça sur le moment, la seule chose qui m’a traversé l’esprit était que je ne pourrais plus me regarder dans la glace… la honte si je ne faisais rien… » 1
C’est ici le moment éthique : l’autre, radicalement autre, singulier, différent et indifférent, est un autre moi-même. C’est le moment fondateur du droit, qui enracine l’espoir que les libertés puissent s’articuler et non se heurter. Dès lors, si la culture produit la violence en ce qu’elle a de spécifiquement humain, c’est aussi la culture qui nous permet d’en transmuer les énergies de manière créatrice...."
Avec cette note :
"L’année scolaire suivante, le même commentaire et quasiment la même réponse, pour et de la part d’un élève qui s’était interposé pour défendre un jeune agressé par plusieurs autres et qui en avait récolté une estafilade à un bras ; de plus fort dans ce cas, l’agressé s’était enfui laissant son défenseur seul : « C’est vrai, je lui en ai voulu de se tirer, et quand j’ai vu un des mecs sortir un couteau, je me suis vu mourir comme un con à me mêler de ce qui ne me regardait pas finalement… Mais quand même, je ne regrette pas… »"
Extrait de la "question préalable" dans Le Droit dans l'école, Labor 2000.